Kinotayo 2017 – Entretien avec Yoshida Keisuke (Hime-anole)

Posté le 18 mars 2017 par

Hime-anole a été à coup sûr l’une des bonnes découvertes faites en festival au cours de l’année 2016. Présenté à l’Étrange Festival, ce petit film japonais dont jusqu’ici tout le monde ignorait jusqu’au nom de son auteur en a surpris plus d’un. Drôle, sensible, glaçant et vraiment pervers, le film parvient à faire quelques chose de rare sur un écran aujourd’hui, un mélange vraiment habile de deux genres cinématographiques que tout oppose : la comédie romantique et le thriller horrifique. Pas étonnant non plus de retrouver à l’origine du projet le mangaka Furuya Minoru, déjà auteur du Himizu adapté à l’écran par Sion Sono dont l’œuvre est injustement boudée par les maisons d’éditions françaises de manga. Il est temps de parer à cette injustice et de faire connaissance avec cet étonnant cinéaste que nous avons rencontré en début d’année à l’occasion du Festival Kinotayo.

Lire la critique de Hime-anole ici

Comment avez-vous découvert le manga de Furuya Minoru ? Et pour quelles raisons avez-vous décidé de l’adapter ?

J’étais fan du travail de Furuya depuis ses débuts. Bien sûr j’avais lu beaucoup de ses feuilletons. Avant d’être publiés sous la forme de livres, les mangas sont pré-publiés dans des revues spécialisées. Quand je réalisais des films auto-produits, il s’agissait d’œuvres assez sombres. Et lorsque je suis passé à des films commerciaux, je me suis attelé au genre de la comédie. Elles sont plutôt bonnes. Je souhaitais revenir aux films de mes débuts. Hime-anole est apparu comme une évidence, il mélange parfaitement les deux genres de la comédie et du thriller. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de l’adapter pour le cinéma.

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Go Morita

Quelles furent les difficultés pour adapter cette histoire à l’écran ?

Dans le manga, on lit souvent les monologues intérieurs du personnage de Morita interprété à l’écran par Go Morita. Il y exprime ses sentiments et les raisons qui l’ont poussé à devenir un tueur en série. Il y a aussi dans le manga ces victimes qui font partie de l’entourage du criminel et participent au développement du personnage. Dans le film, il s’agit de tout autre chose, je me suis centré sur la relation entre Morita et Okada. Les victimes à l’écran n’ont pas ou peu de rapports avec leur agresseur. C’était un parti pris de ma part de ne pas exprimer sa voix intérieure. J’appréhendais du coup la réaction des fans du manga originel, mais en lisant les commentaires, j’ai le sentiment qu’il a été bien accepté.

Du coup, comment êtes-vous parvenu à concilier ces deux genres antinomiques, et garder en même temps un forme d’équilibre dans sa narration ?

Dans le film, on a l’impression que c’est le personnage de Okada (Hamada Gaku) qui représente le segment comédie. Cette partie symbolise le quotidien. Morita, lui incarne le genre thriller, une sorte d’anti-quotidien. J’ai travaillé les contrastes en termes d’image. J’ai joué sur les palettes de couleurs, côté pastel et pop pour la comédie et une gamme plus sombre et désaturée pour la partie suspense. Dans ma mise en scène, je ne filmais pas ces parties distinctes de la même manière. Et le thriller prend de plus en plus de place au sein de la partie comédie. Lorsque Morita apparaît au cours d’une scène plus légère, l’image s’assombrit. J’avais déjà tout prévu dès le stade de l’écriture, ce fut donc plus facile à tourner. Je pense avoir réalisé un film fidèle à mes intentions de départ, et j’en suis fier.

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La structure narrative du film est très originale. On commence avec une romance et au bout de 45 minutes apparaît le générique et le film bascule de plein pied dans le thriller  avec notamment cette scène d’amour montée en alternance avec celle d’un meurtre. Comment l’avez-vous conçue ?

Tout était préparé au stade de l’écriture. Concernant cette scène d’amour, nous avions décidé de filmer la jeune femme, interprétée par Satsukawa Aimi, de dos, tout comme la victime femme (Yamada Maho) dans la scène de meurtre montée en parallèle. Cette dernière, après une chute, se retrouve ensuite à quatre pattes en train de se faire frapper par Morita. Tout avait été scénographié à l’avance, il a fallu trouver ensuite un appartement exigu, mais suffisamment grand pour accueillir l’équipe caméra, et pouvoir diriger l’actrice dans cette scène très physique. Tout avait été conçu au préalable.

