C’est l’un de nous coup de cœur cinéma de l’an passé : le trans-genre Man On High Heels de l’éclectique et génial Jang Jin arrive en COMBO (Blu-ray + DVD) le 9 mars ! L’occasion de revenir sur un film hors-norme en vous présentant cette sortie en compagnie de son réalisateur : critique et entretien !
Introduction
« Un homme, un vrai ». C’est ainsi que qualifient, parfois admiratifs, les ennemis de Ji-wook, flic hard-boiled capable de mettre à terre des dizaines d’hommes seul et à mains nues. Et pourtant, ce symbole absolu de la virilité et de la masculinité coréenne se voit comme une femme. Après avoir refusé sa féminité pendant des années en se construisant un corps, muscles seyants et bardé de cicatrices, et un esprit, emprunt des caractéristiques machistes les plus apparentes, aux antipodes de celui qu’il est vraiment, il se décide à changer de vie et d’identité. Sans être parfait – le film s’encombre par exemple d’une romance straight ayant visiblement pour seule justification de faire passer la pilule de la vraie histoire d’amour du film, homosexuelle et en flashbacks et la thématique de la transsexualité au cœur du film auprès du public assez traditionnel des amateurs de polars coréens – Man on High Heels arrive à dégager une passionnante réflexion sur le genre et la masculinité dans les films d’action et la société coréenne, sans oublier d’être un polar, un vrai.
Victor Lopez.
Critique
Les muscles bandés, le corps bardé de cicatrices, le regard noir, une silhouette longue et élégante, le détective Ji Wook (magnétique Cha Seung-won) fait preuve d’une sacré classe quand il s’agit de s’acquitter de son devoir de policier.
Et c’est sans compter ses connaissances en anatomie humaine qu’il use avec force, et une agilité féline pour mettre en déroute une douzaines de truands lui faisant obstacle. Une méthode pour le moins radicale qui a bâti sa légende dans le milieu de la pègre et créé l’admiration de ses collègues dans tout le commissariat. Cependant, le colosse a des pieds d’argile ou, du moins, des chevilles fragiles à force de porter des talons aiguilles, car quand il raccroche sa tenue de flic, Ji Wook n’a qu’un seul désir : devenir une femme.
Sous ses apparats de polar coréen, avec ses ambiances nocturnes et ses combats au corps à corps ultra stylisés, se cache un film intimiste pour le moins atypique au vu du genre qui l’héberge, un trait de caractère bienvenu dans un genre cinématographique qui a tendance à s’essouffler.
Jang Jing traite avec une réelle sensibilité son sujet, en adoptant le point de vue de son personnage transgenre qui tente bon gré mal gré de concilier deux modes de vie que tout oppose. Aux moyens de flash-backs, le cinéaste filme l’éveil amoureux de son personnage, et la découverte de sa propre sexualité dont chacune des tragédies personnelles et souffrances vécues sera scarifiée sur ce corps non désiré comme autant de chapitres de son propre roman biographique.
Le réalisateur n’oublie pas pour autant le récit de son film, il raccorde astucieusement l’intrigue policière au parcours tumultueux de son personnage principal au travers de sa relation conflictuelle avec son rival le gangster Heo-Gon. En effet, totalement omnibulé par Ji Wook depuis leur rencontre sous une pluie battante, alors que ce dernier donnait une démonstration chorégraphiée de ses talents martiaux, le truand le vénère depuis et voit en lui un modèle de virilité qu’il tente d’approcher sans pour autant se douter du secret qu’il renferme. Une liaison pour le moins ambiguë qui se terminera dans le sang dans une scène qui révèlera de manière très symbolique la nature homosexuelle refoulée du gangster pour l’homme de loi.
Le film, tout comme son personnage, peine à sortir de sa chrysalide. Bien qu’il enchaîne assez subtilement scènes de bravoure et parcours personnel de son antihéros, Man On High Heels a du mal à se hisser au niveau des fleurons du genre. Jang Jing n’a pas le talent et la virtuosité technique de son ami et confrère Kim Ji-woon, la scène d’introduction renvoyant à celle de A Bittersweet Life sans toutefois la pasticher ou jouer de la référence abusive. Il n’y a pourtant peu de choses à déplorer sur l’efficacité de se mise en scène et la solidité de sa construction dramatique. On regrette cependant que le film ne pousse pas suffisamment loin dans le traitement de la problématique de l’identité sexuelle du détective et du milieu interlope des transsexuels dans la société coréenne. Jang Jin lève le rideau sur ce monde, sur la réalité économique et le quotidien des trans au travers du personnage de Bada, véritable guide du héros dans cette crise identitaire et sexuelle. C’est en effet cette barrière financière qui est le moteur de l’intrigue et va s’avérer être le talon d’Achille du détective et le précipiter dans sa chute. Cependant, il faut reconnaître l’audace et le courage de développer pareil projet au sein d’un studio de cinéma comme la Lotte. Malgré tous ces efforts louables, le film se termine sur un triste constat : la Corée comme le personnage de Ji Wook doivent remettre à plus tard cette révolution sexuelle et sociale, Man On High Heels n’ayant pas su trouver son public lors de sa sortie au cinéma au cours de l’été 2014.
