Entretien avec Tsukamoto Shinya, acteur dans Silence de Martin Scorsese (en salles le 08/02/2017)

Posté le 25 février 2017 par

Tsukamoto Shinya, réalisateur de Tetsuo, Bullet Ballet, Soseiji, Snake of June, acteur chez Miike Takashi et Anno Hideaki, tient le rôle du martyr Mokichi dans Silence de Martin Scorsese aux côtés de Asano Tadanobu (vu chez pratiquement tous les cinéastes japonais contemporains, de Iwai Shunji à Fukada Koji), et Ogata Issei (Le Soleil de Alexandre Sokourov). Il y incarne le personnage qui ne renie pas. 

Comment avez-vous rencontré Martin Scorsese ?

Cela s’est fait par un des co-producteurs japonais de Silence. Il m’avait vu jouer à la télévision, et je parlais anglais. Il cherchait les acteurs japonais qui allaient assurer les seconds rôles. La directrice de casting du film, Ellen Lewis, a également regardé cet extrait télé et m’a demandé de préparer une audition pour le rôle de Mokichi. Cependant, je ne savais pas que Scorsese serait présent ! Il m’a dit qu’il connaissait mes films, qu’il aimait Tetsuo, et qu’il était surpris de me voir arriver ainsi. Scorsese jouait le rôle de Rodrigo pour l’audition et c’était semblable à une session de jazz ; une fois le thème trouvé, il invitait toutes les modulations, les variations, c’était magnifique.

En tant que metteur en scène, quels films de Scorsese ont compté pour vous ?

taxidriverposter

Quand j’étais lycéen j’ai découvert Taxi Driver, qui a été un choc et que j’ai revu plusieurs fois par la suite, en découvrant autre chose à chaque visionnement. J’ai aimé cette figure solitaire, c’est très présent dans mon cinéma. Je vois les films de Scorsese lorsqu’ils sortent en salle, et je continue d’admirer la façon dont ils se distinguent encore aujourd’hui, de l’héroïsme conventionnel qui caractérise le cinéma hollywoodien, dont ils creusent la part d’ombre chez les personnages.

Vous êtes dans la première partie du film.  Le tournage a duré combien de temps pour vous ? Et quel est votre impression sur sa façon de travailler ?

Le tournage du film a duré 5 mois. Quant à moi, j’y étais pour 3 mois, à Taïwan. Dans les documentaires que je connaissais de lui, ceux où on le voit parler de cinéma, américain et italien, je le voyais comme quelqu’un de puissant, qui a ce débit célèbre et cette connaissance inépuisable du cinéma… Mais sur le tournage il parlait peu, et toute son équipe était si concentrée. Il cherchait à mettre les acteurs en situation de confiance tout en leur donnant peu d’indications, il nous laissait jouer. Mais il faisait plusieurs, plusieurs prises.

Martin Scorsese

Connaissiez-vous la version de Silence tournée par Shinoda Masahiro ?

Je l’ai vu après avoir été engagé sur le film de Scorsese. La version de Shinoda, avec son petit budget, était très dans l’esprit du cinéma japonais des années 70, des films qui ont une dimension modeste, mais aussi un aspect engagé. Silence de Shinoda est un film qui se préoccupe de l’époque à laquelle il a été tourné, davantage que celle dans laquelle le film se déroule. La version de Scorsese est plus fidèle au roman et prend la mesure dans cette aventure humaine, du trajet accompli du Portugal à Macau au Japon.

Silence

Dans la version de Scorsese, de quel genre de Silence s’agit-il ?

Voilà qui est difficile… L’auteur, Endo, était chrétien comme sa mère, mais son christianisme était teinté par l’expérience de la guerre, à l’époque où le peuple devait suivre et soutenir l’effort nationaliste. Je l’ai perçu comme une alerte, un signal : le silence est une alarme, il est porteur d’un danger. Cela résonnait avec mon dernier film, Nobi, et je crois que c’est toujours d’actualité chez les jeunes personnes aujourd’hui, qui constatent tout en demeurant silencieuses.

On connaît bien l’histoire de la représentation de la foi et ses méandres au cinéma, chez Dreyer, Bresson, Tarkovski et tant d’autres. Elle existe aussi dans le cinéma japonais. Où êtes-vous allé puiser pour construire votre personnage ?

Je ne suis pas particulièrement religieux, et je ne m’identifie pas au personnage Mokichi, un des martyrs du film. Mais deux points précis ont nourri mon jeu : le premier fut de me ‘dévouer’ au culte de Scorsese, un cinéaste pour lequel j’étais disposé à faire n’importe quoi, tout ce qu’il me demande. Le second rejoint ce que je disais sur le Silence, et je voyais mon rôle comme une prière pour les enfants des prochaines générations, de ne pas plier, résister.

