Netflix – Followers de Ninagawa Mika

Posté le 21 avril 2020 par

Photographe et réalisatrice, Ninagawa Mika (Helter Skelter) s’attelle pour la première fois à la série avec Followers, un J-drama Netflix aux tonalités pop et tout en légèreté, qui a néanmoins bien plus de nuance et de profondeur que ce que son titre peut laisser augurer.

Natsume s’est installée à Tokyo en caressant le rêve de devenir actrice, mais ne parvient à décrocher que des contrats de figuration. Sa vie change du tout au tout le jour où un cliché d’elle est publié sur le compte Instagram de Limi, photographe de mode au sommet de sa popularité. Pourtant, à bientôt 40 ans et célibataire, cette dernière s’aperçoit qu’elle n’a plus beaucoup de temps pour concrétiser son désir de maternité… et ce sans vouloir laisser sa carrière de côté.

 

Avant de se tourner vers le cinéma, Ninagawa Mika s’est surtout fait connaître en tant que photographe. Elle joue notamment de son flash dans les milieux de la mode et de la publicité, alors, lorsqu’elle s’attelle à Followers, on sent bien qu’elle maîtrise son sujet. Qu’il s’agisse du cadre, de la direction artistique ou de la psychologie de ses personnages, elle appose partout sa patte à la saveur unique, pour un résultat hautement vivifiant qui fait la part belle aux femmes.

Il faut dire que c’est la première fois que la réalisatrice a l’occasion de travailler avec un scénario 100% original. Des quatre films qu’elle a signés à ce jour, trois sont des adaptations de mangas, et le dernier est un biopic. Pour autant, il n’en s’agissait pas moins d’œuvres au style flamboyant, marquées par des récurrences thématiques et une esthétique immédiatement reconnaissable que l’on retrouve ici à son paroxysme. Ladite esthétique, qui puise directement dans sa carrière dans la mode, s’appuie notamment sur des choix audacieux de costumes et décors, dont les teintes acidulées et les motifs chatoyants se disputent sans cesse le regard du spectateur. En somme, le monde entier devient le prolongement des plateaux sur lesquels les modèles posent pour les grands magazines – et on pense aux personnages et environnements les plus excentriques de Sono Sion, dans Tokyo Vampire Hotel ou Antiporno par exemple.

Cependant, contrairement à son fougueux compatriote, ou plus encore à la froideur d’un Nicolas Winding Refn lorsqu’il tourne The Neon Demon, Ninagawa va à la rencontre de cet aspect tapageur par des choix de mise en scène qui peuvent sembler doucereux à l’excès. Dans quelle mesure ces plans éculés des cerisiers en fleurs ou de la tour de Tokyo de nuit, cet usage peu subtil des lense flares et des ralentis font partie des passages obligés du J-drama dans lequel la série s’inscrit ? Difficile à dire, mais cette mièvrerie persistante, aidée du dynamisme de la bande originale, a pour effet vertueux de faire baigner l’œuvre dans une aura de bienveillance, et de rendre son aspect mirifique à un milieu qu’il est devenu coutumier de peindre aux couleurs du cauchemar. Ninagawa s’était d’ailleurs elle-même prêtée à l’exercice avec son horrifique Helter Skelter : Followers n’aura de cesse de nous rappeler qu’elle en est tout l’inverse.

C’est sans doute à ce niveau que l’évolution de Ninagawa en tant que cinéaste se fait le plus sentir : Helter Skelter narrait la descente aux Enfers, dans une dégradation aussi bien physique que mentale, de la top model Lilico, incapable d’accepter son déclin face au vieillissement et à la concurrence posée par l’émergence d’une nouvelle égérie. Followers, loin de renier cet héritage, l’embrasse au contraire pour mieux le dépasser : Sawajiri Erika et Mizuhara Kiko, les actrices principales du film, ont ici droit à leur caméo, tandis que Nakashima Mika incarne une chanteuse, Sayo, qui évoque très largement Lilico – jusque dans le décor de son appartement – pour lui offrir un dénouement bien différent. Le contraste majeur entre les deux starlettes réside dans la relation que chacune entretient avec sa manager, car lorsque Lilico s’évertue à détruire la sienne, Sayo trouve sa rédemption dans l’inébranlable soutien de celle-ci.

Cette distinction est symptomatique de l’inversion de tendance qui est au cœur de la série. Jusqu’à présent, la rivalité féminine était omniprésente dans l’œuvre de Ninagawa. Ainsi, au-delà d’Helter Skelter, dans les maisons de plaisir de Sakuran, Tsuchiya Anna était résolue à devenir oiran (courtisane de haut niveau) à la place de l’oiran, tandis que Sawajiri Erika, Nikaido Fumi et Miyazawa Rie se disputaient les faveurs de l’écrivain Dazai dans No Longer Human. Seul le récent Diner échappait quelque peu à la règle, mais son héroïne était une otage jetée en pâture à des hommes tordus. Point de tout cela dans Followers : si, inévitablement, il y est question de compétition, les dynamiques antagonistes restent très secondaires et c’est avant tout la solidarité entre les personnages qui leur permet de faire face à l’adversité et de relever les défis posés par leur milieu. Surtout – et à l’image des costumes – nul n’y est tout à fait noir.

