Construit sur le principe d’un récit initiatique, avec ses étapes et ses embuches, Kalo Pothi, un village au Népal raconte les difficultés pour un enfant de prendre conscience de lui-même. Une subtile approche des tensions que le pays a traversées au cours de la dernière décennie à découvrir au 23ème Festival International des Cinémas d’Asie (FICA) de Vesoul dans la section Campagnes d’Asie.
Nous sommes au Népal en 2001, quelques années après le début de la guerre civile qui oppose le régime monarchique au pouvoir aux rebelles maoïstes qui revendiquent l’instauration d’une république populaire. Le film se déroule dans un petit village sans histoire dont les habitants, pour accueillir le Roi en visite dans la région, reçoivent l’ordre de rassembler toutes leurs volailles afin de préparer un festin en l’honneur du monarque. Quelque peu sentimental, le petit garçon, orphelin de mère, cache chez lui avec la complicité de sa sœur une poule à laquelle il va rapidement s’attacher. Sa sœur ayant décidé de rejoindre les rangs de l’armée maoïste, l’enfant se retrouve seul avec son père qui, un jour, à l’insu de son fils, vend la précieuse poule à un vieil homme résidant dans un village voisin. Accompagné par son ami, le personnage va tenter par tous les moyens de retrouver son bien.
La thématique du film tourne autour de la difficulté pour un enfant de se construire une identité dans un contexte difficile. Pour cela, le cinéaste imagine un enfant issu de la caste des intouchables. Tout au long du film, le petit garçon est victime de la discrimination des autres villageois sans qu’il n’en saisisse exactement le sens. De même, la lutte qui fait rage entre les monarchistes et les maoïstes, et surtout sa séparation d’avec sa sœur, reste pour lui incompréhensible. Le cinéaste choisit de se reposer sur le seul point de vue de l’enfant. En conséquence de quoi, les événements socio-historiques brassés par le film ne sont jamais soulignés pour eux-mêmes et sont comme confinés à la marge. Seul compte pour l’enfant sa quête éperdue de sa poule adorée.
Il faut dire que le rôle joué par la poule dans le développement du récit change à mesure que celui-ci progresse. La protection de l’animal répond dans un premier temps à un sentiment de dépossession. Sa famille étant pauvre, l’enfant ne comprend pas la raison pour laquelle son père doit se priver des quelques biens dont il dispose. L’annonce de l’arrivée d’un cinéma ambulant dans le village constitue alors une nouvelle étape à franchir. Afin de rassembler la somme qui lui permettra de se payer un billet de cinéma, le petit garçon envisage en effet de vendre les œufs que sa poule daignera lui donner. Plus tard, une fois celle-ci vendue au vieil homme, l’enfant se donne pour objectif de trouver suffisamment d’argent pour racheter la volaille à son acquéreur. N’y parvenant pas, l’enfant décide de la voler puis de la teindre en noir afin qu’on ne puisse la reconnaître, même si évidemment le subterfuge ne tient pas. Ainsi, au fil du film, la poule permet à l’enfant d’apprendre à se débrouiller seul et à corriger ses propres erreurs. Lorsqu’il apprend finalement que le vieil homme a offert l’animal à sa fille qui habite dans une autre contrée, le petit garçon part à sa recherche sans se rendre compte qu’il lui faudra passer à travers le territoire contrôlé par les maoïstes. A ce stade du récit, la poule cristallise toutes les frustrations de l’enfant désireux de retrouver une vie de famille normale.
Cette quête d’une identité perdue s’accompagne d’une ouverture progressive de l’espace filmique. Les premières scènes dans le village font l’objet de cadrages particulièrement serrés et étouffants dans lesquels les personnages semblent prisonniers de leur cadre quotidien. Dès lors que l’enfant commence ses allers-retours vers le village voisin, le cadre gagne en profondeur et révèle les paysages qui jusque là échappaient au regard. Au cours de la dernière partie du film, le décor prend de nouvelles formes jusqu’à ce que, dans le dernier plan tourné au bord d’un lac, le point de fuite crée une nette impression de profondeur.
L’enfant part, autrement dit, à la découverte du monde et les cadrages soulignent avec subtilité sa liberté progressivement gagnée. En cela, le protagoniste s’oppose clairement au monde des adultes tel que le film le représente. L’enfant va de l’avant et se montre capable de franchir les frontières et de dépasser les discriminations comme les antagonismes, tandis que les adultes, de leur côté, semblent confinés dans des systèmes et ne cessent d’obéir à des façons partisanes de voir le monde. Les scènes de rêve dont le film est parsemé sont révélatrices : le petit garçon se voit entouré de représentants du pouvoir d’ordre militaire ou religieux qui, engoncés dans l’habit qui leur correspond, le surplombent de toute leur grandeur comme pour l’inviter à rejoindre leur rang. Finalement, ce que l’enfant acquiert au terme de sa quête, et ce dont les adultes semblent le plus dépourvus, n’est rien d’autre qu’un peu de compassion.
Nicolas Debarle.
Vendredi 10 février à 16h – Majestic 2
Samedi 11 février à 18h – Majestic 2