En effet, sur une année, vous êtes devenu une conscience morale, éthique dans le cinéma, avec votre film Nobi, Shin Gojira de Anno Hideaki où vous jouez un savant incorruptible, et Silence… Vous en rendiez vous compte ou tout cela n’est que coïncidence ?

Fires On The Plain

Shin Gojira était un heureux hasard, mais prendre position, dans Nobi, et dans Silence, oui, j’espérais communiquer quelque chose. Dans Nobi, mon personnage, qui n’a rien d’exceptionnel, se retrouve devant une telle puissance du mal, à laquelle il veut échapper. Son geste est de baisser les armes, et de subir, de fuir. Mokichi dans Silence est une figure inébranlable que rien ne fait plier. Mais rien de tout cela n’était prévu !

Vous faites un cinéma viscéral, dans lequel les personnages prennent des coups, souffrent physiquement, y compris ceux que vous avez incarnés. Que retenez-vous d’avoir joué le martyr pour Scorsese, la séquence de la crucifixion dans la mer par exemple ?

Celle-la n’était pas très amusante à tourner ! Je ne voulais pas de doublure. Elle fut tournée dans une piscine à Taïwan, sur fond bleu, en utilisant les mêmes techniques que Ang Lee dans L’Odyssée de Pi. Ces vagues ‘artificielles’ nous faisaient tousser à chaque prise, puis nous devions attendre de reprendre notre souffle afin de pouvoir dire les répliques, au moment où une autre vague arrive… Et cela me faisait un peu peur, mais voilà, j’étais ce martyr pour le culte de Scorsese (rires). Heureusement, il n’a pas fait autant de prises pour ces scènes.

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En tant que spectateur et cinéaste, qu’avez-vous pensé en découvrant le film en projection ?

La question de la langue m’intéressait beaucoup dans le film, celle parlée par les villageois des îles autour de Nagasaki, et pour les projections au Japon, je me suis porté volontaire pour rassembler des gens qui pouvaient comprendre, saisir les nuances, en collaboration avec des spécialistes de cette région. Donc curieusement, ma première impression du film est liée au langage, au japonais de cette époque. Mais lorsque je l’ai vu en Amérique, les parties anglaises n’étaient pas sous-titrées et j’étais complètement dans le film, ébloui, comblé de voir le livre d’Endo s’accomplir à l’écran. Je me demandais comment le film allait être reçu et je crois qu’aux Etats-Unis il aura fait peu d’entrées à sa sortie, mais au Japon il suscite beaucoup de passion. Déjà plusieurs spectateurs sont allés le voir à quelques reprises.

Scorsese dirigeait des acteurs japonais avec l’aide d’un traducteur, bien que vous disiez qu’il donnait assez peu d’indications. Vous avez également tourné avec des ‘acteurs’ étrangers. Dans Silence, on remarque des styles très distincts entre vous, Asano Tadanobu, Ogata Issei, Kubozuka Yosuke… Ogata, comme toujours, était ‘expansif’. Croyez-vous que cela gêne le film ?

(rires) Vous pensez à l’époque de Tetsuo: The Bullet Man, en 2009 (1) ! En fait c’est à cette époque que se préparait l’audition pour Silence. Scorsese avait bien d’autres films en amont, mais dans son calendrier il prévoyait ce tournage quelques années plus tard. Le fait de travailler ensemble, vous et moi et les autres comédiens, en anglais, m’a donné confiance pendant que je me préparais. Mais c’est très juste que Scorsese n’intervenait pas sur le style de chaque acteur japonais. Ogata  Issei a parfois entraîné son personnage dans le registre de la comédie.

Silence

A l’image de cinéastes qui vont de Orson Welles à John Cassavettes, vous tournez en tant qu’acteur dans les films de vos collègues et vos cachets vous aident à produire vos films. Après le succès critique de Nobu, celui au box-office de Shin Gojira, et la notoriété de Silence, votre cachet a-t-il augmenté ?

Nous nous étions vus il y a un an environ, et je vous disais que le cachet de Silence m’avait aidé à tourner Nobi. Mais j’aurais tourné sans cachet pour Scorsese. Je n’ai pas d’agent, et je n’ai pas de véritable talent pour négocier, je laisse à la discrétion des producteurs le choix de m’augmenter dans l’avenir. Mais cette année m’a permis de pouvoir prendre du temps pour commencer à travailler sur un nouveau projet. C’est un moment très agréable.

Silence de Martin Scorsese. USA-Mexique-Taïwan. 2016. En salles depuis le 08/02/2017.

1- Note de Stephen Sarrazin : Nobi et Tetsuo the Bulletman sont sortis en vidéo chez Blaq out (lire ici). Je tenais le rôle du créateur de Tetsuo dans Tetsuo: The Bullet Man, ce qui ne confère pas de mérite particulier au film… Néanmoins le film fut en compétition officielle à Venise. Une série qui mérite de se clore de façon plus sérieuse.

Propos recueillis par Stephen Sarrazin à Tokyo en février 2017.
Traduit du japonais par Yukiko Kono.

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