L’année cinématographique coréenne n’aura pas été l’une des plus enjouée et romantique. De The Strangers au Dernier train pour Busan en passant par Man on High Heels, les occasions de s’attendrir se faisait plutôt rares, y compris au sein de la nouvelle édition du Festival du Film Coréen à Paris (FFCP), où bon nombre de films possédaient une dimension sociale très prononcée un brin dépressif. Kissing Cousin constitue cependant, et contre toute-attente, l’une des rares exceptions à la règle et aurait très bien pu rejoindre la sélection de comédies romantiques que le Festival avait organisée l’an dernier.
Un jeune homme sur le point de finir son service militaire renoue avec sa cousine une dizaine d’années après avoir partagé des moments complices et forts le temps d’une réunion de famille quand tous deux étaient âgés d’une douzaine d’années.
Avec son titre pour le moins évocateur, tout portait à croire que Chang Hyun-sang verserait dans la provocation, propice à des dérives incestueuses lorgnant vers le drame psychologique pénible. Les premières minutes nous rassurent très vite : le cinéaste ne veut ni choquer, ni racoler, ni même traiter frontalement un sujet tabou, surtout en Corée du Sud où la hiérarchie sociale et familiale laisse peu de place à un bouleversement de dogmes immuables. Chang préfère aborder une histoire d’amour condamnée à l’échec mais au travers d’un prisme lumineux pour une tendre délicatesse où l’amour (impossible) qui unit ses deux personnages trouve une pureté presque cristalline.
En exploitant leurs fougues complices de grands adolescents n’ayant pas encore totalement basculé dans l’âge adulte, le scénario évite soigneusement le passage à l’acte sexuel pour esquisser une attirance qui va bien au delà de la simple attraction physique. Il y a quelque chose du registre de l’absolu dans leur passion. Il ne s’agit pas pourtant d’en faire une relation prude ou platonique mais de détourner les frustrations et les tensions pour livrer une formidable étude psychologique, miracle d’équilibre et d’écriture.
Les personnages sont incroyablement bien définis avec une belle densité d’émotions contradictoires qu’ils ne parviennent pas à maîtriser, tel le héros qui essaye de se persuader qu’il est amoureux de sa copine pour mieux oublier que sa cousine reste un idéal inaccessible.
La narration repose sur une alternance de séquences très courtes et aériennes avec de longues scènes dialoguées qui prennent leurs temps de s’attarder sur leurs relations pour un découpage réduit au minimum. La caméra s’efface pudiquement devant l’alchimie des acteurs et un tempo d’une rare évidence. La direction d’acteurs, le naturel des conversations et le ballet des mouvements semblent spontanés et peut-être même improvisés pour mieux garder les hésitations, les moments de pauses et les silences si expressifs.
Deux séquences en particulier provoquent chez le public un sentiment de proximité avec les comédiens extrêmement touchant. La première est une scène de rupture qui permet de développer en quelques minutes un personnage secondaire et la seconde est le climax émotionnel de la relation entre les deux cousins, un adieu dans une voiture où la séparation est inéluctable mais où tous deux essayent de gagner autant de secondes que possible. Le résultat à l’écran est d’une beauté et d’une justesse d’autant plus remarquables que Chang l’enregistre sans montage, et depuis la banquette arrière du véhicule, nous cachant donc en grande partie le visage des deux personnages, comme si le cinéaste était lui-même gêné d’imposer sa présence dans un moment si primordial.
Pourtant même essentiellement de dos, la scène possède une grâce et une émotion permanentes grâce à la véritable chorégraphie des gestes et des regards où notre cœur vibre à l’unisson avec ceux à l’écran. On partage chacun de leurs dilemmes, leurs émois, leurs envies d’abandonner les convenances et de simplement se laisser aller sans retenue… Avant de se rappeler que leurs liens familiaux les en empêchent. Il est difficile de juger de la durée de la séquence mais ces quelques minutes sont autant de moments d’éternité que de secondes éphémères.
On aurait été ravi que cette séquence constitue la conclusion parfaite de Kissing Cousin mais Chang ne peut malheureusement se détacher des conventions inhérentes aux comédies romantiques commerciales (qu’il avait pourtant évitées jusque là) en alourdissant son récit d’une quinzaine de minutes dispensables, déclinant deux scènes déjà existantes avec de surcroît des dialogues trop explicatifs. On n’échappe pas ainsi à la scène où le héros masculin se lance dans une course éperdue pour aller déclarer son amour après que le destin ait séparé les deux tourtereaux. On aurait presque envie de dire que cette scène décrédibilise la justesse du projet mais la chute de la séquence permet de renouer avec la délicatesse des premières séquences.
Kissing Cousin de Chang Hyun-sang, présenté au Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) 2016.