Pour son deuxième long-métrage Default, Choi Kook-hee revient sur la crise monétaire de 1997 en Corée dans une reconstitution minutieuse et incisive de ses origines, sa gestion et enfin ses conséquences sur le pays. Présenté dans la section Paysage du Festival du Film Coréen à Paris, Default est une charge frontale sur l’irresponsabilité des puissants.
En 1997, la Corée du Sud fait face à une banqueroute totale de son économie. Han Shi-hyeon est à la table des négociations, se refusant à abandonner toute souveraineté au FMI. Jung-hyak, lui, est un jeune trader ambitieux et opportuniste qui profite de ses connaissances et de son intuition de la crise imminente pour faire fortune. Gab-su, à la tête d’une toute petite société, est au contraire vite pris à la gorge par la situation. Ces histoires et trajectoires vont se croiser et révéler la perversité du système économique contemporain.
Depuis quelques années, le genre du « film de finance » connaît une résurgence, avec des tentatives plus ou moins réussies. Default se place assurément dans la première catégorie, et propose un drame percutant sur la courte période, quelques semaines, qui a déterminé la situation sociale de la Corée actuelle. Les tenants et aboutissants financiers d’un crash sont peu cinégéniques de prime abord et la difficulté première est de ne pas perdre le spectateur dans les technicités de cet univers très spécifique. Le film passe cette étape haut la main, grâce à un scénario accessible et surtout extrêmement clair ainsi qu’à une mise en scène soutenue qui amène les enjeux efficacement sans pour autant les surligner. Choi Kook-hee maîtrise complètement son sujet, montre en restant à hauteur d’homme et prend du recul quand il s’agit d’observer les rouages d’un système défectueux. La démonstration est déroulée sans détours ni concessions d’une manière qui puisse toucher le plus grand nombre sans amoindrir le niveau de la réflexion. Cette ambition ne rend le film que plus appréciable et le place alors parfaitement aux côtés de longs métrages tels que Margin Call et The Big Short, traitant de la crise de 2008 mais partageant ce regard à la fois singulier et exigeant.
Multipliant les points de vue, Default donne une voix à chacun des protagonistes de la crise : les décisionnaires, les vainqueurs et les victimes collatérales. On alterne ainsi entre un drame choral à la manière de ce qu’avait pu faire Jang Joon-hwan dans 1987: When The Day Comes l’an dernier, et les coulisses de la crise. Cette dernière est passionnante, d’autant plus que le film prend le temps de remettre les enjeux en présence dans leur contexte et d’en expliquer les origines lors d’une scène très réussie qui alterne entre théorie (une présentation sur l’opportunité d’investir dans la crise) et pratique (la signature d’un contrat empoisonné par le petit patron d’entreprise). Mieux qu’un cours d’économie, les maillons de la chaîne et les implications de l’effet domino que produit un dysfonctionnement dans le processus sont introduits en quelques minutes tout en s’insérant dans le récit de manière fluide.
Une grande partie du film se concentre sur la négociation du gouvernement et de la Banque de Corée avec le FMI (son représentant étant incarné avec ce qu’il faut de morgue par notre Vincent Cassel national). Par le biais d’une mise en scène simple et sans effets de manche, le cinéaste donne à ces scènes, les plus réussies du film, une réelle ampleur tragique, l’impression que la mécanique du désastre est déjà en marche et ne peut être arrêtée. Tout d’abord, le réalisateur ménage une tension graduelle, en tirant parti des successions de réunions à huis-clos et ce qu’elles révèlent des dessous d’une tractation jouée d’avance. A la manière d’une tragédie antique, le film se concentre sur le personnage de Kim Hye-soo, formidable comme toujours, sorte de Cassandre qui ne peut qu’assister impuissante à la fatalité amenée par l’arrogance et les arrangements d’un système dont elle refuse d’être complice. Le fait que le personnage soit une femme rend la critique encore plus saisissante qu’autour d’elle se cristallise tout le mépris de classe selon la position, l’origine sociale ou le sexe et auquel elle se heurte à chaque étape. Ensuite, le sujet traité est sans cesse mis en perspective avec l’histoire d’un pays qui ne cesse d’être pris entre les intérêts de plus grandes puissances, l’impérialisme problématique des Etats-Unis n’en étant pas des moindres (coïncidence ou pas, ceci est également illustré dans le documentaire Shoot the Sun by the Lyrics, présenté dans la section Classiques du festival) et une hiérarchie de classe inhérente à une culture maintenue dans le passé par 10% des plus riches.
Le parti pris de la mise en scène la plus sobre possible sert parfaitement la violence du propos : sans débat, la classe moyenne est sacrifiée au profit d’un deal complètement déséquilibré qui ne sauvera que partiellement la face. La décision étant prise par les entités mêmes qui ont pour rôle de protéger les intérêts publics, qu’elles soient nationales ou internationales (la dénonciation de l’absence de neutralité du FMI étant très sévèrement pointée du doigt).
Si cette reconstitution critique des événements est énoncée avec pertinence et brio, la partie qui tend davantage vers le drame choral est moins convaincante. Malgré un excellent casting, les divers personnages et arcs manquent de chair ou connaissent un développement inabouti et frustrant. Ainsi, le personnage du petit patron est un peu trop caricatural et sa descente progresse de manière assez maladroite quand elle aurait dû prendre aux tripes. Plus mal servi encore, le personnage interprété par Yoo Ah-in, brillant cynique qui voit dans la crise le moyen de créer un empire. Passé quelques scènes initiales très prometteuses, le personnage est complètement abandonné jusqu’à perdre toute substance, ses motivations revanchardes restant très opaques et ses convictions étant à peine effleurées sans que rien ne soit mené jusqu’au bout. Pourtant très à l’aise dans l’arc purement financier, le film semble ne pas savoir quoi faire de ces autres arcs narratifs hors de la simple illustration, ce qui a pour effet de les vider de leur force potentielle. La révélation, quelque peu artificielle, du lien entre tous ces personnages tombe ainsi à plat et échoue à instiller l’émotion bien plus présente lorsqu’il s’agit d’explorer les arcanes du système. Il manque un souffle dramaturgique à ce film peut-être trop cérébral pour complètement emporter le spectateur qui ne peut qu’admirer la démonstration mais reste un peu à l’extérieur de l’aspect plus psychologique et émotionnel de ce qui se noue.
Constat d’échec édifiant, le réalisateur choisit néanmoins de conclure sur une note prudemment optimiste : si les crises sont vouées à se répéter, les vaincus d’hier seront les résistants de demain, mieux préparés pour agir à ne pas laisser les mêmes erreurs être commises.
Claire Lalaut
Default de Choi Kook-hee. 2019. Corée. Projeté lors de la 14ème édition du Festival du Film Coréen à Paris.