Le film Symbol de Matsumoto Hitoshi est disponible en VOD, nous offrant l’opportunité de voir ou revoir l’œuvre la plus ambitieuse du réalisateur japonais contemporain.
Matsumoto explore dans Symbol une multiplicité de concepts métaphysiques et à ce titre, la paradoxale simplicité du synopsis a de quoi surprendre. Nous suivons deux histoires parallèles n’ayant jusque dans la dernière partie du film absolument rien en commun. D’une part, un catcheur mexicain se prépare à livrer combat dans une arène d’un village isolé dans le désert. D’autre part, un quarantenaire japonais (interprété par Matsumoto Hitoshi lui-même) se réveille dans une pièce vide, blanche et apparemment hermétique où son seul pouvoir d’action est d’obtenir des objets du quotidien aléatoire en appuyant sur des interrupteurs. Les interrupteurs en question se trouvent être les pénis des seuls « protagonistes » qu’il rencontre, soit des statues d’anges en bas-relief qui, après être apparues, ne laissent plus dépasser du mur que cet appendice. Les deux enjeux radicalement différents des protagonistes sont donc, pour l’un, de gagner le match de catch auquel vient assister sa famille et, pour l’autre, de tenter de s’enfuir du lieu où il est enfermé. Néanmoins, comme le titre du film l’indique, les résolutions de ces histoires importent moins que les éléments présents tout au long de l’intrigue et leur signification.
L’histoire du catcheur qui survient en premier est bien plus prosaïque que la seconde. Toutefois, des éléments surprenants donnent à l’ensemble une ambiance presque irréelle. La fille du catcheur, par exemple, est une jeune nonne qui conduit un pick up et jure comme un charretier en enchaînant clope sur clope. Le catcheur en question n’est jamais aperçu sans son masque. Il réagit très peu au monde qui l’entoure, la plupart des plans avant le combat le montrent dans un état proche de la catatonie, ce qui détonne d’autant plus avec le décor agité dans lequel il est plongé. Si, à l’inverse du personnage interprété par Matsumoto, le catcheur évolue dans le monde tangible, ce n’est pas pour autant qu’il est actif. Il semble réellement dépourvu de toute forme de substance, ce qui donne presque l’illusion qu’il évolue dans un rêve qu’il ne maîtrise pas et dans lequel il se contente de subir.
L’intrigue du personnage interprété par Matsumoto (sobrement appelé dans le scénario « l’homme en pyjama ») est introduite après celle du catcheur. Le changement radical de décor s’accompagne d’une image elle aussi extrêmement différente. Les plans du Mexique sont présentés avec des couleurs chaudes saturées, parfois même en caméra épaule puis laissent place à une image très clinique et froide du blanc épuré de la pièce close. Le réalisateur sépare les ambiances de même qu’il sépare les thématiques. Les enjeux auxquels fait face le catcheur sont concrets et tangibles tandis que la quête de l’homme en pyjama est vite présentée comme extrêmement abstraite et métaphorique. Lorsque l’homme en pyjama se trouve dans la pièce close, il doit passer une phase d’« apprentissage » comme nous l’annonce un panneau titre. En effet, nous assistons à tout le cheminement que parcourt le personnage pour s’échapper. Nous voyons à ce titre toutes les tentatives infructueuses des plus absurdes aux plus frustrantes lorsque le personnage approche réellement du but. L’homme en pyjama, durant cette épreuve, est infantilisé (il geint, hurle, exprime de la peur ou des rires exagérés, etc.) et Matsumoto nous propose alors une découverte du rapport au monde de façon symbolique où l’homme en pyjama devient un enfant et la pièce blanche, le monde. Toutefois, là n’est pas non plus la seule signification de cette intrigue. On pourrait ainsi tout aussi bien interpréter ce passage comme une remise en question du capitalisme. Matsumoto se met notamment en scène comme le roi d’objets amassés, allongé sur un transat, une ventouse en guise de sceptre. De même, le choix de Matsumoto de jouer lui-même le rôle de son personnage peut aboutir sur une métaphore de la création artistique et du rôle d’un artiste, un thème approfondi par le réalisateur sur son film suivant, Saya Zamurai.
Si les deux intrigues nous sont tout d’abord montrées comme étant non reliées et diamétralement opposées, au fur et à mesure que l’homme en pyjama « avance » dans sa quête, les deux aventures finissent par se rejoindre et le film s’éloigne du concret pour aboutir au symbolisme pur. L’homme en pyjama, après avoir quitté la première pièce, doit affronter une nouvelle phase, celle de « mise en pratique ». Lors de celle-ci, les deux histoires se joignent de façon assez surprenante et nous assistons à une fin de film proche du récit biblique mélangé à des inspirations telles que la théorie du chaos et celle du surhomme nietzschéen. La multiplicité d’éléments philosophiques et spirituels est alors bénéfique en ceci que le film touche à une abstraction interprétable de multiples façons. Si le film avait suivi une seule de ces pistes de façon plus approfondie, on aurait pu se retrouver face à un récit trop redondant voire lourd. Ici, Matsumoto soulève des questions davantage qu’il ne propose de réponse et sait réduire son ambition lorsqu’il le faut pour éviter les écueils. Lors de la toute dernière scène du film, notamment, Matsumoto parachève son récit avec la fin la plus ouverte possible et ainsi conclut avec une humilité bienvenue son périple symbolique. Symbol est donc un pari extrêmement audacieux mais gagnant, aboutissant sur un ovni qui a certes été comparé à d’autres films de la même ambition (2001, l’Odyssée de l’espace notamment) mais qui demeure unique et vaut certainement le détour.
Elie Gardel.
Symbol de Matsumoto Hitoshi. Japon. 2009. Disponible sur les plateformes Universciné et Orange.