Carlotta vient de lancer son offre VoD et c’est une véritable aubaine pour les confinés que nous sommes. L’occasion, par exemple, de découvrir La Servante de Kim Ki-young, qui a été restauré en 2008.
C’est comme par effraction que l’on entre dans l’univers de La Servante. On observe par la fenêtre un foyer coréen typique de ce début des années soixante, avant d’y pénétrer grâce à un travelling avant nous permettant de traverser la vitre pour mieux regarder ce que l’on a sous les yeux. Le message est assez clair (et il le sera encore plus lors de la scénette moralisatrice finale, vestige édifiant et croquignolesque d’une époque révolue) : l’histoire qui va nous être contée peut toucher n’importe quelle famille coréenne. Vous, qui regardez ce film n’êtes pas à l’abri des déboires qu’il décrit. Et si cela se passe sous vos fenêtres, c’est aussi derrière vos propres rideaux que cela peut arriver.
Fenêtre sur cour
L’apostrophe est pourtant dès cette introduction ambiguë et met mal à l’aise, en jouant à la fois sur la proximité et le voyeurisme. Le conte moral n’est qu’une façade érigée malicieusement pour tromper bourgeois et censeurs. La vérité du film se situe plus dans la place trouble dans laquelle il met le spectateur que dans la désuète leçon que l’on est censé tirer de la tragédie qu’il nous conte.
La Servante met quelque temps à se dévoiler : ce n’est que petit à petit que la chronique réaliste se transforme en spirale cauchemardesque, entraînant son spectateur dans un abîme terrifiant creusé par la lâcheté humaine. Suicide, infanticide, avortement : le film ne recule devant aucun tabou pour nous présenter son univers vicié. En son cœur : un érotisme et refoulé lattant contaminant chaque couche de bienséance.
L’objet du désir est pourtant cette fois bien peu obscur : il s’agit d’un professeur de piano bien sur tout rapport, et qui a pour seul tare de faire craquer ses élèves pour lui. Rongé par la culpabilité quand l’une d’entre elles finit par se suicider suite à son renvoi engendré par ses actions, il finit par succomber aux griffes d’une servante mi-naïve, mi-perverse.
Le masque sur le mur
Tout dérape après ce faux pas et prend une allure inquiétante. Les détails quotidiens sur lequel le film insiste prennent une figure terrifiante. C’est comme s’ils devenaient monstrueux, démesurés, vus à travers une loupe grossissante : des escaliers, de la mort aux rats, un piano, sont autant d’élément lugubres et funestes. Le film distille ainsi une cruauté flottante, transformant le banal en danger, avant d’assumer pleinement son surréalisme grotesque. La Servante hyperbolise les situations en jouant de manière exagérée avec les éléments (notamment météorologique : il faut voir la pluie accentuer la montée du trouble et du désir, puis la foudre s’abattre sur un arbre au moment paroxysmique !).
Les masque grimaçants qui ornent la demeure, dans lequel presque tout le film se situe, ne sont pas étrangers à cette impression et s’immiscent aux quatre coins du cadre de manière plus en plus visible. Toute la cruauté latente et la veulerie des personnage ressortent alors dans une tragédie paroxystique, qui continue, cinquante ans après sa création, d’être un spectacle d’une modernité et d’une rudesse saisissantes.
Victor Lopez.
La Servante de Kim Ki-young. Corée. 1960. Disponible sur le Vidéo Club Carlotta