KYOTO INTERNATIONAL FILM AND ART FESTIVAL – Karanukan (Entretien avec Gackt)

Posté le 15 octobre 2017 par

Du 12 au 15 octobre, s’est tenu au Japon le Kyoto International Film and Art Festival, un événement spécialisé dans toutes formes d’art, qu’il soit contemporain ou non. La projection de Karanukan de Hamano Yasuhiro, était l’occasion de revenir sur notre interview avec Gackt, qui effectuait son grand retour au cinéma avec ce rôle de photographe se ressourçant dans son île natale d’Okinawa après 14 ans d’absence sur les écrans. Rencontre avec la légende !

Gackt. Qui est-ce ? Mais surtout qu’est-ce que c’est, Gackt ? Au milieu des années 90, le groupe de Visual Kei, Malice Mizer adopte un nouveau chanteur qui devient instantanément l’autre grande figure du groupe. Ce jeune chanteur, c’est Gackt. Sa présence dans le groupe le propulsera dans l’imaginaire populaire nippon comme un être vampirique au visage impassible. Il s’engage dans une carrière solo où il s’affirme à travers ses albums et ses collaborations au cinéma comme un personnage mystérieux et envoûtant. Il joue de son image, et le reflet de sa figure dans la pop culture nippone des années 2000 construit le mythe de Gackt au-delà de ses espérances. Son physique marque Hideo Kojima ou encore Tetsuya Nomura qui ne manquera pas de lui rendre hommage en intégrant son visage sur l’un des personnages de la saga Final Fantasy. Gackt est ainsi dans l’esprit du public japonais mais aussi mondial : sans le savoir, vous avez probablement déjà dû voir son visage dans les ersatz qu’il a semé au Japon. La légende que porte Gackt le précède, on raconte qu’il aurait des pouvoirs paranormaux ou qu’il viendrait d’un autre temps. L’ancien chanteur de Malice Mizer devient un mythe contemporain entre Marylin Manson, Mylène Farmer et Prince. Il s’adapte à toutes les modes et tous les styles depuis plus de 20 ans, sans renier le geste baroque à l’origine de sa popularité, de son image. Dans Karanukan, Gackt revient sur son île d’origine, Okinawa, pour dévoiler un peu du mystère qui l’entoure… Ou peut-être pas.

Kephren Montoute.

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East Asia : Pourquoi avez-vous choisi Karanukan pour votre come-back au cinéma, après une longue pause de 14 ans dans votre carrière d’acteur ?

En fait, je n’ai jamais arrêté ma carrière d’acteur. Je l’ai continuée avec des drama pour la télévision, mais mon activité principale est la musique. J’ai eu beaucoup d’offres au cinéma, mais en fait, les calendriers ne correspondaient pas. Pour des raisons de planning, je ne pouvais pas y participer et j’ai dû repousser beaucoup d’offres. Mais dans ce cas, avec Karanukan, la proposition est arrivée juste après une tournée, et le timing était parfait pour moi. C’était l’une des raisons qui m’a permis d’accepter. Mais je suis aussi né à Okinawa et je me suis demandé ce que je pouvais faire pour Okinawa et ses habitants en tant qu’originaire de l’île. C’est surtout ce point, extrêmement important, qui m’a convaincu de participer à ce projet.   

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The Japan Times : Vous êtes donc né à Okinawa. En y revenant, vous êtes-vous senti nostalgique ?

Je n’ai pas vraiment ressenti de nostalgie. J’essaye toujours de revenir à Okinawa au moins une fois par an. Mais cette fois, j’ai fait ce film dans le nord d’Okinawa et aussi dans les îles du Sud, notamment à Iriomote. Ce sont des endroits qui ont gardé les traces de l’Okinawa historique. Ce sont des scènes que je pouvais voir quand j’étais enfant. Toute cette atmosphère m’a replongé dans mon passé à Okinawa. En fait, je me suis rendu à Iriomote pour la première fois de ma vie pour ce tournage et j’ai vraiment été bouleversé par sa beauté.

Billboard : Vous avez participé à des films hollywoodiens et à des films japonais. Quelles différences y a-t-il entre ces productions ?

Dans les films américains, surtout à Hollywood, la production est immense et le budget très important comparé aux productions japonaises, où le planning est très serré en termes de jours de tournage. En raison de cette différence, les choses sont plus difficiles ici. Mais cela ne veut pas dire que je n’aime pas travailler sur des productions japonaises. J’aime le fait que les gens essayent de faire leur maximum à partir de cet environnement et du budget limités. J’aime travailler avec ces gens. Il y a donc vraiment des gens talentueux. Mais quand je considère l’industrie du cinéma japonais dans son ensemble, j’ai l’impression que les bénéfices sont en berne. Et c’est de pire en pire. Je trouve cela très inquiétant. Je pense que le gouvernement japonais devrait apporter plus de soutien aux industries du divertissement, et pas seulement les films, mais aussi la musique. Une aide plus active serait une bonne chose.

East Asia : Est-ce que vous vous voyez comme un chanteur/musicien qui fait parfois du cinéma ou est-ce que c’est une véritable carrière pour vous ?

