THIRD WINDOW – MOIS SONO SION : The Whispering Star : La beauté de la renaissance

Posté le 14 avril 2018 par

Avec The Whispering Star, toujours inédit en France, Sono Sion réinvente son cinéma et nous offre l’un des meilleurs films de sa carrière. Retour sur la dernière oeuvre majeure du cinéaste alors que l’éditeur britannique Third Window propose un « mois  Sono Sion » en éditant en vidéo (blu-ray et DVD) en double programme avec The Sono Sion, l’excellent documentaire d’Oshima Arata sur le tournage du film. 

The Whispering Star est le meilleur film de Sono Sion que personne n’a encore vraiment vu, avant cette édition vidéo concoctée par Third Window outre-Manche : à peine diffusé dans quelques salles de quartier sur son sol domestique ; toujours inédit en France, très peu acheté à l’international… L’attente provoquée par sa diffusion au festival de Toronto, encore empirée par des trailers énigmatiques et intrigants semble donc ne jamais devoir aboutir, là ou des films plus discutables, The Virgin Psychics en tête, avaient réussi à se hisser dans quelques festivals hexagonaux.

Pourtant, des six films récemment enchaînés par le réalisateur, (Tag, Love and Peace, Shinjuku Swan, The Virgin Psychics, Antiporno et donc, The Whispering Star), il est sans aucun doute l’un des plus intéressants, aussi bien en tant qu’objet filmique que comme marqueur dans la carrière de ce cinéaste culte. Là où ses films récents laissaient voir une fatigue et un détachement triste par rapport à son art, à l’instar de cette séquence du documentaire The Sion Sono où il demande à un assistant s’il ne veut pas tourner The Virgin Psychics, dont il avoue ne pas avoir lu le scénario, à sa place. The Whispering Star, tout comme le très récent Antiporno, se vit comme le retour à la passion d’un cinéaste blasé.

the whispering star

Un retour à la passion, mais aussi un retour vers le passé. Sono Sion a maintenant cinquante ans et il commence à envisager sa mort. The Sion Sono le présentait totalement obsédé par le temps qui passe et son incapacité à revenir vers ses jeunes années. L’excellent Why Don’t You Play in Hell? et le correct Love and Peace étaient déjà l’adaptation d’anciens scénarios, écrits il y a des quinzaines d’années. Avec The Whispering Star, Sono Sion s’enfonce dans sa nostalgie jusqu’au bout et met en images le premier scénario qu’il a écrit, adapté lui-même d’un de ses premiers poèmes adolescents.

Pourtant, peu de fougue adolescente dans The Whispering Star, là ou Antiporno rappelait les fantômes de Tokyo GAGAGA, son ancien mouvement punk, par une mise en scène expressionniste et des sujets sulfureux, son étoile chuchotante (quel beau titre !), évoque plus ses premiers métrages, particulièrement Keido Desu Kedo et The Room. Faisant de la lenteur de l’action et de la longueur du plan une obsession, ces films semblent presque une anomalie dans une filmographie sur-découpée et hystérique. C’est pourtant de ça, de cette époque, que se réclame The Whispering Star. Le noir et blanc est chiadé, tous (TOUS) les dialogues sont chuchotés et les plans se font hypnotiques par leur longueur. On pense aux quarante premières minutes, huis-clos ménager rappelant aussi bien Chantal Ackerman que Oshii Mamoru. On a une certaine fascination à voir Kagurazaka Megumi nettoyer son habitation au ralenti, passant deux, trois, huit fois la serpillière sur un sol pourtant propre, ou à la voir dialoguer avec un pilote automatique doté de conscience et d’une voix joyeuse d’enfant.

the whispering star

Lorsque le personnage de Kagurazaka Megumi touche terre, afin de livrer ses mystérieux colis, le film prend toute son ampleur. Tourné à Fukushima dans des No Man’s Land dévastés (à voir cette scène incroyable où le personnage se déplace au milieu des bateaux de pêcheurs, ramenés sur terre par le tsunami), il se lance dans une extraordinaire analyse de la solitude humaine, un monde post-atomique, post-moderniste où les hommes se baladent dans la rue avec une canette vide sous la chaussure, dans le seul but de se sentir moins seul, accompagnés par le bruit du métal contre le sol. Un monde où la mort est omniprésente et acceptée, où la vue d’une autre personne est un événement fabuleux. Après la fureur de Himizu et la douceur de The Land of Hope, c’est avec un pessimisme certain que Sono Sion évoque ce monde post-atomique où l’homme ne vit plus que pour que ses souvenirs et où les machines, dotées de conscience (« je l’ai décidé moi-même ! » s’exclame le pilote automatique au début du film) sont peut-être plus humaines que ces coquilles vides de chair et d’os.

The Whispering Star est un film important dans la carrière du cinéaste. C’est peut-être son plus personnel depuis longtemps, son plus maîtrisé depuis des années et le plus sensible de sa carrière. C’est un film différent, loin des massacres d’étudiantes et des orgasmes colorés, c’est un film fin, doux, qui prend le temps d’établir une ambiance et un univers. On pourra y préférer la folie furieuse d’Antiporno, mais The Whispering Star nous montre que Sono Sion est capable de différent, capable de se poser, de faire évoluer son cinéma et de se poser à contre-courant de ce qu’on attend de lui. Qu’un réalisateur au style si défini et si personnel puisse encore nous surprendre, c’est déjà bien. Quand en plus, en le faisant, il signe l’un des meilleurs films de sa carrière, c’est fabuleux.

Elias Campos.

En supplément, le documentaire The Sono Sion d’Oshima Arata

The Whispering Star de Sono Sion. Japon. 2016. Disponible en blu-ray et DVD édité par Third Window le 16/04/2018.

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