Livre : Ishiro Honda, humanisme monstre de Fabien Mauro

Posté le 7 juillet 2018 par

Il y deux ans de cela, nous fêtions les 60 ans du Roi des monstres, Godzilla. Monstre sacré parmi les créatures du cinéma fantastique, il est le fruit de l’imagination d’un homme appelé Honda Ishiro, réalisateur japonais. Son travail aura influencé un grand nombre de cinéastes contemporains (Guillermo del Toro par exemple) quand il n’aura pas été remaké de plus ou moins belle manière (les versions d’Emmerich et Edward étant aux extrêmes d’un point de vue qualitatif). En ce qui concerne Fabien Mauro, Honda aura été une formidable porte d’entrée sur le cinéma japonais. Et quoi de mieux pour lui rendre hommage que de lui consacrer un livre, entre biographie et analyse de son œuvre, intitulé Ishiro Honda, humanisme monstre.

Le monde du cinéma est ainsi fait, il arrive que la carrière d’un cinéaste, fut-elle foisonnante et inégale, se résume à un seul film ou à un seul genre. Prenons l’exemple de Georges Romero. Réalisateur de films tels que Martin, The Crazies, ou bien encore le terrifiant Incident de parcours. Après sa mort, le grand public pleure la disparition du Père des morts-vivants. Oui, il a bien réalisé cinq films traitant du sujet, mais il est toujours triste de devoir résumer sa foisonnante carrière au cycle des zombies. Honda Ishiro est de ces réalisateurs. Son nom est irrémédiablement associé au Roi des monstres : Godzilla. Porte-drapeau des kaiju-eiga (les films de monstres japonais), il vit le jour après Hiroshima (en 1956, plus précisément) et fut le symbole de la peur du nucléaire, sous la forme créature monstrueuse venue punir les hommes. Et c’est pour cela que le livre de Fabien Mauro arrive à point nommé pour remettre les pendules à l’heure avec pédagogie et passion pour le réalisateur. Non, Honda n’a pas réalisé que Godzilla, et sa carrière, ainsi que sa vie, sont de vraies mines d’or.

Le livre se découpe en deux grandes parties.

La première est une biographie complète de Honda, à laquelle viennent s’ajouter les œuvres qu’il a réalisées ou auxquelles il a participé. Nous découvrons alors un enfant passionné de cinéma et fasciné par les benshi (comédiens qui, à l’époque du cinéma muet, racontaient aux spectateurs l’histoire du film projeté), et qui après avoir déménagé à Tokyo suite à la mutation professionnelle de son père, va faire ses classes à la Nihon Academy (école de cinéma ayant la particularité de ne posséder aucune caméra dans ses murs). Toute la carrière de Honda va être influencée, tant sur le fond que sur la forme, par les événements qui vont secouer le Japon et donc impacter sa vie. Qu’il s’agisse de la Deuxième Guerre mondiale ou d’Hiroshima, de la reconstruction du Japon d’après-guerre, de la relation nippo-américaine sur le sol japonais, ou de simples faits divers (Godzilla est inspiré de la contamination d’un bateau de pêcheurs au large du Japon), Honda va puiser dans ses souvenirs et rencontres pour façonner une carrière où se télescopent films de monstres (Mothra, Rodan et Gidorah sont bien présents), comédies (On va se marier, 1966) et drames sociaux (Mon supérieur, mon inférieur, mon collègue, 1959).

Si parfois on le sent contraint de se plier aux exigences et obligations contractuelles des studios (budgets et thèmes imposés), et qu’il est parfois un peu triste de le voir soupirer face à ce que devient Godzilla au fil du temps (on passe de monstre destructeur de l’Humanité à gentil dragon géant protecteur des hommes face aux ovnis), il garde cette passion intacte pour le cinéma de genre dans lequel il s’épanouit, accompagné du fidèle Tsubaraya Eiji, responsable des effets spéciaux.

On a souvent tendance à oublier que derrière une image de réalisateur de kaiju-eiga talentueux, Honda faisait systématiquement preuve d’une modestie et d’un humanisme sans bornes. Ne jugeant jamais ses héros humains et persuadés que l’homme est capable du meilleur quelles que soient les épreuves, Honda va finir par rencontrer un autre réalisateur partageant son discours et son humanisme, justement, en la personne de Kurosawa Akira, le maître. Il ira même jusqu’à participer à la mise en scène des secondes équipes (notamment sur Chien enragé dans lequel il fait même une courte apparition), et restera auprès du cinéaste jusqu’à ses derniers films, tels que Rêves ou bien encore Rhapsodie en août. Il serait impossible ici de lister la totalité de la filmographie de Honda, mais cette première partie donne furieusement envie de s’y plonger, ne serait-ce que pour découvrir King Kong vs Godzilla.

Plus didactique et analytique que ce qui a précédé, la deuxième partie met en avant différents thèmes abordés par Honda dans ses films (les femmes, leur place dans son cinéma, le Japon, les monstres, etc.) et explique, du point de vue de la mise en scène, comment Honda les a représentés.

Cette seconde partie est tout aussi passionnante que la première. Nous découvrons ainsi que même si Honda n’était pas toujours le seul maître à bord (certaines idées de script ne lui ressemblant pas du tout, d’un point de vue thématique), il arrivait à faire passer un nombre incroyable d’idées et de propos engagés à l’écran. Il suffit de lire la partie consacrée aux femmes dans son cinéma pour constater qu’il suffit d’un cadre bien construit pour mettre la femme en avant, au propre comme au figuré. Loin des demoiselles en détresse que le valeureux héros (militaire bien entendu, fier et droit dans ses bottes) va sauver, elles sont dans le cinéma de Honda des personnages à part entière (les shobijin, petites fées du film Mothra sont souvent mises en avant) aux motivations parfois aussi troubles que les hommes (il est fortement conseillé de voir The Human Vapor, pépite de la filmographie de Honda, où se mêlent mafieux et monstres).

On remarquera aussi que Honda savait également manier la symbolique lorsqu’il s’agissait de montrer le Japon assailli et de le poser en victime (la Tokyo Tower est détruite dans à peu près tous ses films), et s’il était à l’aise lorsqu’il s’agissait de mettre son pays sur un pied d’égalité avec le reste du monde (Invasion Planète X et le duo d’astronautes formé par l’Américain Nick Adams et le Japonais Takarada Akira), il n’hésitait parfois pas à en dresser un portrait fier et nationaliste (Ataragon en est un bel exemple).

Après ce réjouissant programme, le livre se conclut sur une série d’entretiens avec des comédiennes, aussi bien japonaises qu’américaines, et de personnes ayant travaillé avec Honda, qui viennent partager anecdotes et souvenirs touchants de tournage, qui ne font que confirmer la bienveillance et le calme dont faisait preuve Honda sur les plateaux de tournage, en plus d’un professionnalisme exemplaire.

Au final, le livre de Fabien Mauro est une mine de connaissance et d’informations pour qui voudrait se plonger dans la filmographie de Honda, aussi passionnante que sa vie. Petit bémol, s’il en faut un, le livre aurait gagné à consacrer quelques pages supplémentaires en illustrant des affiches originales de dimensions plus imposantes, rendant justice aux monstres de Honda.

Romain Leclercq.

Ishiro Honda, humanisme monstre. Fabien Mauro. 2018. 264 pages. Editions Rouge Profond.

 
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2 commentaires pour “Livre : Ishiro Honda, humanisme monstre de Fabien Mauro”

  1. Très intéressant et assez rare de trouver ce genre de thème en français.
    Très belle initiative que je vais m’empresser de soutenir!

  2. Il faut surtout remercier l’auteur !

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