RETRO – Désirs volés de Imamura Shohei (en salles le 22/05/2019)

Posté le 29 mai 2019 par

Mary-X Distribution propose, en ce 22 mai, le film japonais Désirs volés, sorti en 1958 et réalisé par Imamura Shohei : un opus précoce et rare, mais déjà riche des motifs des classiques à venir.

Après des débuts en tant qu’assistant d’Ozu à la Shōchiku, Imamura Shohei quitte le studio pour intégrer la Nikkatsu moins prestigieuse mais plus rémunératrice. Il y fera dans un premier temps des travaux de scénariste remarqués notamment sur  la comédie satirique Chronique du soleil à la fin de l’ère Edo de Kawashima Yūzō (1957) avant d’avoir l’opportunité de passer à la mise en scène pour Désirs volés. On qualifie parfois ce premier film de mineur et impersonnel mais on y trouve pourtant déjà tous les motifs qui irrigueront le cinéma d’Imamura par la suite.

La dimension anthropologique et documentaire se ressent notamment dans la scène d’ouverture filmant la ville d’Osaka depuis le ciel tandis qu’une voix-off nous en dépeint les monuments passés et modernes, puis les coutumes et habitants. Au fur et à mesure de cette description, le cadre se rapproche des toits de la ville pour ensuite en filmer les rues, comme un microscope scrutant au plus près des insectes en mouvement. Le film n’adopte pas encore la froideur clinique d’œuvres comme La Femme Insecte (1963) ou Le Pornographe (1966) mais scrute déjà avec crudité les comportements excessifs et compulsifs inhérents à la nature humaine. Le terrain d’observation sera ici une petite troupe de théâtre qui a bien du mal à subsister. La troupe est ainsi obligée d’ouvrir son spectacle sur un numéro de strip-tease pour attirer le spectateur, masculin pour l’essentiel, et qui décampe aussitôt l’effeuillage terminé et ne s’attarde pas pour la pièce. Une situation qui crée donc des dissensions entre le directeur de la troupe et ses acteurs trop rarement payés à leur goût, ce qui offre une dispute épique durant l’entrée en matière. Contrainte de quitter cette grande ville inhospitalière, la troupe va alors investir un village où elle semble bien plus attendue.

Imamura observe les passions qui s’agitent dans cette vie en communauté. Le réel attachement mêlé de je-m’en-foutisme concernera les acteurs qui, tout en se plaignant, ne peuvent se détacher de cette vie. Le jeune auteur Shinichi (Nagato Hiroyuki) est lui animé par la vraie flamme du théâtre pour laquelle il a renoncé à une carrière plus balisée et s’accroche à la troupe également pour la passion secrète qu’il nourrit pour Chidori (Minamida Yōko), la fille du directeur. Celle-ci est pourtant déjà mariée tandis que sa jeune sœur Chigusa (Kita Michie) est également folle amoureuse de Shinichi. Imamura signe un film véritablement en réaction du cinéma d’Ozu, une influence indirecte puisque tout concourt chez lui à aller à contre-courant du classicisme et de la retenue de son aîné. C’est particulièrement flagrant si on compare Désirs volés à Herbes flottantes (1959) où Ozu dépeint également une troupe de théâtre. Ici, le réalisateur entre dans l’excès des sentiments et comportements compulsifs encore baignés d’humour et de romanesque mais qui annoncent les moments les plus dérangeants de sa filmographie. La dépit amoureux, le désir ou le rapprochement charnel sont au centre des enjeux et ne s’expriment que de façon crue.

Le réalisateur alterne espaces confinés et extérieurs pour l’exprimer, sincérité comme simple pulsions sexuelles pouvant surgir à tout moment. Les sentiments s’enchevêtrent dans la confusion pour le spectateur et les protagonistes, le ton bascule du grivois rigolard au franchement glauque (les jeunes bons à rien voyeurs du village qui enlèvent une actrice). En gardant un ton d’une outrance égale en toutes situations, Imamura évite de juger ses personnages et se pose en observateur (sans doute plus ouvertement chaleureux ici) des comportements humains. Le sexe est le moteur principal des actions des personnages et Imamura ose filmer crûment (mais encore atténué par l’humour ou un certain romantisme) certains éléments assez singulier de la libido japonaise et masculine plus particulièrement : le voyeurisme donc, la frontière ténue entre l’insistance et le viol (l’acteur convoquant une aspirante pour une « audition »), l’attitude féminine aussi fuyante qu’ardente…

Tout cela reste assez sobre et dans une tonalité de comédie enlevée vraiment drôle mais l’acuité froide et l’humour noir des films suivant se devinent déjà ici – même sur des éléments triviaux comme cette amusante grand-mère avide au gain. Le triangle amoureux familial est aussi déjà là (mais sans le registre incestueux de La Femme Insecte et Le Pornographe) avec ces deux sœurs se disputant un homme, là aussi dans cette dualité secrètement aimante mais fuyante (Chidori) puis ardente et offerte (Chigusa), le désir allant vers la plus difficile à avoir dans une logique aussi perverse que romanesque. Toute cette confusion rend les personnages vivants et vibrants, et déjà, chez Imamura, les soubresauts intérieurs prennent une veine expressive où l’on se bat, s’enivre et pique des colères dantesque quand les choses tournent mal pour nous. La sobriété est pour les gens éteints, aux passions plus abstraites tel Eizaburo (Yanagisawa Shinichi), si habité dans son numéro de danse kabuki solitaire et si éteint quand il apprendra l’adultère de sa femme. Une première œuvre passionnante donc et où la Nikkatsu percevra les velléités provocatrice d’Imamura et lui demandera de calmer le jeu sur les films suivant plus conventionnels (Devant la gare de Ginza (1958), Mon deuxième frère (1959) avant le coup de tonnerre que constituera Filles et Gangsters (1961).

Justin Kwedi.

Désirs volés d’Imamura Shohei. Japon. 1958. En salles le 22/05/2019