Avec un titre tel que Followers, on se serait volontiers attendu à un tacle contre la superficialité des réseaux sociaux, la nature éphémère de la gloire qu’on y acquiert et l’avidité des médias en quête perpétuelle de chair fraîche. Le scénario y prend bel et bien racine, mais l’arbre qui en pousse est sain, et la trajectoire de chaque protagoniste s’y traduit par une prise de pouvoir et une affirmation de soi – que ne fait que souligner leur éblouissante hardiesse vestimentaire. Si les intentions n’étaient pas assez claires, l’intrigue débute et se conclue sur une cérémonie visant à récompenser la « femme du futur ». S’il s’agit, certes, encore d’un concours, celui-ci a avant tout pour ambition de mettre en valeur ses lauréates, pour leurs accomplissements mais aussi leur capacité à inspirer leurs consœurs. Les discours passionnés qui y sont prononcés par Limi pourraient bien tenir lieu de note d’intention pour la série elle-même.

D’ailleurs, plus d’une fois, on a le sentiment que c’est Limi qui porte le mieux le propos. On le doit à Nakatani Miki (Real) qui l’interprète, mais peut-être aussi au fait que c’est la plus proche de Ninagawa en termes de carrière et d’âge. Cela se ressent au niveau de l’écriture, qui fait preuve de plus de complexité et de subtilité à son égard, que ce soit dans son rapport à son travail ou à sa vie personnelle – on retrouve d’ailleurs l’incontournable Asano Tadanobu (Harmonium) dans le rôle d’un ancien amour. A ses côtés, il y a aussi Eriko, une inénarrable chef d’entreprise d’âge mûr qui prend un amant dans la vingtaine, ainsi qu’Akane qui est, elle, résolue à faire passer son métier d’agent avant tout en dépit des injonctions à la vie de famille. Toutes sont, à leur manière, des figures féminines fortes et modernes, dont les conflits semblent prendre particulièrement sens au Japon mais restent tout aussi pertinents dans les sociétés occidentales.

Seule Ikeda Elaiza (The Virgin Psychics) reste un rang en-dessous dans le rôle plus rebattu de Natsume. Toutefois, notons qu’elle s’inscrit dans la lignée des héroïnes de Ninagawa : elle est mannequin mais aussi métisse, comme tant d’actrices vues chez la réalisatrice (Tsuchiya Anna, Kimura Yoshino, Sawajiri Erika, Mizuhara Kiko, Miyazawa Rie et Tamashiro Tina). C’est là un motif trop récurrent pour qu’il soit anodin, et l’on ne peut que suspecter une volonté spécifique de mettre en avant des hāfus, ces Japonais nés d’un parent étranger qui, s’ils sont appréciés des podiums des défilés, ont à subir leur lot de dénigrements dans des recoins moins prestigieux de la société. Cela n’aurait rien d’étonnant puisque, en sus de cela et du féminisme, Followers aborde également la question de l’homosexualité, notamment féminine, en caressant les enjeux du mariage gay et l’impossibilité pour les couples de même sexe de concevoir un enfant.

On l’aura compris, en dépit de son emballage glamour et sirupeux, Followers est un J-drama qui n’hésite pas à prendre à bras-le-corps les question liées aux inégalités – en tête desquelles le sexisme – mais en les traitant avec chaleur, humour et optimisme… sans oublier beaucoup de style. Loin de tomber dans la facilité de montrer les médias comme un gouffre vers lequel on se précipite, la série les peint plutôt comme des flots tumultueux sur lesquels il faut apprendre à naviguer. Jusqu’ici, Ninagawa s’était bien gardée d’être moralisatrice dans son œuvre, exploitant avant tout les tensions pour leur portée dramatique, mais elle semble avoir franchi là un pas de plus, lui permettant de transcender son sujet pour s’offrir une vraie bouffée d’air frais. Si elle paraît par moments faire preuve de naïveté, l’ensemble irradie d’une telle bienveillance qu’on aurait bien du mal à lui en vouloir. C’est là une friandise dépourvue de toute amertume, un cadeau fait de bon cœur. Surtout, c’est un encouragement qui fait profondément du bien car il ne montre pas tant des femmes qui luttent que des femmes qui réussissent, et c’est bien plus inspirant.

Lila Gleizes

Followers de Ninagawa Mika. Japon. 2020. Disponible sur Netflix.

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