Man On High Heels mérite que l’on soutienne un tel projet, d’une part pour le choix et le traitement de son sujet aussi courageux qu’original, et pour ses qualités indéniables de mise en scène sans oublier la performance physique et touchante de son acteur principal. On lui souhaite un meilleur accueil dans les salles françaises.
Martin Debat.
Entretien avec Jang Jin
Figure majeure de la Nouvelle Vague coréenne et pourtant quasi inconnu en dehors de son pays, Jang Jin a construit au long de sa carrière une filmographie riche, jonchée de succès populaires et de bides au box office. Dramaturge à succès, il se voit confier après quelques essais pour la télévision, l’écriture d’un scénario pour le cinéma : la comédie féministe A Hot Roof. Depuis il ne lâchera plus le 7ème art, passant allègrement des scènes de théâtre aux plateaux de cinéma et adaptant même certaines de ses pièces en films. Véritable touche-à-tout, Jang Jin explore tous les genres sans distinction et applique avec plus ou moins de réussite sa recette miracle : une combinaison faite de sujets de société, de personnages à la fois réalistes et truculents qui se retrouvent dans des situations improbables, à laquelle il ajoute un traitement fait de militantisme décontracté et d’humour caustique. Jang Jin était en cette année 2015 à l’honneur au Forum des Images pour le cycle Séoul hypnotique dont l’une de ses récentes réalisations, Man on High Heels, était projeté en ouverture. En attendant sa sortie en salle l’été prochain, nous avons pu juger un peu mieux de l’éclectisme et du talent de cet auteur populaire de cinéma coréen, et nous ne pouvons qu’espérer que cette découverte tardive n’aura pas été vaine !
Kpop Life Magazine : Qu’est ce qui a inspiré le scénario de Man On High Heels ?
Je voulais parler de gens qui, dans le monde dans lequel on vit, ne peuvent pas s’exprimer. Ils n’ont pas la parole car nos valeurs les excluent, ils se trouvent toujours un peu en marge et mènent des vies de grandes souffrances. Je ne parle d’ailleurs pas que des transsexuels, cela peut être d’autres minorités. C’est avant tout d’eux dont je voulais parler.
East Asia : Plus précisément, pourquoi ce choix d’un personnage central aussi atypique ?
C’est un film de divertissement, un film commercial. Il fallait donc aussi que je crée un certain type de personnage qui puisse attirer les spectateurs. Je me suis demandé quel était l’opposé absolu de quelqu’un qui ne peut parler d’un secret, qui cache des choses… Et pour moi, la façon la plus contradictoire d’en parler, c’était dans la forme d’avoir un flic très viril. C’est pour cela que l’on a ce contraste entre cet aspect du personnage et la partie féminine qu’il a en lui.
East Asia : Comment êtes-vous parvenu à faire accepter l’idée d’un personnage principal de flic homosexuel transgenre à une major comme Lotte ?
Il y a effectivement eu une sorte de résistance de leur part, sans aller jusqu’à une véritable opposition. Certains se demandaient si la Corée était prête à voir aborder ce genre de sujet, si cela valait le coup d’investir six millions de dollars pour ce film. Mais, même si c’est un conglomérat, les gens qui travaillent dans cette major sont quand même des cinéphiles : ils aiment le cinéma et ont travaillé longtemps dans le milieu. Nous nous sommes tous dit que l’on voulait faire ce film. Nous avions cette volonté commune de porter ce projet à l’écran.
Kpop Life Magazine : La communauté LGBT de Séoul est de plus en plus présente. Avez-vous eu des retours de leur part sur le film ?
Il n’y a pas vraiment eu de réception particulière ou de réaction de leur part, car l’on ne peut pas vraiment parler de communauté. Ils sont invisibles, dénués de parole, de représentants, de voix, comme je le montre dans le film. Je n’ai pas vraiment eu de retour spécifique. Mais je pense, d’après ce que j’ai pu entendre, qu’ils étaient contents que je puisse traiter de leurs problèmes de façon sérieuse et grave. Le revers de la médaille est que certains ont regretté que je ne puisse montrer qu’un aspect de leur vie, car derrière ça, il se cache beaucoup d’autres choses. Ce qui peut être un peu frustrant.
East Asia : Comment avez-vous développé la relation entre le flic Ji Wook et le gangster Heo-Gon et est-ce que le sentiment d’homosexualité latente entre les deux personnages était voulu ?
C’est une relation intéressante, mais je ne voulais pas vraiment évoquer de sentiment homosexuel à proprement parler. Même si ce personnage est un méchant, c’est un homme qui veut vraiment devenir macho. Quand il voit Ji Wook, il voit un flic avec un charme fou, qui a une aura, qui dégage vraiment quelque chose. Mais quand il comprend qu’il veut devenir une femme, il a ce sentiment de trahison car tout ce qu’il admirait en lui s’écroule.
