VIDEO – Cops and Robbers d’Alex Cheung – polar prototypal

Posté le 26 septembre 2019 par

Alors que le polar hongkongais des années 80 et 90 fut pendant longtemps l’un des plus grands représentants des cinémas asiatiques en Occident, la période durant laquelle son origine vit le jour est beaucoup moins connue. Spectrum Films nous permet peu à peu de combler ces lacunes, en proposant notamment en vidéo Cops and Robbers d’Alex Cheung.

Cops and Robbers est un film de la nouvelle vague hongkongaise datant de 1979. Pour correspondre à cet attribut, il faut répondre à deux caractéristiques : être sorti entre 1978 et 1983, et avoir un réalisateur qui a fait ses armes à la télévision – la liberté de ton qui régnait à cette époque dans le 8e art était propice à l’expérimentation pour toute une série de jeunes réalisateurs, tels que Tsui Hark, Ann Hui, et donc, Alex Cheung. Dans Cops and Robbers, on suit le duel entre quelques policiers et des braqueurs de banque, les uns comme les autres faisant montre d’une grande violence.

Cops and Robbers est de ces films qu’on peut qualifier d’« initiateur ». Bien qu’on observe des traces de polar avant 1979 dans le cinéma hongkongais (se référer pour cela au très bon livre d’Arnaud Lanuque, Police VS Syndicat du crime), l’œuvre d’Alex Cheung est le manifeste du polar hongkongais moderne. Tout d’abord, il embrasse des gimmicks qui deviendront phares dans le genre : les interrogatoires musclés, la non-sinécure que représente le métier de policier dans les bas-fonds hongkongais, les braquages en plein centre de Hong Kong, les courses-poursuites dans un dédale… Ce qui le différencie de ses successeurs, c’est son absolue sécheresse, là où le meneur de file des années 80, John Woo, aura teinté son travail d’un bel élan romantique. Dans tous les cas, en l’espace d’une heure trente, le spectateur hongkongais de l’époque a pu voir quelque chose de radicalement différent des productions wu xia pian en mandarin qui ont envahi les écrans, et accéder à une œuvre qui le plongeait dans la réalité de son quotidien. De cet état de fait, on distingue un bouillonnement, un film explosif malgré son ton sec, et c’est pour cela qu’en 2019, l’œuvre n’a pas perdu de sa superbe en matière de thématique. Sans doute, aussi, qu’on a là un métrage qui synthétise d’une manière pure les gimmicks du polar, et associé à son rythme endiablé, il en ressort une œuvre nerveuse, intelligente et haletante.

Car effectivement, Alex Cheung est parvenu à créer une dynamique dans son film. La première partie montre une opération de police somme toute assez simple. Puis la seconde séquence débute sur un gros plan de l’un des criminels, manipulant une arme à feu. On appréhende son allure inquiétante et dès lors, le film ne cesse de monter en puissance : le boss calibre son équipe et effectue le braquage, puis s’en suit des péripéties violentes qui clouent le spectateur sur son siège. Cops and Robbers n’est pas seulement ce genre de film qu’il faut regarder avec des yeux d’historien du cinéma ; ses qualités intrinsèques en font un authentique film de genre, à la fois représentatif de son contexte créatif (il met en exergue les craintes liées à la monté de la criminalité et en filigrane, les méthodes de la police) et navigue dans un environnement crasseux, un Hong Kong de tous les dangers.

En plus de cela, mentionnons que l’œuvre est le fruit de la rencontre entre Alex Cheung et Teddy Robin Kwan. Tout d’abord musicien célèbre dans les années 60, Kwan voulu entrer dans le monde du cinéma et pour cela, il frappa à la petite porte d’Alex Cheung, encore débutant dans le milieu. Notons que Cheung appréciait grandement la musique de Kwan, qu’il voyait comme une véritable star, et se sentit honoré d’un tel démarchage. Kwan et Cheung ébauchent quelques projets dans les années 70, dont le premier long-métrage à se concrétiser est Cops and Robbers. Quel rôle joue Kwan là-dedans ? Il est crédité au scénario tout comme Cheung, et surtout, il a composé les theme songs du film. Il intervient directement à l’intérieur de l’intrigue en campant le rôle d’un rockeur tel qu’il est réellement. Les morceaux, de très bonne facture, apportent une ambiance toute particulière au film, lui conférant, malgré son scénario noir, une touche de légèreté, de jeunesse rock, à l’image de ses créateurs.

Cops and Robbers est le prototype du polar à la John Woo, teinté d’une maturité dans le ton, issu du cheminement créatif de la nouvelle vague hongkongaise. Assurément une belle pièce du catalogue de Spectrum.

L’édition combo blu-ray/DVD

Le film présente quelques « moirages » dans l’image et on peut le regretter. Mais il faut savoir que beaucoup de films chinois de cette époque étaient très mal conservés et sans doute n’y a-t-il pas de meilleure version. L’image reste nette et parfaitement regardable.

Les bonus sont au nombre de 6 : une présentation du film par Arnaud Lanuque, spécialiste du cinéma hongkongais (sus-mentionné pour son livre sur les polars hongkongais), qui apporte des éléments contextuels intéressants ; un entretien avec Julien Sévéon, spécialiste du cinéma de genre asiatique, à propos du polar à Hong Kong, qui fait montre d’une connaissance encyclopédique du sujet ; un montage des rush (du film et d’essais de jeunesse) en super 8 tournés par Alex Cheung, document paraissant étrange mais permettant de cerner, in fine, le changement d’air dans le cinéma à Hong Kong à cette époque ; un entretien d’une heure avec Alex Cheung qui revient très en détail sur son travail, de manière passionnée ; une rencontre avec Teddy Robin Kwan, tout aussi précise ; ainsi que les habituels éclairages de Youtubers : Dirty Tommy, La Critique Masquée et l’équipe de No Ciné. Tout cela est très riche et permet même de balayer plus large que la simple fenêtre du film. Un beau travail éditorial !

Maxime Bauer.

Cops and Robbers d’Alex Cheung. Hong Kong. 1979. Disponible en vidéo chez Spectrum Films le 23/04/2019.

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