Avec Going The Distance, le jeune réalisateur Harumoto Yujiro signe un premier film séduisant qui a fait carton plein au palmarès du 23ème Festival International des Cinémas d’Asie (FICA) : Prix du Jury International (« Pour le questionnement sur les limites de l’amitié et l’engagement moral »), Prix du jury NETPAC (« Pour la justesse de son discours, la maîtrise de la grammaire cinématographique, sa juste analyse des relations entre jeunes adultes, empêtrés dans une série de besoins contradictoires d’une réalité désincarnée au cœur de la métropole nipponne »), et coup de cœur du jury Guimet ! Rencontre avec un cinéaste japonais promis à un bel avenir.
Pouvez-vous présenter votre parcours aux spectateurs qui découvrent votre cinéma avec Going The Distance ?
Quand j’étais petit, j’aimais beaucoup les mangas et les films d’animation, tout particulièrement ceux du Studio Ghibli et de Miyazaki Hayao. Je voulais donc travailler dans le monde de l’animation. Pour apprendre à en faire, j’ai postulé dans une faculté de cinéma très réputée et j’ai été pris (ndlr – la Nihon University College Of Art). Mais je me suis rendu compte ensuite qu’il n’y avait pas de département d’animation (rires) ! J’ai bien compris que je n’étudierai pas l’animation, mais je me suis dit que ça pouvait servir un jour et je suis quand même entré dans cette université. J’y ai surtout fait des rencontres et des amis m’ont fait découvrir un cinéma que je ne connaissais pas : beaucoup de films en prises de vues réelles qui m’ont séduit et donné envie d’entrer dans le milieu du cinéma.
Quels sont les réalisateurs que vous avez découverts à cette époque et qui vont ont donné envie de faire du cinéma ?
Il y a trois réalisateurs qui m’ont vraiment influencé. Le premier est le réalisateur polonais Krzysztof Kieślowski, qui est connu pour son Décalogue et sa trilogie Bleu / Blanc / Rouge. J’aime particulièrement Bleu avec Juliette Binoche. Il y a aussi les frères Dardenne et un réalisateur japonais qui s’appelle Masumura Yasuzō. Il est moins connu que Naruse, Ozu ou Kurosawa ici, mais je vous conseille vivement ses films si vous ne le connaissez pas.
Après vos études, vous avez travaillé comme assistant réalisateur. Comment cela s’est-il passé ?
Je suis entré dans les studios de la Shochiku à Kyoto, où je travaillais sous contrat à temps plein. C’est une expérience qui m’a beaucoup formé. J’ai travaillé sur des titres absolument inconnus à l’étranger, mais très connus au Japon. La Shochiku est spécialisée dans des grosses productions historiques en costumes. Au fond, je m’intéressais plus au cinéma contemporain, mais je me disais que dans des films historiques comme ceux-là, la manière de montrer la psychologie des personnages, l’émotion des êtres humains est la même. Je suis donc resté un certain temps car j’ai pu apprendre énormément.
Comment est né Going The Distance ?
Je voulais de toute façon devenir réalisateur, mais au Japon, ce n’est pas possible comme cela. C’est parce que l’on a longtemps été assistant réalisateur que l’on peut y arriver. Personne ne veut financer le film de quelqu’un qui n’est pas déjà connu ou qui n’a pas une très longue expérience. La seule façon de faire un film est de trouver soi-même l’argent qu’il faut et l’équipe pour le réaliser. C’est une vraie tendance aujourd’hui pour les jeunes réalisateurs et j’ai fait pareil. Tout en travaillant comme assistant-réalisateur, j’ai commencé à préparer mon propre film dans mon coin.
Vous aviez donc le scénario de Going The Distance en tête depuis quelques temps avant le tournage ?
Il y a un sujet qui m’est très cher depuis très longtemps et dont je veux faire un film. Mais je sentais que, comme c’était la première fois que je réalisais mon propre film, je ne serai pas à la hauteur, que je ne serais pas capable de déployer toutes mes compétences. Finalement, je me suis dis qu’il était encore trop tôt pour traiter ce sujet. J’ai donc choisi un autre sujet pour faire Going The Distance.
J’ai d’abord cherché des gens qui voudraient bien faire un film avec moi. On a ensuite commencé à discuter du type de film que l’on allait faire. J’ai surtout beaucoup discuté avec l’acteur qui allait tenir le rôle principal, Matsuura Shinichiro. C’est lui qui m’a donné l’idée de cette histoire. En discutant, on s’est rendu compte que l’on était encore jeune, et peut-être pas encore capable de faire un grand film. On s’est donc concentré sur un sujet qui nous est proche, pour vraiment parler de la réalité et faire passer des émotions de manière très réaliste. Le film devait donc être centré sur la vie quotidienne. Matsuura Shinichiro m’a dit que lui-même faisait de la boxe et qu’il a été victime d’une arnaque. C’est comme ça que j’ai créé cette histoire.
