NETFLIX – Nausicaä de la vallée du vent de Miyazaki Hayao

Posté le 9 mai 2020 par

Réalisé avant la création du studio Ghibli, Nausicaä de la vallée du vent, de Miyazaki Hayao, se retrouve pourtant sur Netflix. Donc on en profite !

Second film de cinéma de Miyazaki Hayao, Nausicaä est l’œuvre qui va tout changer pour lui et contribuer à la création du studio Ghibli. A la fin des années 70, Miyazaki est réduit au statut de brillant exécutant au côté de son mentor Takahata Isao pour la série Heidi dont il est le directeur d’animation. Il aura également la possibilité de signer la série Conan, le fils du futur (beau brouillon de toute son œuvre à venir) et d’imprégner de sa patte Le Château de Cagliostro (1979) de la franchise Lupin III. Il rêve cependant d’œuvres plus ambitieuses et personnelles, possibilité entrevue uniquement sur Horus, le prince du soleil (1968) de Takahata Isao. Ce film fut la première tentative de prise de pouvoir des créateurs au sein de l’animation japonaise avec un essai plus sombre et adulte que Takahata met en scène et dont Miyazaki est directeur de l’animation. L’échec commercial du film signera le glas de ces espérances mais fait sensation dans le monde de l’animation.

Quelques années plus tard, Suzuki Toshio, journaliste au sein de la revue spécialisée Animage, souhaite revenir sur le film avec Miyazaki et Takahata dans un article sur les classiques de l’animation. Les deux, accaparés par leur projets du moment et peu enclins à reparler d’un souvenir douloureux, le rabroueront dans un premier temps. Suzuki poursuit pourtant son soutien à Miyazaki dans la revue, enjoignant notamment celui-ci à façonner son propre manga (une « franchise » connue étant la seule voie pour financer un film d’animation) qui donnera plus tard Nausicaä de la vallée du vent. Les articles dithyrambiques sur le manga dans Animage finissent par attirer l’attention des producteurs. Après une hésitation entre une OAV et une série télévisée, un projet de long-métrage voit le jour grâce à l’alliance de l’éditeur Tokuma Shoten et l’agence de publicité Hakuhodo qui coproduiront le film. Ghibli n’existe pas encore mais sa structure si, puisque Miyazaki va faire appel à son ami Takahata pour être son producteur et solliciter nombre d’animateurs qui seront des futurs piliers du studio.

Nausicaä se pose par son ambition, son souffle épique et ses thématiques comme une véritable matrice du futur Princesse Mononoké (1997). Si ce dernier est un des films les plus sombres et désabusés de son auteur, Nausicaä fonctionne totalement comme un pendant lumineux et chargé d’espoir. Le lointain futur post-apocalyptique du film dresse un monde à la fois en sursis mais paisible où les habitants d’une vallée coexistent avec une forêt toxique abritant d’étranges insectes géants, les ômus. Miyazaki, en adoptant le point de vue de la jeune princesse Nausicaä, exprime d’abord le mystère et la fascination pour cette forêt et sa faune, l’héroïne symbolisant une curiosité et une volonté de compréhension de cet ailleurs si proche et si différent. Les ômus sont des créatures instinctives qui n’agissent qu’en réaction d’une agression, ne suscitant une menace que pour ceux s’arrêtant à leur allure massive et intimidante. Dès leur saisissante première apparition, l’attitude apaisante et le courage de Nausicaä suffit à détourner le danger. Cette réponse à la peur par la bienveillance est parfaitement résumée lorsque le personnage apprivoise un petit animal craintif, le laissant lui mordre le doigt sans le repousser et ainsi le mettre en confiance. Cet équilibre et coexistence de toute chose se prolonge aussi dans ce que l’on apprendra de l’écosystème de la forêt, organique, nécessaire et pas aussi nocif que supposé. C’est une révélation qui arrivera une fois de plus en se plongeant dans les entrailles de cet espace pour en découvrir la logique. Le vrai chaos ne vient que des intentions préventives et belliqueuses des différentes puissances en place (même si Miyazaki a grandement simplifié les enjeux géopolitiques du manga dans son adaptation) où il ne s’agit que de dominer l’autre, les pacifistes habitants de la vallée autant que les ômus. Le réalisateur développe brillamment ce parallèle quand Nausicaä cédera à ses bas instincts en décimant sauvagement une troupe de soldat de l’empire tolmèque avant d’être apaisée par son mentor Yupa qui lui rappelle ses devoirs envers la communauté. Les remords du personnage montrent ainsi le fossé qui la sépare des antagonistes guidés par la peur et l’ambition.

Visuellement Miyazaki paie son tribut à Moebius (notamment Arzach) avec des environnements reposant à la fois sur le gigantisme et l’épure. La sophistication va aux éléments guerriers, les massives forteresses aériennes bénéficiant de moult détails quand le planeur de Nausicaä brille par une simplicité qui l’invite à se fondre dans le ciel plutôt que de s’y imposer. La forêt égare par sa densité, sa végétation étrange et les créatures autres qui la parcoure, la notion de verticalité et horizontalité devenant confuse dès que l’on quitte le monde des humains. Les ômus sont des créations fascinantes reposant justement sur ce mélange de gigantisme et d’épure. Miyazaki traduit dans leur design cet aspect de conscience collective supérieure, tout à la fois bienveillante (le magnifique flashback onirique de Nausicaä) et agressive. Le code couleurs changeant du bleu au rouge de leurs yeux selon les émotions est une idée simple mais brillante, où le réalisateur traduit leur singularité sans anthropomorphisme. De manière générale, le rouge est la couleur de la colère et de la destruction, celle qu’endosse notamment le Géant (métaphore explicite de la bombe atomique) et dont il éclaire ses ravages et aussi celle de l’armée. Symboliquement Miyazaki fait retrouver la couleur bleue à la tunique de Nausicaä lors du final pacifiste.

Nausicaä se différencie de Princesse Mononoké par son profond optimisme.La dichotomie ne repose que sur la peur et l’incompréhension dans un monde certes post-apocalyptique mais où le renouveau est possible. La forêt et les ômus sont différents mais pas supérieurs aux humains et l’issue de l’intrigue ne doit pas signifier la fin d’un monde pour la continuation de l’autre comme ce sera le cas avec la disparition du Dieu-cerf de Princesse Mononoké. L’instinct profond est autant au service de la peur que de l’harmonie, ce que Miyazaki illustre de façon subtile (dans le revirement ou l’ambiguïté de certains protagonistes) puis spectaculaire dans le grand final où le sacrifice d’une personne suffit à stopper la marche d’une entité collective. La croyance animiste chère au réalisateur est déjà là, la violence ne venant que de ceux divisant les peuples pour les dominer alors que l’apaisement ne peut naître que par la conscience que tout est connecté (le lien télépathe avec les ômus passant notamment par leurs tentacules). La dimension de sainte ou d’élue entourant Nausicaä témoigne de cet optimisme (quand les héros de Princesse Mononoké restent désespérément humains et impuissants face aux événements) mais c’est avant tout une ode à la féminité dans tout ce qu’elle peut avoir de clairvoyant, maternel et bienveillant pour le réalisateur qui impose là sa première grande héroïne. Nausicaä est une œuvre immense et parmi les plus significatives de la vision du monde de Miyazaki, riche de la foi en l’autre qui l’animait encore. Le film sera un succès immense dont les recettes contribueront à poser les premiers jalons du studio Ghibli.

Justin Kwedi.

Nausicaä de la vallée du vent de Miyazaki Hayao. Japon. 1984. Disponible sur Netflix le 01/03/2020