Cannes 2017 – Bilan : L’Asie quasiment absente du palmarès

Posté le 17 juin 2017 par

Après quelques semaines pour laisser cogiter et rattraper certains films projetés pendant les reprises parisiennes, il est temps de faire un bilan, à tête reposée, de cette 70ème édition du Festival de Cannes.

Souvent présent dans les différents palmarès cannois, le cinéma asiatique, et surtout est-asiatique, est cette fois-ci plutôt en retrait parmi les gagnants, que ce soit en compétition ou dans les sections parallèles. Pedro Almodovar, le président du jury de la compétition, avait annoncé la couleur : il ne primerait pas de films produits par Netflix. Il n’est donc pas surprenant de constater qu’Okja a été purement et simplement snobé, même si le très beau conte de Bong Joon-ho aurait mérité un petit quelque chose pour au moins mettre en avant une proposition de cinéma différente du style habituel des prétendants à la Palme d’Or.

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Kawase Naomi et Hong-Sang-soo avaient eux aussi des arguments à revendre, mais ni Vers la lumière, ni Le Jour d’après n’ont réussi à convaincre le jury. C’est plutôt compréhensible pour l’histoire d’amour sensorielle filmée par Kawase, qui en a laissé beaucoup indifférents sur la Croisette, mais le film somme de Hong Sang-soo figurait parmi les favoris, notamment du côté de la presse francophone. On peut tout de même penser que si Diane Kruger n’avait pas reçu le prix d’interprétation féminine, Kim Min-hee aurait remporté la mise tant elle illumine l’œuvre du cinéaste sud-coréen.

Il y a bien ce Prix du Jury décerné à Faute d’amour d’Andrei Zvyagintsev, pour sauver les meubles, même si le style pachydermique du réalisateur russe fascine autant qu’il rebute. On peut également se consoler avec la Palme d’Or du court-métrage pour le film A Gentle Night de Qiu Yang. Avec son troisième court-métrage, le prometteur réalisateur chinois raconte l’histoire d’un couple qui a perdu sa fille. Seule la mère partira à sa recherche, le père préférant aller se coucher. Un prix qui confirme la montée en puissance du jeune cinéma chinois, porté par des talents tels que Bi Gan (que l’on espère voir à Cannes l’année prochaine avec son nouveau long-métrage Long Day’s Journey into Night) ou Li Ruijun (et son très beau film présent dans la section Un Certain Regard).

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Dans les sélections parallèles, il y avait aussi matière à récompenser le cinéma asiatique, mais là encore, le résultat n’est pas celui escompté. Un homme intègre, film iranien de Mohammad Rasoulof, a remporté le prix Un Certain Regard et ce sera le seul à figurer parmi les gagnants. Ce thriller sociétal implacable autour d’une famille dont l’élevage de poissons d’eau douce est menacé par une compagnie privée, rappelle le style et l’efficacité scénaristique du cinéma d’Asghar Farhadi, avec ses qualités et ses défauts. Toujours est-il que le rebondissement final, d’un nihilisme effrayant, parachève une réflexion profondément pessimiste sur un pays gangrené par la corruption.

Le jury présidé par Uma Thurman aurait pu également récompenser la proposition singulière de Kurosawa Kiyoshi, un film de fin du monde philosophique à l’image de son titre : Avant que nous disparaissions. Mais c’est surtout Passage par le futur, le long-métrage poignant et tragique de Li Ruijin, qui aurait dû repartir avec un prix. Cette radiographie de la jeunesse chinoise remue profondément, jusqu’à son plan final d’une tristesse absolue. On notera également la présence de Tesnota, une vie à l’étroit réalisé par Kantemir Balagov, qui, comme tous les films cannois ayant un rapport de près ou de loin avec la Russie, montre un aspect peu reluisant du pays. On retiendra surtout la révélation Darya Zhovner, boule d’énergie qui ne cherche qu’à s’échapper du cadre très refermé imposé par le réalisateur.

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Du côté de la Quinzaine des Réalisateurs, le western féministe indonésien Marlina, la tueuse en quatre actes, réalisé par Mouly Surya, bien qu’intéressant dans sa manière de briser sa lenteur éphémère par des saillies de violence abruptes, était loin d’être le film le plus marquant de la sélection. Il faut dire qu’il y avait beaucoup de bons films cette année et il était difficile d’en faire ressortir certains plus que d’autres. L’un des plus notables restera sans doute le documentaire Nothingwood (en salles depuis le 14 juin). Sonia Kronlund a suivi pendant plusieurs mois le réalisateur-acteur Salim Shaheen, ultra-connu en Afghanistan, notamment pour sa capacité à réaliser des films sans budget, par amour du cinéma, faisant fi du contexte difficile d’une guerre qui a ravagé le pays. L’intérêt principal de ce documentaire passionnant réside dans sa manière de mettre au centre l’envie insatiable de filmer du cinéaste afghan, et ce, peu importe les obstacles à surmonter et les risques encourus. On s’attache à une galerie de personnages épatants, que ce soient Salim Shaheen lui-même, ou par exemple, son acteur fétiche Qurban Ali Afzali. C’est drôle, frais, et ça donne une autre image de l’Afghanistan, celle d’un peuple meurtri qui tente de vivre malgré tout.

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Enfin, à la Semaine de la Critique, pas de prix non plus pour Oh Lucy!, la comédie douce-amère de Hirayanagi Atsuko, ni pour Téhéran Tabou, du réalisateur iranien Ali Soozandeh. Porté par une utilisation de la rotoscopie absolument bluffante, ce film d’animation nous plonge en plein cœur de la capitale iranienne, où plusieurs femmes et hommes tentent de surmonter les tabous d’une société rongée par ses propres contradictions. S’il est parfois un peu démonstratif, notamment dans sa caractérisation des personnages, Ali Soozandeh s’appuie sur la liberté permise par l’animation pour pousser sa réflexion au-delà des interdits. C’est en tout cas réjouissant de voir le cinéma iranien explorer différents genres pour mieux mettre en exergue l’absurdité d’un système oppressant et parfois irrespirable.

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On aurait pu aussi vous parler du film Une prière avant l’aube de Jean-Stéphane Sauvaire, présenté en Séance de Minuit avec les deux films coréens Sans Pitié et The Villainess, mais cette descente aux enfers d’un jeune boxeur britannique dans une prison thaïlandaise, qui se veut viscérale, est surtout décevante, souvent mal filmée et très répétitive.

Voilà pour les films asiatiques importants de cette 70ème édition. Une bonne année en terme de qualité donc, même si la reconnaissance n’est pas forcément au rendez-vous.

Nicolas Lemerle.

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