La crise sanitaire aura complètement réduit à néant l’exploitation sur grand écran d’un nombre incalculable de productions cinématographiques. Tout le monde y aura perdu, les studios voient les grosses sorties repoussées sine die, et le spectateur amoureux des salles obscures doit ronger son frein en attendant des jours meilleurs. Cependant, une solution de repli a été mise en place : l’exploitation via les plateformes (payantes) de diffusion (Amazon Prime, Netflix, etc..). Et c’est donc sur Netflix que débarque le film Loin de moi, près de toi, production qui aurait dû être découverte sur grand écran mais qui se voit reléguée dans la collection Animés du géant au N rouge. Et le film mérite largement que l’on s’y attarde.
Dernier né des studios Colorido à qui l’on doit le brillant et lumineux Mystère des pingouins, et réalisé par Sato Junichi, Loin de moi, près de toi est un conte contemporain où se mêlent comédie, légendes japonaises et romance adolescente. Un mélange des genres qui pourrait vite devenir écœurant mais qui arrive à aborder tous ces thèmes sans que l’un ne parasite l’autre.
Sasaki Miyo est une adolescente énergique et débordante de vie mais qui souffre de la séparation de ses parents. Son rayon de soleil s’appelle Hinode, un adolescent qu’elle aime mais qui semble complètement rétif à ses avances. Un jour, elle va rencontrer un marchand de masques qui va lui permettre de se glisser dans la peau d’un chat. L’occasion est trop belle pour l’adolescente qui va en profiter pour se rapprocher de Hinode. Comme de bien entendu, rien ne va se passer comme prévu…
On pourrait craindre que le film verse dans le teen-drama avec une histoire d’amour comme on en trouve au kilomètre dans les productions japonaises actuelles. Il n’en est absolument rien. Pour commencer, le film refuse toute niaiserie et arrive à rendre immédiatement attachante son héroïne, qui lutte pour se faire remarquer par le jeune homme qu’elle aime, jeune homme qui semble y mettre la pire volonté du monde lorsqu’il s’agit de lui répondre. Les personnages ne sont pas parfaits et ont tous la même difficulté à exprimer leurs sentiments. Et c’est là que l’idée du masque est utilisée à bon escient. Le masque, au sens propre comme au figuré, permet de laisser cours à l’expression des non-dits, et sous la forme d’un chat, Miyo va apprendre à découvrir la vie de Hinode qui, bien évidement, ne va pas vraiment comprendre que le chat qu’il recueille n’est pas, comme il semble le croire, la réincarnation de son animal disparu. Ce jeu de faux-semblant, s’il permet à Miyo de réaliser son rêve (se rapprocher de l’élu de son cœur), ne reste qu’une fuite en avant et ce petit jeu va aller de mal en pis, le marché que propose le vendeur de masques à Miyo n’étant qu’une partie d’un plan machiavélique qui va se refermer sur elle. A ce moment-là, le film bascule dans le fantastique pur et dur, et accessoirement dans un royaume félin.
Pourtant, même si le film vire au fantastique dans sa deuxième moitié, il n’oublie pas de traiter des sujets plus actuels et concrets comme la fugue des adolescents, leur mal-être et leur impossibilité de communiquer avec les adultes. Si Miyo a disparu, c’est qu’elle fuyait quelque chose ou quelqu’un, et chacun va devoir réfléchir à la relation qu’il entretenait avec l’adolescente.
D’un point de vue scénaristique, le film souffre parfois d’un rythme trop soutenu pour son bien et semble vouloir accélérer le tempo sans raison, quitte à résoudre certains problèmes beaucoup trop rapidement. A titre d’exemple, lorsque un personnage découvre le pot aux roses, l’explication est littéralement balancée en deux lignes de dialogue et un plan avec le personnage qui accepte la situation sans sourciller, le faisant au passage passer pour un petit demeuré prêt à tout gober. Même constat lorsqu’il faut aborder le délicat sujet de la famille recomposée de Miyo : tout se joue en une scène d’affrontement semi-comique alors qu’un peu de gravité et de sérieux n’aurait pas nui, la situation étant quand même à l’origine du mal-être de Miyo et de sa volonté d’émancipation. Dans sa dernière partie qui voit Miyo explorer un arbre à chat (comprenne qui verra), le film souffre malheureusement de la comparaison avec d’autres œuvres passées par là avant lui, on pensera notamment au Royaume des chats et surtout au Voyage de Chihiro, auquel il emprunte, sciemment ou non, une ligne entière de dialogue. Qui plus est, même là, l’action semble expédiée, puisque le spectateur aura droit à une rapide course poursuite et un affrontement avec le grand méchant de l’histoire.
Malgré ces menus défauts, le film se démarque du tout venant de la production actuelle grâce à une direction artistique à tomber, le studio Colorido s’accorde à merveille avec la mise en scène de Sato Junichi, et l’écran déborde de couleurs, de sons et de détails. Si le réalisateur ne semble pas forcément à l’aise avec les scènes d’action, surtout dans la dernière partie, il arrive à rendre émouvantes et touchantes les scènes entre Hinode et Miyo, tout en retenue et avec une économie de dialogues bienvenue. Le film marque d’ailleurs beaucoup plus de points lorsqu’il met en scène le quotidien de ses héros et leurs déboires sentimentaux que lorsqu’il s’aventure dans le fantastique, à base de chats qui parlent.
En conclusion, le film de Sato Junichi n’a pas forcément la force émotionnelle et les qualités narratives d’autres grands films d’animation japonais qui ont, comme lui, traité de l’irruption du fantastique dans le quotidien, pour devenir des chefs d’oeuvre. Son rythme aurait gagné à être un peu posé vu le potentiel de son sujet, surtout d’un point de vue dramatique. Pourtant, il se hisse au dessus de la moyenne grâce à une mise en scène énergique et colorée, à des personnages immédiatement attachants et une vraie volonté de raconter un conte contemporain où se mêlent mythes japonais et sujets d’actualité.
Romain Leclercq.
Loin de moi, près de toi de Sato Junichi. Japon. 2020. Disponible sur Netflix le 18/06/2020