La Semaine de la Critique est un peu le laboratoire de Cannes, la sélection d’où émergent les talents de demain. C’est là que l’on a pu découvrir cette année Oh Lucy!, le premier long-métrage de la cinéaste japonaise Hirayanagi Atsuko, tourné entre le Japon et les Etats-Unis avec un casting international, réunissant Terajima Shinobu et… Josh Hartnett !
Deux films de Hirayanagi Atsuko portent le titre de Oh Lucy!. Le premier est un court métrage de 2014 relatant la manière dont une quinquagénaire vivant à Tokyo, brimée dans sa vie professionnelle comme personnelle, tombe sous le charme d’un fantasque professeur d’anglais, avant que celui-ci ne s’enfuit en Californie. Le second est un long-métrage développant la même histoire. Cette fois, le film suit le périple en Amérique et prend des allures de road movie décalé. La jeune réalisatrice y distille une vision du monde à la fois perspicace, n’évitant pas les sujets sensibles comme la solitude, la difficulté du monde du travail au Japon et le suicide. Mais elle arrive à garder une tonalité lumineuse : le film est souvent très drôle, comme les feel good movie indépendants qui fleurissent à Sundance depuis le succès de Little Miss Sunshine. Nous avons rencontré sa réalisatrice.
L’origine du film
Le film devait être à l’origine un long-métrage, que j’ai proposé lors de mes études. C’est mon professeur, qui est aussi co-scénariste, qui m’a dit que ce devait être un court-métrage. On a donc condensé l’ensemble dans un court de 20 minutes. Mais je voulais explorer ce qui se passe après cette histoire, raconter où ce voyage allait amener ce personnage. C’est devenu le film que vous avez vu. Ce n’est donc pas vraiment un étirement du film, c’est une addition d’éléments au film d’origine.
Le casting
J’ai eu beaucoup de chance et un bon timing. Tous mes premiers choix de casting qui ont lu mon scénario l’ont adoré et ont accepté le rôle. J’ai d’abord rencontré Terajima Shinobu et nous nous sommes si bien entendues qu’elle a accepté de rejoindre le projet. C’est la première à avoir rejoint l’aventure, mais c’est arrivé grâce à la NHK. Tout s’est vraiment fait par étape. J’ai d’abord réalisé First Time comme mon second film d’étude à l’Université de New-York, qui a remporté le grand prix au festival Short Shorts Film Festival & Asia. C’est ce qui m’a conduit à parler avec Momoi Kaori, qui a abouti au succès du court-métrage Oh Lucy!, qui a lui-même donné naissance au long-métrage. Et comme j’ai remporté le prix NHK-Sundance, j’ai pu actualiser un projet de co-production avec la NHK, qui m’a ouvert des portes pour le casting. C’est grâce à eux que des stars comme Shinobu ont dit oui, alors que j’étais une réalisatrice complètement inconnue. C’est donc la chance qui m’a conduite là où je suis aujourd’hui. C’est quelqu’un qui peut jouer de manière très naturelle. Je ne sais pas si c’est à cause des dramas, mais les acteurs japonais ont tendance à sur-jouer. Mais j’avais vu Shinobu dans d’autres rôles, y compris du cinéma indépendant, et je l’ai toujours trouvée très naturelle, comme si elle n’était guidée que par son instinct. Elle n’en fait pas trop. Je recherchais vraiment quelqu’un comme ça et quand son nom a été évoqué avec NHK, je savais qu’elle serait parfaite.
C’est la même chose pour Yakusho Koji. M. Tsuchiya, le producteur, lui a donné mon scénario après que l’on ait tourné quelques scènes et c’est comme ça que ça a commencé. Je pensais vraiment qu’il allait refuser. Kito Yukie, l’autre producteur, connaissait Koji depuis longtemps, et nous étions tous certains qu’il serait parfait pour le rôle. Chacune de ses répliques vous traverse le cœur. Ses scènes ne sont pas nombreuses, mais elles laissent toutes une impression très forte. J’étais vraiment bouleversée. J’y pensais encore deux semaines après avoir tourné ses plans.
