Miyazaki, Oshii, Rintaro, Otomo … Des auteurs majeurs de l’animation japonaise, dotés d’un univers et de thématiques forts et personnels qui s’imposèrent progressivement au Japon puis à une reconnaissance mondiale. En l’espace de quatre films, Kon Satoshi était devenu l’égal en tout point de ces icônes vivantes et alors que sa carrière s’apprêtait à emprunter un nouveau cycle passionnant, le sort (soit, pour être plus précis, un cancer foudroyant ne lui laissant aucune chance) en a décidé autrement. Alors que le cinéma Le Brady organise une rétrospective autour du regretté cinéaste, portrait à l’occasion de la sortie en salles de Perfect Blue.
Out of the (perfect) Blue
Son parcours s’articulera longtemps dans l’ombre de son mentor Katsuhiro Otomo, dont il deviendra, dans un premier temps, l’assistant sur la version papier d’Akira, après avoir remporté un prix pour son premier manga Toriko. C’est ce même Otomo qui l’introduit dans l’univers de l’animation en tant que concepteur des décors de l’OAV Roujin Z, ce qui le lance sur d’autres productions plus (Patlabor 2 de Mamoru Oshii) ou moins (les OAV de Jojo’s Bizarre Adventures) ambitieuses. Son travail le plus abouti de l’époque viendra en 1995 par un autre grand projet d’Otomo, le film à sketch Memories, où il est en charge des décors et du scénario du mythique segment de Morimoto Koji, Magnetic Rose. C’est cette dernière expérience qui l’incite définitivement à passer à la réalisation.
L’occasion se présente en 1997 avec Perfect Blue. Malgré les défauts inhérents à la production modeste (le film est à l’origine destiné au marché vidéo), tout Kon Satoshi est déjà là.
Entre la terreur psychologique et le thriller haletant, on plonge dans l’esprit perturbé d’une pop idol harcelée par un fan récalcitrant. Une mise en scène virtuose accompagne cette perte de repère ambiguë et troublante entre Hitchcock et le Polanski de Répulsion.
Rêve de cinéphile!
Sans le savoir, Kon entame là un cycle sur le même thème puisque, suite au succès critique du film, on lui propose de réaliser une autre œuvre dans cette veine. Ce sera Millenium Actress, son chef d’œuvre, où se dévoile ce qu’on devinait déjà dans Perfect Blue, à savoir un grand cinéphile.
Un point de départ à la Titanic (un objet venu du passé ramène une vieille dame à une romance de jeunesse) permet un merveilleux voyage à travers l’histoire du cinéma japonais, Mizoguchi côtoyant Kurosawa en passant par les créatures de Honda Inoshiro à travers la course effrénée de Chiyoko. La narration nous perd à nouveau dans un immense maelström, cette fois dans un but purement romanesque.
Cet aspect cinéphile se manifeste encore mieux dans son film suivant Tokyo Godfathers remake du John Ford, Le Fils du Désert (le titre original Three Godfathers est encore plus parlant) où trois sans-abris découvrent un bébé, le soir de Noël.
Kon y prouve là qu’il n’a pas forcément besoin de donner dans le récit alambiqué pour susciter l’émotion.
Les préoccupations sociales de Tokyo Godfathers se mêlent avec brio à son sens de la narration sophistiqué dans la série Paranoia Agent où les mystérieuses apparitions du « shonen bat » soulèvent de passionnantes questions.
S’il n’apporte pas de nouvelle pierre à l’édifice, Paprika (2007, adapté de Yasutaka Tsutsui, le Philip K Dick japonais et maître à penser de Kon, dont La Traversée du temps est aussi inspiré) fait figure d’aboutissement époustouflant, où les thématiques du cinéaste (perte de repères entre le rêve et la réalité, le côté référentiel au monde du cinéma) sont poussées à une perfection narrative et visuelle totalement vertigineuse. L’émotion, plus insidieuse que dans les précédents, semble se diluer dans le foisonnement et la folie de l’ensemble pour finalement magnifiquement se dévoiler dans une conclusion spectaculaire et touchante.
Kon, c’était une patte immédiatement identifiable (le trait si singulier de ses personnages féminins), et une capacité à associer les émotions les plus pures à des concepts complexes dans un tout cohérent. La suite s’annonçait passionnante : Yume Miru Kikai, où il allait tenter de viser un public plus jeune. Arrivé à un stade avancé, le projet est néanmoins resté inachevé à cause de la maladie foudroyante de Kon. Espérons que ses collaborateurs pourront malgré tout nous faire profiter de l’ultime rêverie du maître, même de manière imparfaite.
Justin Kwedi.
Perfect Blue de Satoshi Kon. Japon. 1997. En salles le 09/05/2018. Plus d’informations ici.
Intégrale Satoshi Kon au Brady à partir du 10/05/2018. Plus d’informations ici !