Quand je regarde au plus profond de moi, je ne me catégorise ni comme musicien ou acteur. Je ne me divise pas pour entrer dans l’une de ces boîtes. Je me vois comme un expressionniste : j’exprime des choses, je ne suis ni acteur, ni musicien. Dans cette perspective, je me demande comment exprimer ces choses : par la musique, ou par le jeu d’acteur ? Voilà la différence. Je ne fais pas des choix de carrière basés sur cette distinction. En fait, je ne suis personnellement pas vraiment intéressé par le fait d’être comédien au Japon. Si je dois le faire, j’aimerais le faire en dehors du Japon. Mais les offres ne sont pas si nombreuses et même quand elles arrivent, mon emploi du temps ne me permet pas de les accepter.

The Japan Times : Vous jouez dans Karanukan avec l’actrice débutante Suzuka Kimura. Qu’avez-vous pensé de sa performance ?

Si Karanukan était un film classique, avec l’utilisation d’un japonais classique, ça aurait pu être plus difficile pour elle, car c’est son tout premier rôle. Mais dans film, elle joue une fille d’Okinawa. Elle utilise donc son accent et son dialecte. Quand elle parle, son intonation est différente et marche bien dans ce contexte. Comme elle est débutante, je pense qu’elle peut gagner en maturité et devenir une actrice importante.

Billboard : Les dieux et les esprits sont très présents dans le film. Quelles sont vos croyances ?

Par le passé, beaucoup de journalistes m’ont posé cette question. Au Japon, nous avons beaucoup de religions, mais c’est finalement assez proche du fait de ne pas être religieux. Dans les autres pays, il y a très peu de personnes qui ne croient pas à ce qu’enseignent les religions comme le christianisme, le judaïsme, l’islam ou le bouddhisme, entre autres. Alors qu’au Japon, il y en a très peu. Même si vos propres parents sont religieux, les enfants ne savent pas en quoi croire. Okinawa est vraiment unique. Ma famille croit que les membres de la famille décédés deviennent des dieux, et qu’il faut les vénérer. L’autre religion célèbre la nature. On a donc à Okinawa ces deux conceptions : vénérer les ancêtres ou la nature. Nous avons donc des dieux dans l’eau, l’océan, les montagnes… Avoir une relation avec ces dieux est très naturel. C’est un peu comme si l’on devait être reconnaissant de tout ce qui nous entoure. Grâce à tout ce que l’on a, la beauté est partout. Vénérer la nature n’a ni théorisation détaillée ni rituels bien définis. Ceux qui le font aiment simplement la nature et les montagnes. En ce qui me concerne, quand j’ai du temps libre, j’aime aller dans un endroit où je peux ressentir la nature et profiter du vent.

Billboard : À travers ce film, étiez-vous capable d’exprimer vos croyances ?

Peu de Japonais on véritablement ce genre de croyance. J’en parle peu en public car on aurait du mal à comprendre ce que je veux dire. Mais il y a des occasions d’exprimer et d’expliquer ce en quoi je crois. Je dis parfois aux gens qu’ils doivent apprécier les choses dans leur vie. Aux Etats-Unis, les écologistes imposent des règles comme l’interdiction de chasser les dauphins ou les baleines. Ils sont contre beaucoup de choses, mais au Japon, adorer la nature est quelque chose de différent. Nous devons être heureux de ce que l’on a et apprécier nos vies.

Gackt

East Asia: Votre personnage partage certaines de ces aspirations mythologiques. Ces éléments étaient-ils présents dans le script ou les avez-vous  ajoutés ?

Je ne pense pas que le personnage du film soit si proche que ça de mon propre personnage, ou de ma personnalité dans la vraie vie. Ce personnage du film est fatigué de la vie dans une grande ville, même s’il est devenu très connu et a réussi dans la vie. Il est las de tout cela. Son voyage à  Iriomote va lui permettre de retrouver quelque chose qu’il a perdu. Moi-même, je suis une personne très calme, et je n’aime pas trop les grandes villes. Mais je ne fuis pas vraiment quelque chose en allant à la campagne. En revenant à Iriomote, le personnage du film renoue avec quelque chose d’essentiel, de basique. Il commence à travailler la terre. Beaucoup de citadins vont à Iriomote et commencent une nouvelle vie, deviennent agriculteurs. Mais cela ne veut pas forcément dire qu’ils sont fatigués de vivre dans des villes plus grandes. C’est comme si le Japon était malade. A Tokyo, les gens ne semblent plus satisfaits de rien, ne ressentent plus rien. J’ai le sentiment que la terre elle-même est malade. Plus les avancées technologiques sont présentes, plus les gens semblent déconnectés les uns des autres. Il n’y a plus de connections de cœur à cœur entre les gens. Les informations transitent d’une personne à l’autre, mais aucune réelle communication ne se fait. La technologie se développe, mais le cœur est mis de côté. Les gens comprennent ce qui se passe, mais leur cœur est vide.

Propos recueillis par Victor Lopez à Naha le 23/04/2017.

Traduction : Eiko Mizuno-Gray 

Photos par Elvire Rémand.

Remerciements : Momoko Nakamura, Aki Kihara et toute l’équipe du festival d’Okinawa.

Karanukan de Hamano Yasuhiro. Japon. 2016. Présenté au Kyoto International Film and Art Festival. Plus d’informations ici.

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