Kaho Minami m’a aussi été présentée par NHK. Elle a lu le scénario et l’a apprécié, comme les autres. Son emploi du temps collait et elle était très enthousiaste à l’idée de rejoindre le cast. En fait, tout le monde a lu le script et vu le court-métrage, sauf Koji, qui ne voulait pas le voir avant le tournage car il ne voulait pas être influencé.
Josh Hartnett a été casté via une agence, UTA. Mais en fait, je l’avais en tête depuis le début. Ce qui m’a attiré chez lui est qu’il a pris du temps off en se retirant du métier de comédien pour voyager en quête de spiritualité. J’ai donc demandé à mon agent de contacter Josh et de lui donner le scénario. Il a rappelé immédiatement. On a parlé 15 minutes et c’était décidé dans la foulée. Je me suis sentie très chanceuse.
Travailler avec les acteurs
J’aime travailler simplement avec les acteurs. Ce qui est important pour moi, c’est ce qui arrive sur le tournage. Et je m’adapte à tout cela. Par exemple, dans le scénario, il devait faire très beau à Los Angeles, avec un ciel radieux. Je voulais montrer le contraste avec le temps à Tokyo. Mais je ne sais pas pourquoi, il a toujours fait gris quand on a tourné. Je me suis dit que ce devait être comme ça, une sorte de message de l’univers et qu’il fallait travailler avec ce que l’on avait. Du coup, ça ressemblait à un paysage japonais. J’ai dû couper des phrases de dialogue car quand le personnage arrivait, elle s’extasiait devant le soleil de la Californie. Je travaille donc en suivant le moment, les acteurs, ce qu’ils apportent. C’est cela qui donne forme au film. Je n’ai vraiment pas de méthode : c’est comme si je suivais les acteurs et les circonstances. Je veux vraiment leur laisser un espace de liberté, les laisser suivre leurs instincts. Quand je vois qu’ils ont du mal à dire une réplique par exemple, c’est qu’il y a une bonne raison et je la change, jusqu’à ce qu’ils soient assez confortables avec pour que ça vienne naturellement. On fait des essais. En japonais, on peut parfois dire la même chose de trois façons différentes. On trouve donc la manière qui correspond le mieux à l’acteur. C’est comme ça que je façonne l’histoire.
Vibrator
Je n’avais pas vu Vibrator (ndr- de Ryuichi Hiroki – 2003). C’est le jour avant la scène de tournage de la scène de sexe dans la voiture que Shinobu me dit : « ça fait bizarre. Il y a une scène vraiment semblable dans Vibrator « . Je lui ai demandé pourquoi elle ne m’en avait pas parlé avant ! J’ai pensé à changer la scène, mais c’est venu naturellement et j’en suis finalement satisfaite.
Le tournage
Le tournage s’est déroulé entre novembre et décembre 2016. 21 jours en tout. Il y a eu 2 semaines de pré-production à Tokyo puis deux semaines de tournage, et encore deux semaines de pré-prod à LA, suivies de 2 semaines de tournage. Mais comme on a fait une pause entre les deux, le tournage a duré 21 jours au total.
L’équipe du film
J’ai travaillé avec une équipe internationale. La directrice de la photographe, par exemple, Paula Huidobro, est mexicaine, mais elle habite à Los Angeles aujourd’hui. Elle est allée à l’American Film Institute. Elle a donc aussi été formée en Amérique. J’avais une équipe complètement différente dans les deux pays, sauf la directrice de la photographie, qui est restée la même.
Les décors
Pour les décorateurs, il y avait quelqu’un de différent au Japon et aux Etats-Unis. Au Japon, c’est M. Akata qui s’est occupé de tout. Il a été incroyable. Chaque détail comptait pour lui. Mais j’ai fait des recherches et je lui ai montré des photos, notamment pour la chambre. J’ai fait des recherches sur des appartements qui ressemblent à des décharges. Il a été incroyable. Même les parties des pièces que la caméra ne filme pas étaient très réalistes.
Propos recueillis par Victor Lopez à Cannes le 22/05/2017.
Photos : Kephren Montoute.
Remerciements : Yoshiko Nomura, Hilda Somarriba.
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