VIDEO – Cheerful Wind de Hou Hsiao-hsien : joyeux entre-deux

Posté le 25 août 2021 par

Carlotta Films profite de la nouvelle copie disponible de Cheerful Wind, le deuxième film de Hou Hsiao-hsien restauré 2k par le Taiwan Film Institute, pour nous proposer une édition Blu-ray et DVD de haute tenue.

Sur le tournage d’une publicité dans la campagne taïwanaise, Xiao Xinhui, photographe de plateau, rencontre un aveugle, Gu Jintai. Alors qu’elle vient d’entamer une liaison avec le réalisateur hongkongais, elle s’éprend aussi de ce bel inconnu.

Cheerful Wind, également connu sous le titre international Play While You Play et plus rarement sous la traduction Vent folâtre, fait partie de la fournée de comédies romantiques du début de carrière de Hou Hsiao-hsien, juste avant qu’il ne prenne son envol artistique avec son segment du film à sketch L’Homme-sandwich et son quatrième long-métrage Les Garçons de Fengkuei. À l’instar de Cute Girl un an avant, et Green Green Grass of Home une année après, Cheerful Wind est une rom-com chantante et joyeuse, empreinte de thématiques intéressantes pour analyser la société taïwanaise de son époque. Avant de devenir le cinéaste incontournable que nous connaissons tous, souvenons-nous que Hou est arrivé dans le milieu du cinéma presque par hasard, et qu’il justifie l’existence de ces trois films plus commerciaux comme un moment de latence avant de définir son style. Mais déjà fort inspiré, des traces de son art à venir se décèlent dans ces travaux et notamment dans Cheerful Wind. Les allées et venues des personnages principaux à la campagne, à travers des plans larges de champs et de verdure, témoignent déjà de la proximité de Hou avec la nature. La nature est, en plus d’un combat écologique qu’il ne martèle jamais vraiment littéralement dans sa filmographie (à part peut-être dans Green Green Grass of Home), un moyen d’accéder à ce réalisme total de la mise en scène qui sera son cheval de bataille toute sa vie d’artiste. Les sensations de nature sont un moyen de le raccrocher à ses origines provinciales en même temps que de saisir l’essence de la vie et de la plénitude, à la manière des arbres qu’il peint régulièrement, solides et centenaires. La contemplation est pourtant absente dans Cheerful Wind, mais les plans-séquences de longueur relativement supérieure à la moyenne de l’époque et le focus sur la campagne sont un moyen d’exprimer, sans doute semi-consciemment, ces obsessions à venir. Cheerful Wind est ainsi un entre-deux dans sa carrière, entre sa recherche de style initiale et l’expression marquée de ses films à venir dans les années 1980, tels qu’Un Temps pour vivre, un temps pour mourir et Poussières dans le vent. Chose intéressante que l’on retrouve dans Cheerful Wind : le film est tourné en cinémascope, format rare à l’époque à Taïwan, qui apporte une description plus belle encore de ces plans de campagne.

Le trio d’acteurs principaux du film que sont Feng Fei-fei, Kenny Bee et Anthony Chan était déjà présent dans Cute Girl. Le triangle amoureux qu’ils développent en osmose est criant de vraisemblance, dans ce Taïwan de 1981 pourtant si peu enclin, sous la loi martiale, à faire le portrait d’une femme au centre de ce trio capable d’entamer deux relations en même temps. Bien que vedettes en vogue de la chanson, ce qui gêne Hou de base, tous trois se montrent particulièrement convaincants, dans leur prestation chaleureuse de jeunes adultes en quête d’une place dans cette société mondialisée évoluant à toute vitesse. La modernisation de l’île de Formose, régie par un capitalisme vertigineux tel que vu dans Taipei Story et The Terrorizers, s’incarne d’ores et déjà dans le personnage de Feng Fei-fei, qui en tant que femme active, a pour objectif de voyager en Europe. Il s’agit là des prémices de la thématique emblématique de la nouvelle vague taïwanaise, même si le bonheur que ressent le personnage de Feng Fei-fei à cette ouverture est inverse à la psychose présente dans les films d’Edward Yang. Le film de Hou agit par petites touches sur plusieurs sujets visionnaires, c’est cela qui fait son intérêt intellectuel, une qualité qui s’ajoute à sa douceur ambiante.

L’intrigue, écrite en solo par Hou Hsiao-hsien, se développe avec le meilleur naturel, montrant ainsi l’existence même du réalisme qu’il recherchera, par sa crédibilité et contre la pression du système de production sous l’égide du Kuomintang. Réalisme et engagement sont déjà bel et bien présents dans Cheerful Wind, rappelant ainsi que les comédies romantiques de Hou ne sont pas les croûtes que lui-même désavoue. Elles sont la manifestation d’un artiste en devenir, composant dans une émulation créative favorable, légèrement en avance de la nouvelle vague taïwanaise.

L’édition de Carlotta Films :

Le Master : Cheerful Wind n’existait jusqu’à récemment au mieux dans de pitoyables copies de DVD taïwanais aux couleurs défraichies ; la restauration du Taiwan Film Institute lui a fait le plus grand bien, lui redonnant ses couleurs chatoyantes. Le master de Carlotta donne toute sa mesure à la restauration, à travers une image tout à fait nette et un rendu profond des couleurs.

Le film vu par Jean-Michel Frodon (12 minutes) : Jean-Michel Frodon, commentateur incontournable de la nouvelle vague taïwanaise, revient brièvement sur la carrière précoce de Hou et ce que représentent les trois comédies romantiques du réalisateur dans sa carrière. Il rappelle qu’elles ne représentent ni les œuvres majeures du cinéastes, ni des pièces honteuses de sa filmographie. Frodon insiste sur l’ensemble des premières années de la décennie 1980 pour situer l’œuvre de Hou, notamment ce que représenteront les films L’Homme Sandwich et Les Garçons de Fengkuei. Il cite une nouvelle fois les proches collaborateurs de Hou, à savoir le chef opérateur Chen Kun-hou et l’écrivaine et scénariste Chu Tien-wen. Il revient enfin sur Kenny Bee et Feng Fei-fei, loue leurs qualités de comédiens bien qu’étant considérés à l’époque comme des vedettes de la chanson avant toute autre chose. Les bonus de Carlotta sont produits de longue date par la structure Allerton Films, qui a achevé de peaufiner son style de montage, avec l’apparition fluide et percutante de cartons, séquences et extraits pour agrémenter le propos de Frodon.

Module de restauration (2 minutes) : Bien que le travail de restauration du Taiwan Film Institute soit conséquent et absolument louable, ces modules de comparaison représentent un intérêt modéré car la « copie de départ » qui est montrée n’a jamais et n’aurait jamais été exploitée en l’état. Ici, elle est toute verte, sans plus aucune couleur, et aucun DVD n’est sorti avec une copie de ce genre. Reste le travail sur le nettoyage des éclats et des traces d’usure de la pellicule, qui lui vaut la peine d’être comparé (la copie finale n’en comporte plus aucune).

Maxime Bauer.

Cheerful Wind de Hou Hsiao-hsien. Taïwan. 1981. Disponible en Blu-ray et DVD chez Carlotta Films le 25 août 2021.

Imprimer


Laissez un commentaire


*