Etait-il aussi impliqué dans l’écriture du scénario ?
C’est son histoire personnelle qui m’a inspiré, mais je suis loin d’avoir pris 100% de ce qu’il m’a raconté pour écrire le film. Il m’a donné cette idée, et j’ai voulu me diriger vers un thème, et pas juste raconter une histoire. Je me suis dit qu’à travers cette histoire d’arnaque, je pouvais parler de la forme de la famille dans la société japonaise. Elle a beaucoup changé au Japon après la seconde guerre mondiale : la culture occidentale est entrée dans la société japonaise. Autrefois, plusieurs générations vivaient sous le même toit, mais maintenant, la famille est faite autour d’un couple. On est donc beaucoup moins nombreux dans une maison et cela a entraîné une modification de toutes les relations. Chacun a son image de la famille idéale, mais toutes sont très différentes. Et donc forcément, les conflits sont toujours là et ça me semble être un vrai problème aujourd’hui au Japon. J’ai décidé que mon film tournerait autour du sujet de la famille, en partant de cette histoire d’arnaque. J’ai beaucoup parlé avec Matsuura Shinichiro pendant l’écriture, mais surtout pour vérifier ce qui s’était réellement passé. Parfois, je prenais ce qu’il me disait, parfois non. J’ai même changé certaines choses… C’est vraiment un film de fiction, dont je suis responsable du scénario.
En terme de mise en scène, vous utilisez beaucoup la caméra portée : était-ce pour rester au plus proche de vos personnages ?
Hum… en effet ! C’est toujours un peu compliqué de parler d’intention de la caméra. Tout n’est pas clair, même pour moi. Je pense que je filme en pensant toujours au regard du public. Je me demande sans cesse ce qu’il veut voir. Et donc forcément, la caméra est souvent le plus près possible des personnages, car je pense que c’est ce point de vue que veut le public.
Est-ce que le titre du film, Going The Distance est une référence à la musique de Rocky ?
Pas du tout ! En fait, le titre japonais, Kazoku E, est complètement différent. « Going The Distance » est une proposition de la personne qui a traduit le film en anglais, qui m’a dit qu’une traduction littérale (« Chère famille » ou « Adressé à ma famille ») sonnait un peu démodé. On a donc créé un autre titre international. Parmi ses propositions, j’ai trouvé que Going The Distance correspondait le mieux aux personnages et au sujet du film. Evidemment, c’est le même titre que la chanson du film, mais c’est parce que dans l’idée de la boxe, il faut faire un effort jusqu’au bout, ce que fait mon personnage principal. J’ai d’ailleurs remarqué à cette occasion que quand un film étranger sort au Japon, le titre change complètement.
Le film a-t-il été montré au Japon ?
Il n’est pas encore sorti, mais il a été montré au Festival de Tokyo, à un public très restreint. La réaction a été positive il me semble. Je suis un peu gêné de le dire moi-même mais beaucoup de spectateurs ont été très émus. A l’issue de la projection, on m’a surtout dit que l’on pouvait s’identifier de manière très naturelle à tous les personnages du film.
Vous parliez plus tôt d’une thématique que vous avez envie de traiter depuis longtemps : est-ce que ce sera votre prochain film ?
Le film que je veux absolument faire ne sera pas mon prochain, mais mon troisième film. Il traitera d’un thème très universel du péché et des châtiments. Mais comme le contexte historique du film n’est pas lié à l’époque actuelle, je ne suis pas pressé de le réaliser et je préfère travailler maintenant sur un autre scénario, que j’ai presque terminé. Je vais commencer à travailler sur la production cet été et je compte tourner l’année prochaine.
Et pour le moment, vous avez abandonné l’idée de faire des films d’animation ?
Le monde du cinéma d’animation est un vrai monde en soi ! Il y a des professionnels incroyables dans ce milieu, mais je ne me sens pas encore capable de faire les deux et je me contente humblement de faire des films en prises de vue réelles.
Propos recueillis le 12/02/2017 à Vesoul par Victor Lopez et Elias Campos.
Traduction de Shoko Takahashi.
Remerciement : Célia Parisot, Bastian Meiresonne et toute l’équipe du FICA de Vesoul.
Going The Distance de Harumoto Yujiro. Japon. 2016. Présenté au 23ème Festival International des Cinémas d’Asie (FICA) du 7 au 14 février 2017 à Vesoul.