RETRO – Filles et Gangsters de Imamura Shohei (en salles le 22/05/2019)

Posté le 22 mai 2019 par

Mary-X Distribution propose, en ce 22 mai, le film japonais Filles et Gangsters, sorti en 1961 et réalisé par Imamura Shohei. Connu sous le titre de Cochons et cuirassés, le film bénéficie d’une belle restauration 2K.

Filles et Gangsters est la première réussite  majeure d’Imamura Shohei et qui l’associera à Nouvelle Vague japonaise aux côté d’Oshima Nagisa notamment. Imamura débute à la Shōchiku en tant qu’assistant d’Ozu puis intègre la Nikkatsu où il végète en signant des films de commande. Alors qu’il pense pouvoir enfin livrer un film personnel, le studio lui impose la réalisation de Mon deuxième frère (1959), adaptation de l’autobiographie de l’enfance d’une émigrée coréenne. Le film est un immense succès salué par le ministère de l’Education mais Imamura renie cette œuvre aux antipodes de ses préoccupations. En récompense, la Nikkatsu lui laisse cependant les mains libres pour son projet suivant, Filles et Gangsters.

Le film fait un portrait cinglant du Japon d’après-guerre sous occupation américaine. Si, en filigrane, les Américains sont fustigés  pour leur comportement (avec ces soldats distribuant les dollars en quête de plaisirs divers), c’est surtout l’avilissement des Japonais pour obtenir leurs faveurs que dénonce Imamura. L’histoire se déroule à Yokusuka qui, comme d’autres cités portuaires japonaises, abrite une base navale américaine. C’est donc un lieu interlope abritant une population douteuse en quête d’argent facile. La scène d’ouverture est un plan d’ensemble de la base sur fond d’hymne américain, avant qu’un panoramique laisse apparaître les drapeaux. Kinta (Nagato Hiroyuki) est une petite frappe cherchant à percer chez les yakuzas et pense faire fortune en se mêlant à un trafic de cochons nourris avec les restes des bases américaines. Dans ce Japon brisé et à bout de souffle, les anciens ne peuvent plus servir de guides à la jeunesse, que ce soit le père de Kinta, usé par l’alcool et le travail à l’usine, ou le chef yakuza (Tamba Tetsuro), affaibli par la maladie. Les deux voies proposées par ses « pères » s’avéreront une impasse, que ce soit la vie de labeur qu’il refuse ou celle de yakuza pour laquelle il sera trop tendre. Cette indécision se caractérise même par sa tenue vestimentaire avec une pure allure d’ado américain dont les vêtements arborent des motifs japonais, illustration de son rapport amour/haine face à ces envahisseurs américains. Seul l’amour de sa fiancée Haruko (Yoshimura Jitsuko) semble pouvoir le sauver mais elle-même est soumise à une pression sociale pour céder à un même avilissement, incitée par sa famille à s’offrir aux avances d’un riche soldat américain.

Imamura montre avec crudité un Japon délesté de toutes valeurs, de toute distinction entre le bien et le mal par instinct de survie. Les plus immatures comme Kinta cèdent complètement aux tentations et à l’argent facile quand il est plus difficile dans cette société japonaise machiste d’y résister pour une âme pure comme Haruko. Le réalisateur connaît bien ces bas-fonds puisqu’il bascula un temps à cette vie facile lorsqu’il vécut dans le quartier de Shinjuku entre jeux, alcool et femmes et de là découle ce filmage fiévreux et réaliste. C’est en voyant L’Ange Ivre de Kurosawa Akira et la force avec laquelle il dépeignait cette fange qu’Imamura quitta cette existence pour intégrer l’industrie du cinéma. La mise en scène cède à un chaos de plus en plus insoutenable (la scène de viol où la caméra tourbillonne en plongée comme une ellipse à l’horreur) au fur et à mesure de l’avancée du récit. La première scène nocturne montre Kinta rabattre un GI dans une maison close bondée avant que la police n’expulse tout le monde avec un sens du mouvement intense et tout le film tend à exacerber cette ouverture tandis que les personnages basculent. La photo de Shinsaku Himeda oscille entre les ténèbres des ruelles désertes, théâtre des règlements de comptes, et la grande rue éclairée de néons tapageurs de bars où les prostituées aguichent les GI.

Le tumulte représenté par cette urbanité luxueuse et corrompue s’oppose à la misère des taudis où vivent Kinta et Haruko, leurs familles vindicatives jurant également avec la bienveillance calculée de yakuzas/maquereaux qui veulent profiter d’eux. La jeunesse semblent donc clairement plus une victime sacrificielle de l’état du Japon d’alors. Pas d’alternative même s’il est suggéré que l’entraide pourrait amener de jours meilleurs au pays. Le final fonctionne également sur cette dualité entre calme et chaos. La dernière scène déchaîne les visions de cauchemars avec cette nuée de cochons lâchés en pleine ville, engloutissant tout le mal ambiant. L’atmosphère de film noir bascule dans un symbolisme oppressant qui ne laisse aucun espoir de retour. L’ironie est aussi mordante que tragique avec cette arrivée d’un nouveau régiment de GI haranguant la nuée de Japonaises débarquées en ville pour les satisfaire. Ce regard cinglant causera de nombreux problèmes à Imamura Shohei puisque par crainte de représailles, le studio l’empêchera de tourner pendant deux ans mais qu’importe : un grand cinéaste était né.

Justin Kwedi.

Filles et Gangsters d’Imamura Shohei. Japon. 1961. En salles le 22/05/2019.

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