VIDEO – Full Alert de Ringo Lam : Hong Kong 1997

Posté le 12 septembre 2020 par

Parmi le programme de sorties vidéo 2020 de Spectrum Films, Full Alert était particulièrement attendu. Le film, restauré du vivant du réalisateur Ringo Lam, décédé en 2018, a d’abord été projeté en séance unique à Paris cette même année ; le public lui a réservé un accueil très chaleureux. Il est désormais disponible dans une édition combo Blu-Ray/DVD des plus soignées, qui remplacera la VHS de HK Vidéo sortie dans les années 1990.

Un architecte est retrouvé noyé. L’inspecteur Pao (Lau Ching-wan) arrête Mak Kwan (Francis Ng), un expert en bombes, qui avoue le crime avec difficulté au cours d’un interrogatoire glacial. Au fur et à mesure de l’enquête, Pao acquiert la conviction que Mak Kwan dissimule ses véritables intentions et projette une opération de bien plus grande envergure. Il prépare ses équipes pour une alerte générale imminente…

En 1997, Hong Kong repasse aux mains de la Chine communiste, après 155 ans sous le drapeau du colon britannique. Bien des Hongkongais éprouvent à l’orée des années 1990 une incertitude en l’avenir, doublée d’une forme d’angoisse. Les metteurs en scène sont des artistes et craignent pour leurs conditions de travail.  Ringo Lam est l’un de ces réalisateurs qui ont tenté l’aventure hollywoodienne, en signant en 1996 la réalisation du film américain Risque maximum. Mais Ringo Lam est bien trop viscéralement attaché à Hong Kong, sa terre d’origine. Il y retourne immédiatement avec l’intention, selon ses dires, de capturer les derniers instants du Hong Kong d’avant la rétrocession de 1997. Pour ce faire, il fait usage du registre du polar urbain, probablement le genre emblématique de la petite péninsule qui depuis les années 1980, fait sa renommée jusque dans la cinéphilie mondiale.

Avec la série des On Fire (City On Fire, Prison On Fire 1 et 2, School On Fire), Ringo Lam a fait état d’un style marqué, dont la stylisation ne repose pas sur des chorégraphiques sanglantes et des portraits romantiques des truands – loin donc, de John Woo et de toute une tradition du films de gangsters, jusqu’à au moins Jean-Pierre Melville. Melville disait justement, à ce sujet, que son travail a une visée cinématographique et qu’à ce titre, il cherche le mensonge. Les truands de ce cinéma sont fantasmés et ne représentent pas la réalité. Ringo Lam n’embrasse pas cette idée et recherche quelque chose de plus percutant sur le terrain politique, lui qui a connu le Hong Kong d’en-bas. La violence chez le réalisateur a donc toujours été sèche, mais pas nécessairement son intrigue, malgré tout. Dans Prison On Fire, Lam joue sur le charme naturel de Chow Yun-fat pour envelopper les scènes de violence carcérale de séquences plus chaleureuses et de camaraderies. Comme pour rendre son intention plus forte, plus essentielle, Full Alert reprend l’idée de la violence des On Fire et se déleste de ces composantes « douces », considérées comme superflues sur le moment.

Chaque plan de Full Alert étonne par son obscurité, sa froideur, sa grisaille ou l’emballement violent qu’il montre. La scène de l’allée jonchée de détritus, continuée avec Lau Ching-wan qui fait feu en pleine rue en état de stress, en est emblématique. La stylisation n’est donc pas absente malgré ce retour à l’essentiel, et elle est au contraire d’autant plus percutante lorsque Ringo Lam développe la vraisemblance de son intrigue. Pour cela, il s’appuie sur des personnages tout sauf grandiloquents, animés par des buts qui correspondent pleinement à leur rôle de policier et de voleur. On en revient à la matrice de la nouvelle vague, le film Cops and Robbers d’Alex Cheung (qui n’était, disons-le tout de même, pas aussi épuré que son titre ne le laisse supposer). Ces personnages ont une caractéristique commune : leur activité les a amenés à prendre la vie de quelqu’un, et cela les ronge. Une fois encore, Ringo Lam retourne aux fondements du genre. Le questionnement autour de l’assassinat lorsqu’on l’on parle de policiers et de criminels est tout à fait évident, car dans leur affrontement, il ne peut y avoir de résolution sans échanges de coups de feu. Ringo Lam apporte l’idée des remords, un aspect souvent balayé dans les fictions policières, et lui fait prendre corps autour d’éléments de mise en scène subtils (les flashbacks croisés de Lau Ching-wan et Francis Ng, et bien entendu, la scène finale dont la tension repose sur l’idée de franchir le pas). Paradoxalement, bien que l’absence de scènes « douces » se remarque, le personnage du mauvais côté de la loi, et qui plus est, un assassin manifeste, génère par le refus du manichéisme une forme d’empathie et donc, d’humanisme à la Prison On Fire. La scène de course-poursuite en voitures est tout aussi représentative de ce style de réalisation sèche. On y ressent à la fois la maîtrise complète des cascadeurs et des acteurs, et donc à travers cela, la force et la détermination des protagonistes, que l’urgence et le stress dans les rues de Hong Kong, grâce à la vivacité de la caméra. La parabole est là.

