Le 25 juillet sort en salles françaises l’avant-dernier film en date de Sanjay Leela Bhansali (Devdas) : Bajirao Mastani, un drame historique ambitieux qui a raflé de nombreuses récompenses à travers les cérémonies et festivals indiens.
Inde, début du 18ème siècle. Bajirao est choisi pour hériter du titre de Peshwa – Premier ministre de l’empire marathe – et mener une conquête militaire contre l’empire moghol de religion musulmane. Tout semble réussir au guerrier émérite, des champs de bataille à son mariage avec son épouse Kashi, jusqu’à un voyage où il fait la rencontre de Mastani, la fille illégitime d’un roi rajpoute et de sa concubine musulmane. Il tombe bientôt sous le charme de la jeune fille, et lui offre sa dague sans savoir que ce geste est synonyme de mariage dans la tradition rajpoute. De retour dans son domaine à Pune, il apprend que Mastani l’y a suivi, déterminée à affronter tous les obstacles qui se dressent contre leur union.
On ne change pas une équipe qui gagne : pour les rôles-titres, Sanjay Leela Bhansali s’est entouré ici de deux de ses acteurs fétiches, Deepika Padukone et Ranveer Singh, qui se donnaient déjà la réplique dans Ram-Leela et qu’il a depuis à nouveau réunis pour Padmaavat, son dernier film sorti en Inde. Pour ne rien gâcher, il complète son affiche avec Priyanka Chopra (Quantico), s’assurant ainsi la collaboration de trois des stars les plus bankables de Bollywood, qui conjuguent avec brio les déclinaisons du sentiment amoureux. Passion, complicité, fierté et vulnérabilité passent ainsi tour à tour sur leurs visages, tandis qu’ils offrent un jeu expressif pour lequel ils ont tous obtenus nominations et récompenses.
Le charisme du trio est en outre savamment mis en valeur dans l’écrin d’une mise en scène grandiose et d’une photographie elle aussi primée. Sublimés par des costumes éclatants et des bijoux raffinés, les acteurs évoluent dans des décors dont le faste et la démesure sont autant d’attraits incontournables des films historiques indiens. Sanjay Leela Bhansali le sait, et en joue habilement à grands renforts de musique aux accents épiques, de symétries éblouissantes, de plans larges vertigineux et, à l’occasion, de l’usage de slow-motion. Tout est fait pour retranscrire, avec un art du spectacle certain, la majesté et l’ivresse visuelle d’une époque et d’un cadre aussi fantasmés qu’inspirants.
Autre spécialité bollywoodienne affectionnée par le réalisateur, les chansons qui émaillent le film participent elles aussi à cette sensation de profusion par la minutie de leurs chorégraphies exécutées par plusieurs dizaines – parfois une centaine – de danseurs. Loin de porter préjudice à l’immersion ou au rythme de l’intrigue, elles s’y s’inscrivent sans difficulté en adaptant leurs ambiances aux moments forts qu’elles célèbrent, de l’exaltation de la gloire militaire dans Malhari à la séduction à peine dissimulée dans Deewani Mastani, en passant par la communion complice dans la religion avec Pinga.
C’est que, à l’image de cette succession d’atmosphères musicales, Bajirao Mastani brasse de nombreuses problématiques au-delà de la romance qui en est le centre. La liaison du peshwa et de son épouse musulmane est ainsi non seulement une affaire de cœur, mais aussi et surtout une affaire d’Etat, provoquant la collision d’enjeux politiques, militaires et religieux dont les conséquences dépassent largement le cadre intime. A cet égard, le scénario se rapproche de celui de Johdaa Akbar de Ashutosh Gowariker, qui s’intéresse quant à lui à l’amour entre un empereur moghol musulman et une princesse rajpoute hindoue, et qui partage en outre la même opulence visuelle.
Cependant, le personnage de Kashi et le triangle amoureux qu’elle vient tracer rajoutent une touche de complexité – et de contrariété – dans le film de Sanjay Leela Bhansali. Si, dans Johdaa Akbar, tout ce qui s’oppose à l’union des amants doit paraître injuste, la situation se fait légèrement moins manichéenne ici. Ainsi, bien que la narration place plutôt le spectateur du côté de Mastani, Kashi n’est jamais rendue détestable ; plutôt, on assiste au déchirement d’une femme sincèrement dévouée à son époux, partagée entre une douloureuse jalousie et une indéfectible piété maritale. Bajirao, pour sa part, loin d’un modèle de sainteté, est de nature impulsive et orgueilleuse. Quant à la détermination de Mastani, elle ne manquera pas de paraître effrontée en contraste de l’humilité de Kashi. Le tableau se révèle ainsi plus nuancé qu’il n’y paraît d’abord.
Il faut toutefois noter que l’ensemble tient davantage du camaïeu que de la toile bariolée, faute de grandes variations de tons. Là où Ram-Leela se permettait de jouer sur plusieurs registres et d’user largement du second degré afin de mieux retranscrire la modernité des rapports amoureux, Bajirao Mastani s’astreint de bout en bout à une tonalité dramatique – jusqu’à un final hélas un peu excessif. Ce sérieux peut parfois rendre perceptible la longue durée du métrage, mais se garde néanmoins de devenir pesant. Il se révèle en outre essentiel au caractère magistral du film, puisqu’il coïncide à la fois avec l’époque qu’il décrit et le genre dans lequel il s’inscrit.
En somme, Bajirao Mastani témoigne, une fois de plus, du talent de Sanjay Leela Bhansali pour la mise en scène. Il réunit ainsi tous les ingrédients de la machine à rêves bollywoodienne : héroïsme et passion, chants et danses, décors et costumes, tous savamment entrelacés pour offrir plus de deux heures trente de grand spectacle. Le résultat est une fresque épique si méticuleusement taillée pour flatter l’œil qu’il ne faut pas manquer l’occasion de la découvrir en salles.
Lila Gleizes.
Bajirao Mastani de Sanjay Leela Bhansali. Inde. 2015. En salles le 25/07/2018.