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Satsukawa Aimi

Vous êtes essentiellement connu pour vos comédies romantiques. Le trio amoureux fonctionne à merveille dans le film. Quels étaient les ingrédients essentiels pour rendre crédible cette romance ?

J’écris souvent mes scénarios d’après mes propres expériences, et celles de mes amis. On entend souvent dans mes films des propos qui ont été tenus par mes ex-compagnes. Cela apporte beaucoup de réalisme à l’histoire. Et cela touche d’autant plus les spectateurs qui reconnaissent des situations qu’ils ont peut-être vécues.

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Hamada Gaku et Satsukawa Aimi sur le point de tomber amoureux

Le chanteur Morita Go est employé à contre-emploi. Pourquoi l’avoir choisi ? Et comment l’avez-vous convaincu de jouer ce rôle ? Sachant que les stars de l’écurie Johnny’s sont très attachés à leur image de joli cœur ?

C’était la première fois que Morita Go  jouait le rôle principal dans un film. Par contre il avait déjà eu des rôles difficiles, un peu sales au théâtre. Étant donné qu’il s’agit de performances sur scène, peu de Japonais savent qu’il joue très bien la comédie. J’étais fan de son travail, et je souhaitais révéler au grand jour son talent d’acteur. En ce qui concerne Johnny’s, c’est une agence très connue, et beaucoup de leurs acteurs et chanteurs sous contrat ne jouent que des rôles positifs à l’écran. Morita est à part, il prend des risques et accepte facilement d’interpréter des personnages difficiles, et sans vouloir discriminer Johnny’s, je dirais que les dirigeants de cette agence étaient très fiers de montrer que l’un de leurs poulains pouvait jouer ce type de rôle.

Les scènes de meurtres sont pour le moins glaçantes et très réalistes dans leur représentation. Comment les avez-vous conçues ? Et quelles étaient vos influences en matière de thriller ?

Pour ces scènes, ce n’est pas très sain pour l’esprit. J’ai regardé des scènes de crimes filmées à l’étranger depuis des caméras de surveillance. Il s’agit d’actes réels et d’images objectives. Sinon en matière de cinéma, je citerai Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper. Si je me souviens bien du film, le premier crime que l’on voit c’est celui d’un jeune homme qui se fait frapper au niveau du crâne par Leatherface au moyen d’un maillet. Il tombe au sol et est pris de convulsions. J’ai montré le DVD à l’acteur Komakine Ryusuke , qui joue aussi la première victime à l’écran de Morita. Je lui ai demandé de faire pareil, mais je voulais que ses spasmes soient plus rapides. Il s’agissait un peu pour moi d’une forme d’hommage. De plus lorsque j’ai reçu un prix au Festival International du Film Fantastique de Yubari (YIFFF) en 2006 pour mon film Raw Summer, le président du jury était justement Tobe Hooper.

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Morita Go

J’aimerai savoir pourquoi ne pas avoir choisi d’acteurs plus jeunes pour les scènes de flashbacks ?

Je savais que c’était un peu forcé, pas très subtil. En fait, il s’agissait plus d’un gage pour Morita de porter l’uniforme de lycéen (rires). Mais il me semblait juste que l’acteur ressente l’évolution de son personnage, des humiliations et des brimades dans sa jeunesse. C’était une façon de boucler le personnage.

Quels sont vos futurs projets ?

C’est un film dur, des frères qui ne s’entendent pas et des sœurs qui se détestent. Une histoire d’amour et de haine que je vais tourner ce printemps.

Que pensez-vous de l’industrie du cinéma japonais actuellement?

J’ai l’impression qu’il y a de plus en plus de disparités dans les productions, d’un côté des films commerciaux qui ont du succès mais qui sont réalisés pour le marché domestique et de l’autre des films présentés dans des festivals internationaux, mais en raison de leur faible budget en termes de communication, ils sont moins connus chez nous. Autrefois, il y avait une culture souterraine, mais aujourd’hui elle n’existe plus, ou il n’y a que très peu de place pour ce type de films. J’ai le sentiment que le cinéma japonais est aujourd’hui en danger, et pourtant j’ai l’impression d’avoir de la chance.

Propos recueillis par Martin Debat à Paris le 14/01/2017.

Traduction: Megumi Kobayashi  

Remerciements : Bertrand Cannamela et l’équipe du Festival Kinotayo

Hime-anole de Yoshida Keisuke – 2016.

Présenté au 11ème Festival du Cinéma Japonais Contemporain Kinotayo.

Lire la critique de Hime-anole ici.