Le film est servi au mieux par les prestation de Lau Ching-wan et Francis Ng. Ce dernier, pourtant habitué aux rôles de méchants truculents (voir The Dragon Fighter et Devil Hunters), fait preuve d’un sérieux absolu, se révèle des plus convaincants et résonne en diapason avec Lau. Amanda Lee, qui interprète le rôle de la femme de Francis Ng, et Jack Kao, celui de son associé criminel, sont également parfaits. Ringo Lam est un excellent directeur d’acteurs.

Full Alert n’est pas un film qui documente la rétrocession au sens premier. En revanche, il est l’œuvre cinématographique qui veut être et qui est celle dont la sortie est la plus proche du point critique. Le spectateur est attrapé par le bras et emmené sur une voie rapide dont la destination est une certaine idée de Hong Kong, qu’on craint perdre à tout jamais, à travers sa forme de fiction de prédilection. Cela passe par les gimmicks épurés du polar. Full Alert est un jalon dans l’histoire artistique de Hong Kong.

L’édition combo Blu-Ray/DVD

Comme à son habitude, Spectrum Films nous gratifie d’une magnifique jaquette maison, qui cite la scène de l’allée jonchée de détritus, la plus emblématique du film. Le disque a aussi la bonne idée de s’ouvrir non pas sur le menu directement, mais une photographie de Ringo Lam, datée et signée du photographe. Ringo Lam nous a quitté tôt et c’est un bel hommage qui lui est fait, d’autant que ce genre de petite initiative est rare dans le milieu de l’édition vidéo. Le master du film, image restaurée comme son, rend honneur et le dépoussière complètement. Le grain de l’image est archi-net, les teintes bleutées froides sont très bien rendues. Les bonus vidéo sont nombreux et tous de très bonne qualité :

La version commentaire audio du film. En cantonais sous-titré français, Ringo Lam, étaye son œuvre non pas d’anecdotes légères, mais des intentions qui l’animent et d’informations sur ses acteurs. Le metteur en scène n’est pas très bavard et de nombreux blancs parsèment la bande, mais ses interventions nous font comprendre l’intégrité de son travail et à quel point il ne s’est jamais « perdu » par rapport à ce qu’il a imaginé.

La présentation du film par Arnaud Lanuque. En une dizaine de minutes, comme pour les autres films hongkongais du catalogue de Spectrum, Lanuque décrit, depuis les décors typiques de l’ex-colonie britannique, le parcours de Ringo Lam, d’abord inscrit comme acteur, puis son ascension comme réalisateur. Comme d’habitude, Arnaud Lanuque développe ses informations avec une aisance naturelle, qui rend la présentation très agréable. Le son est toujours en prise directe, avec un fort parasitage par des bruits urbains, mais soyons honnêtes : ce côté maison, pris au cœur de Hong Kong, a beaucoup de charme.

La présentation de Ringo Lam par Nathalie Bittinger. En vingt minutes, Nathalie Bittinger, avec son œil universitaire, apporte des éléments approfondis sur le cinéma de Ringo Lam, de son enfance dans la pauvreté extrême jusqu’à son manque de visibilité face à ses pairs. Ces nombreuses informations, ainsi que les quelques éléments d’analyse cinématographique, sont très éclairants ; il s’agit même du bonus le plus riche à ce niveau.

Une troisième présentation du film et de Ringo Lam par Julien Sévéon. Également habitué aux bonus de Spectrum, Sévéon nous apporte beaucoup d’informations concrètes, chiffrées sur le cinéma hongkongais de cette époque en une dizaine de minutes, avec comme angle d’attaque la rétrocession et son rôle dans la forme que prend le cinéma d’Hong Kong, avant, pendant et après l’heure fatidique.

Un vidéo d’analyse du film par HKCast. En à peine cinq minutes, et via un joli montage à la manière des vidéastes les plus qualitatifs, l’équipe met l’accent sur les composantes et les plus grandes qualités du film. Le montage musical et pictural est des plus plaisants pour présenter le film.

Une discussion autour du film par le podcast anglophone Podcast On Fire, spécialisé dans les cinémas asiatiques. En 30 minutes sous-titrées en français, les intervenants balayent tout ce qui fait la substance de Full Alert, du point de vue de spectateurs amateur de films hongkongais. Moins théoriques que les bonus précédents, on écoute avec plaisir les deux podcasteurs décrire en quoi les personnages du film sont fouillés et la réalisation, pertinente et percutante.

Une autre discussion par le podcast francophone Stéroïd, spécialisé dans les cinémas d’action. De la même manière que Podcast On Fire, la discussion est passionnante et apporte quelques ultimes variations à tous les propos développés dans les bonus, comme l’influence de French Connection sur la séquence de course-poursuite du film, entre autres.

La bande-annonce. Scindée en 2, d’un côté la courte version de Spectrum, de l’autre, la version d’origine, particulièrement efficace et montrant de la meilleures manière la stylisation de l’action à la Ringo Lam. Elle nous permet de constater également, puisqu’elle est constituée d’images de la pellicule d’époque, à quel point la restauration est grandiose.

Maxime Bauer.

Full Alert de Ringo Lam. Hong Kong. 1997. Disponible en combo Blu-Ray/DVD chez Spectrum Films en août 2020.