VIDEO – The Woodsman and the Rain d’Okita Shuichi

Posté le 14 septembre 2023 par

Spectrum Films nous a ravis avec ses récentes sorties japonaises, notamment les coffrets Suo Masayuki (Shall We Dance? et Sumo Do, Sumo Don’t) et Ishii Gakuryu (Electric Dragon 80.000 V et Crazy Thunder Road). L’éditeur indé français poursuit son chemin et nous dégote une comédie douce-amère de 2012, vue uniquement dans l’Hexagone lors de la rétrospective « 100 ans de cinéma japonais » : The Woodsman and the Rain d’Okita Shuichi.

Katsuhiko travaille comme bûcheron dans une zone rurale. Veuf, affublé d’un fils au chômage, ses journées semblent quelque peu moroses, en témoigne sa nature mutique. Un jour, le bruit de sa tronçonneuse dérange une équipe de tournage de film de zombies. Ce simple contact le fera, de fil en aiguille, participer au tournage en gagnant de l’importance sur le plateau.

The Woodsman and the Rain est un film sur le cinéma, un film de personnages qui se rencontrent – le père bourru et le fils spirituel, un artiste mal assuré n’ayant ni l’aura ni l’apparence que devrait dégager un metteur en scène chargé d’emmener une équipe dans sa vision – mais il est surtout situé un cran philosophique au-dessus de cela. Les deux personnages principaux que sont Katsuhiko, campé par Yakusho Koji, et du jeune metteur en scène Koichi, joué par Oguri Shun, forment un duo moteur pour le déploiement du scénario et l’épaisseur dramaturgique. Le film prend soin à bien exprimer le mal-être indicible qui habite ces personnages à la base de leur écriture. L’un est comme vide depuis la mort de sa femme, et n’est plus capable de nouer un rapport de communication avec son fils qui s’en va très tôt dans l’intrigue à la ville sans projet précis. Il le laisse partir sans broncher, résigné à ce que son bonheur et sa vie d’antan s’éteignent peu à peu dans ce Japon rural où demeurent plus d’arbres que d’hommes. L’autre, à l’inverse de ce que l’on pourrait imaginer, n’est pas un artiste maudit à la vision extraordinaire qui ne parviendrait pas à exprimer son art à cause de contraintes techniques. Au contraire, il trouve son scénario insignifiant, sans but – on ne sait même pas finalement s’il s’exécute pour un film de commande, sans doute que oui. Jeune et sans idées, on ne le prend pas de prime abord pour un réalisateur, mais pour un larbin du plateau. Les deux personnages ont des combles à boucher, en matière de filiation comme de remplissage de leur vie. Outre sa vie familiale défaillante, Katsuhiko exécute son travail de bûcheron sans aucun art ou divertissement pour égayer son quotidien. Alors ce petit scénario de film de zombies – terme de fiction qu’il ne connaît pas – lui semble extraordinaire, surtout depuis qu’on l’a invité à mettre un pied dedans. Koichi reprend alors confiance en lui, et c’est le début d’une aventure originale pour les deux comparses. L’écriture commune de ces deux personnages force le respect, tant on sent leur émulsion et l’émotion qui se dégage de leur vécu et de leur action. A cela s’ajoute un décor boisé complètement en relief, que ce soit les gros arbres sur le chemin du tournage, les maisons tout en bois, très chaleureuses, ou même les objets et meubles polis et vernis que confectionne Katsuhiko, à l’image d’un siège et d’une table de jeu de go. Il émane de cette atmosphère de nature sauvage une sensation d’espace immense et formant un cocon.

The Woodsmans and the Rain présente autant de points communs que de points de différences avec Ne coupez pas. Les deux films sont une ode à la créativité et à l’amour du cinéma comme aventure humaine collaborative – tous les deux pour des films de zombies d’exploitation d’ailleurs, un registre amusant mais fauché, qui nécessite une gestion de la logistique et des ressources particulières. Bien que les deux films soient tournés vers une foi en l’avenir et en les autres, le premier comporte toutefois des composantes dramatiques toutes singulières, qui permet une meilleure qualité dans l’écriture de ses héros et de générer une grande empathie envers eux – là où Ne coupez pas s’amuse « seulement » avec des personnages sympathiques et barrés, en jouant davantage sur le montage et la narration pour surprendre le spectateur. Dans tous les cas, les deux films utilisent le sujet de la création cinématographique comme vecteur de positivité, d’accomplissement, de joie et de satisfaction.

Bonus de Spectrum Films

Interviews (28 min). Dans ce montage en voix-off et illustré, la parole est principalement donnée à Yakusho Koji, Oguri Shun et Okita Shuichi. Celle du réalisateur est la plus intéressante. En plus de l’interview à trois, ce montage vidéo pour le bonus du DVD japonais d’époque le suit dans son collège, le fait revenir sur son parcours de cinéaste et ses intentions et interroge également les producteurs avec qui il a travaillés. La façon de présenter le cinéaste est plus habitée que d’ordinaire pour ce genre de bonus, même si le profil d’Okita n’est pas d’une extrême singularité.

Scènes coupées (14 min). L’essentiel des scènes coupées ne génère pas de commentaire particulier et on imagine bien qu’il s’agissait de les retirer pour des questions de rythme. En revanche, la toute dernière, qui se positionne probablement à la toute fin du montage du film, présente Katsuhiko et son fils réconciliés, en train de manger chez eux, avec aux côtés du portrait de la mère de famille décédée, une photo de l’équipe du tournage. Ce plan est particulièrement émouvant compte-tenu du chemin parcouru par les personnages et ce bonus mérite d’être vu pour cette raison.

Maxime Bauer.

The Woodsman and the Rain d’Okita Shuichi. Japon. 2012. Disponible en combo Blu-Ray/DVD chez Spectrum Films en août 2023.

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