Le 10eme festival international du film d’Okinawa présente dans sa sélection de comédie de patrimoine Gosses de Tokyo, film muet du maître Ozu Yasujirô datant de 1932.
Produit par la Shoshiku, Gosses de Tokyo offre à Ozu l’occasion de parfaire son style. Agé alors de 29 ans, il réalise là son dernier film muet après déjà près de dix ans de carrière.
Le film relate le parcours d’un couple et de ses deux garçons qui déménagent dans la banlieue de Tokyo. A l’arrivée rien n’est vraiment très rose : Les enfants sont tyrannisés par une bande de jeunes garçons et le père subit pas mal de pression au travail.
Ce qui intéresse Ozu ici – et a fortiori dans son œuvre- c’est le parallèle entre le regard de l’adulte et de l’enfant. La cruauté des deux mondes est certaine, et forcément liée. Le cinéaste peint un monde où les brimades ne cessent jamais vraiment, dans lequel la pression du résultat est omniprésente. Quand le père parle à ses enfants, ce n’est que pour leur rappeler d’être parfait à l’école car lui avait des 20 partout. Pendant ce temps-là, le père doit faire des courbettes au travail pour être bien vu.
Mais le monde de l’enfance à ses instants de fantaisie, toujours. Ozu montre le combat de ces deux garçons pour garder le droit à la liberté et au rêve. Alors pour fuir, ils font l’école buissonnière, un geste fort de rébellion. Ozu capte ces instants suspendus ou l’insouciance reprend ses droits, même si ce n’est que pour un temps. On retrouve le style si particulier du cinéaste qui s’affirme de plus en plus : les plans très bas, les mouvements de caméra qui se font rare (sauf peut-être un travelling assez saisissant des hommes au travail complètement exténués).
En résulte, une expérience attachante, malgré l’absence du Benshi (homme qui narrait les films muets au Japon), burlesque et tendre sans oublier la cruauté parfois désarmante. Tout le cinéma d’Ozu est déjà là, jusque dans les plans fixes où il ne se passe pas grand-chose en apparence : le père qui s’étire, le linge blanc qui sèche au vent, la maman qui s’habille quand vient le jour de paie. Autant de respiration dans le récit, des silences dans le silences qui en disent tellement beaucoup. En voyant Gosses de Tokyo, on cerne déjà pourquoi, Ozu Yasujirô est un des plus réalisateurs de l’histoire du cinéma.
Jérémy Coifman.
Gosses de Tokyo de Ozu Yasujirô. Japon. 1932.