Après L’Homme qui venait de la mer, hélas encore non distribué en France, voici le retour de Fukada Koji avec L’Infirmière, sélectionné au Black Movie sous le titre A Girl Missing, un drame sur l’amour/haine, la destruction de la cellule familiale et le lynchage médiatique.
Fukada reprend dans L’Infirmière la malveillance qui transpirait de Harmonium. Dans ce dernier, un personnage maléfique s’immisçait dans la vie d’une famille pour le pire. Ce qui était le point de départ d’Harmonium est la conclusion de L’Infirmière. Une histoire de vengeance avec la volonté de briser un être humain. Tout avait pourtant bien commencé et c’est le fameux dévouement nippon que Fukada met en avant, avec la figure d’Ichiko (superbe Tsutsui Mariko), une infirmière à domicile aimée de tous, qui s’occupe d’une grand-mère grabataire et pousse la bonté jusqu’à aider sa petite-fille dans ses devoirs scolaires. Mais un jour, cette jeune-fille disparaît… Ichiko est-elle coupable ? Est-elle liée de prêt ou de loin à cette disparition ? A-t-elle, dans son passé, commis des impairs à l’encontre d’enfants ? Le sort va alors s’acharner sur elle : les membres de la famille dans laquelle elle officie la rejette, tout comme ses collègues de travail, l’homme qu’elle devait épouser, et les médias… Une descente aux enfer.
Comme Harmonium, L’Infirmière est un film subtil qui a de quoi déstabiliser son spectateur. Un film qui commence par montrer en deux scènes, une même actrice aux noms et à la coiffure différentes. Le mystère persiste grâce au montage de Fukada qui mélange réalité et illusion, passé et présent… tant est si bien que c’est après plus de 30 minutes qu’on entre dans le vif du sujet.
Est-ce un polar ? un mélodrame ? une comédie romantique très cruelle ? L’Infirmière est un film d’une instabilité redoutable, tout en ruptures de tons, capable de laisser les plus réfractaires sur le bas côté. Il faut se laisser porter par ses personnages énigmatiques, ses silences et cette étrangeté parfois surréaliste, comme cette scène où l’infirmière se déplace à quatre pattes dans la cour d’un immeuble, tel un animal blessé.
Avant d’écrire le scénario, Fukada avait un seul souhait : tourner avec Tsutsui Mariko (déjà présente dans Harmonium). C’est bien elle qui crève l’écran dans ce rôle d’infirmière modèle et d’archange de la vengeance, être brisé « au bord du gouffre » (en référence au titre littéral japonais de Harmonium). On n’avait pas encore vu un tel personnage vampiriser autant l’écran chez Fukada. Un Fukada marionnettiste qui, de manière perverse, tire les ficelles de cette histoire malsaine, avec finesse et brio. Gageons qu’il a encore des êtres brisés à faire danser pour notre plus grand désir.
Marc L’Helgoualc’h
L’Infirmière de Fukada Koji. Japon. 2019. Projeté au Black Movie 2020