East Asia : Est-ce selon vous plus facile de traiter des sujets de société à travers des films de genres populaires ?
Oui, c’est quelque chose de très intéressant, car c’est assez facile de montrer ce genre de sujet à une grande partie de la population. C’est quelque chose de très stimulant pour tous ceux qui travaillent dans le domaine de la culture populaire.
East Asia : La scène d’ouverture dans la boîte de nuit rappelle celle de A Bittersweet Life de votre confrère et ami Kim Jee-woon. Était-ce intentionnel de votre part ?
(Il hésite) Dans A Bittersweet Life… à quel moment ?
East Asia : Au tout début du film, on voit le héros arriver dans la boîte…
Ha oui, je vois ! Je voulais vraiment montrer la toute-puissance de ce personnage sans foi ni loi à travers ce décors.
C’est assez drôle : si l’on considère l’itinéraire du personnage dans cette scène, on a une distance d’environ six mètres. Et cela a pris quatre jours à tourner ! C’est-à-dire que tous les jours, il avançait d’un mètre cinquante !
Kpop Life : Man on High Heels sera votre premier film à sortir en France. Suite à l’avant-première, comment avez-vous ressenti la réaction du public?
J’ai vraiment eu l’impression que le public était absorbé par le film et j’en suis très heureux et reconnaissant. Et tout d’un coup, je me suis dit que cela sera vraiment bien de venir tourner des films en France (rires).
Kpop Life : Vous avez déjà dirigé Cha Seung-Won dans le film My Son, pourquoi avoir collaboré de nouveau avec lui?
J’ai déjà tourné trois fois avec lui et il est vraiment comme un ami. Mais ce n’est pas parce que c’est un ami que cela a influencé le casting. Quand j’ai demandé conseil autour de moi pour trouver la personne idéal pour ce rôle, tout le monde ne voyait que lui pour l’interpréter.
Kpop Life : Comment avez-vous réussi à faire ressortir autant de sensibilité d’un homme aussi viril?
Je pense que c’est quelque chose qu’il avait déjà en lui. C’est parce qu’il avait ce talent enfoui qu’il a réussi à faire ressortir ce côté-là. C’est vraiment à travers nos propositions et nos discussions qu’il a pu réussir cela, car je ne pense pas qu’un réalisateur , aussi génial soit-il, puisse faire ressortir quelque chose d’inexistant chez un acteur. Pour moi, une bonne mise en scène, c’est justement faire ressortir le meilleur des capacités d’un acteur. Je ne pense pas qu’il s’agisse de magie et qu’un réalisateur puisse transformer un acteur soudainement par un coup de baguette magique si l’acteur n’avait rien en lui avant cela.
Kpop Life : Y a-t-il d’autres sujets sensibles de la société coréenne que vous souhaiteriez traiter dans vos prochains films?
Officiellement, je ne tournerai mon prochain film que dans deux ans. Ce sera une satire politique assez puissante qui fera vraiment penser au gouvernement (coréen – ndlr) actuel. C’est un sujet qui n’est peut-être pas si facile à faire par les temps qui courent. Mais je pense que finalement, une petite critique pour une présidente qui est sur le départ, cela ne fera pas de mal. Je ne devrais pas avoir trop de problèmes.
Kpop Life : Vous réalisez des films depuis presque 20 ans. Comment voyez-vous l’évolution du cinéma coréen à l’international?
Le cinéma coréen a vraiment beaucoup mûri. Il est devenu très bon alors qu’avant on montrait le cinéma coréen comme un cinéma du tiers monde. À l’époque, il n’y avait pas beaucoup de films populaires. C’était surtout des films philosophiques ou parlant de sujets difficiles qui étaient montrés au public étranger. Mais aujourd’hui, je pense que ce qui plaît au public coréen plaît également au public étranger. C’est vraiment quelque chose de bien et je pense vraiment que le cinéma coréen n’en deviendra que meilleur dans les années à venir.
East Asia : Martin Debat.
Kpop Life Magazine : Laura Bessa (interview) / Marion Martinez (questions).
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Traduction : Yejin Kim.
Propos recueillis à Paris (Forum des Images) le 16/09/2015. Merci à Diana-Odille Lestage et à Myriam Cahouch.
Le COMBO (blu-Ray + DVD)
Bonus :
- PRÉSENTATION DES PERSONNAGES
- COURT-MÉTRAGE : SUR LE TOURNAGE DU FILM
- ENTRETIEN AVEC JANG JIN
- BANDE-ANNONCE
Spécificités techniques :
COULEUR ● FORMAT IMAGE 2.35 ● SOUS-TITRES FRANÇAIS
BLU-RAY : 2H05 ● 1080p24 ● VO EN DTS HD-MA 2.0 ET 5.1
DVD : 1H59 ● PAL ● VO EN DD 2.0 ET 5.1
LIEN D’ACHAT
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Man On High Heels de Jang Jin. Corée. 2015. En COMBO (DVD + Blu-Ray) le 09/03/2017.