Le Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) a projeté en avant-première Asura: The City of Madness, la nouvelle réalisation de Kim Sung-soo, un polar violent et excessif dans la lignée des films hongkongais des années 1980. Entretien avec le réalisateur et l’acteur principal, Jung Woo-sung. Par Martin Debat et Marc L’Helgoualc’h.
Après le fade Pandémie en 2013, Kim Sung-soo n’a pas fait les choses à moitié. Avec Asura: The City of Madness, le réalisateur plonge dans le polar malsain, amoral et violent, dans la lignée des films hongkongais de catégorie 3 et de l’univers des comics comme Sin City. Dans la ville d’Annam, la corruption est la règle. Le maire Park (Hwang Jung-min), soutenu par un cartel mafieux, prospère à coup de chantages, de séquestrations et de trafics de drogues. Un procureur veut absolument faire tomber Park. Entre les deux : l’inspecteur Han (Jung Woo-sung), sur le point de quitter la police pour devenir l’homme de main du maire. Ce dernier va se faire manipuler par le procureur pour prouver la corruption du maire. Un scénario classique qui permet à Kim Sung-soo de tourner des scènes ultra-violentes et ultra-gratuites, ponctuées par une unique insulte (“ssibal”, à peu près 150 fois dans le film).
Dès l’ouverture du film, le spectateur comprend que le sérieux n’est pas de mise et que ce film est plus une parodie qu’un hommage aux polars hongkongais. Outrance, incohérences scénaristiques, mise en scène approximative, dialogues vulgaires et cabotinage permanent des acteurs (avec un Jung Woo-sung qui navigue à vue entre Mel « leather weapon » Gibson et Chow Yun-fat)… Tout ceci rend le film jubilatoire. Un concentré de plaisirs coupables qui se termine par un maelström d’hémoglobine. Le genre de film qu’on rêvait de posséder en VHS au début des années 1990.
Asura: The City of Mandess est la quatrième collaboration entre Kim Sung-soo et Jung Woo-sung, après Beat (1997), City of the Rising Sun (1998) et Musa, la princesse du désert (2001). L’occasion idéale pour revenir avec eux sur ce parcours.
Vous avez commencé votre collaboration sur votre premier long-métrage Beat en 1997. Vous vous retrouvez de nouveau 15 ans après. Comment s’est déroulée cette rencontre à l’époque et qui a créé ces liens artistiques entre vous ? Qu’est-ce qui a motivé ce grand retour sur les écrans ?
Jung Woo-sung : J’ai toujours eu envie de retravailler avec Kim Sung-Soo mais entre temps, il était occupé par d’autres films, d’autres projets. Il m’avait déjà proposé de travailler sur Pandémie mais je pensais que ce n’était pas un rôle pour moi. J’ai décliné l’offre mais j’ai accepté un autre projet : Asura.
Kim Sung-soo, comment s’est passée votre rencontre à l’époque ? Qu’est-ce qui vous avait séduit chez Jung Woo-sung ?
Kim Sung-soo : J’avais déjà pensé faire jouer Jung Woo-sung pour mon premier film Run Away, mais il avait refusé. J’avais donc fait appel à Lee Byung-hun. Le personnage principal de Run Away avait un côté comique et je trouvais qu’il ressemblait beaucoup à Jung Woo-sung. Nous avons finalement travaillé ensemble sur Beat. Il y avait de nombreux points commun entre le personnage principal de Beat et le caractère de Jung Woo-sung.
Vous vous connaissez et vous tournez ensemble depuis 20 ans. Comment jugez-vous votre évolution mutuelle en tant que réalisateur et acteur ?
Kim Sung-soo : J’ai l’impression que Jung Woo-sung n’a pas vraiment changé, dans son attitude ou sa façon de travailler. Pour ma part, j’ai tenté de faire des choses différentes. J’étais intéressé par d’autres domaines que le cinéma. J’ai créé une entreprise, j’ai produit beaucoup d’émissions en Chine, j’ai été professeur à l’université. J’avais beaucoup d’ambition, je me suis éparpillé mais je me suis rendu compte que ce n’était pas vraiment ce que je voulais faire. Maintenant, je reviens au cinéma. Je n’ai pas tourné de films entre 2003 et 2013. Pour Asura, j’ai donc retravaillé avec Jung Woo-sung. C’est comme si on ne s’était pas quitté et qu’on avait toujours été ensemble.
Jung Woo-sung : J’ai l’impression que Kim Sung-soo n’a pas vraiment changé. Il m’a aidé à bâtir mon image d’acteur, notamment avec Beat. Depuis ce temps, on a l’impression que nos chemins ont divergé mais au final on s’est retrouvé. Dès le premier jour du tournage d’Asura, c’était comme si nous ne nous étions jamais quittés. Je n’ai jamais ressenti ça avec d’autres réalisateurs, c’est très rare.
Le thriller coréen qui parle de corruption et de connivences entre les différentes institutions semble avoir le vent en poupe en ce moment. Pourquoi avoir adopté ce genre ? Que pensez-vous avoir apporté de plus dans Asura ?
Kim Sung-soo : C’est un film de genre dans lequel je critique le système coréen, les policiers et les politiciens corrompus. Un film de genre doit être divertissant pour le public mais Asura reflète la société coréenne actuelle. Au Japon, il existe un système mafieux visible avec les yakuzas. En Corée, la corruption existe également, notamment dans le pouvoir public, mais elle est plus dissimulée. Moi et d’autres réalisateurs sud-coréens pointons du doigt sur cette réalité. Quand on regarde l’histoire de la Corée du Sud, tout n’a pas été très rose. Des forces militaires ont pris le pouvoir, il y a eu des périodes assez austères. Ce passé est ancré dans le peuple coréen qui a envie de se rebeller et de critiquer le système où le pouvoir public a toujours le dessus. Quand on montre ça dans les films, le public peut voir qu’une justice est possible.
Le film est très excessif, avec des références aux films hongkongais des années 80, très violents et machistes, mais aussi à l’univers comics : dans Asura, Annam est une ville fictive comme Gotham City ou Sin City. Asura est-il un hommage sincère à ce genre ou une parodie ?
Kim Sung-soo : Il n’y a pas de frontière claire entre l’hommage et la parodie. J’ai été influencé par le genre de films que vous citez, c’est pour cela que j’ai eu envie de créer la ville fictive d’Annam où l’on ne voit que des criminels. J’ai poussé le crime à l’extrême. Il n’y a pas vraiment de limite claire entre le bien et le mal chez l’homme. On a tous un bon et un mauvais côté. Tout le monde peut être plus ou moins bon/mauvais selon la situation dans laquelle on se trouve. Quand on peut bien se comporter, on le fait. En revanche, quand la situation implique de mal agir, on agit mal. Dans un film de crime classique, on a d’un côté les gentils et de l’autre les méchants. Dans Asura, je voulais gommer cette frontière. Aussi, plus le pouvoir est puissant, plus la corruption est puissante. Dans la ville fictive d’Annam, la corruption est omniprésente, sans contrepartie.
Comment fait-on pour créer de l’empathie pour un personnage négatif de flic corrompu que tout le monde veut abattre ? Comment préparer un tel rôle ?
Jung Woo-sung : Vous avez de l’empathie en voyant ce flic corrompu ?
Kim Sung-soo : Le personnage principal du film, l’inspecteur Han, est mi-bête mi-homme. Comment peut-on être bon dans une ville aussi corrompue ? Tous les personnages du film sont des salauds. J’ai néanmoins gardé un côté humain à l’inspecteur Han. J’étais partagé entre deux idées : faut-il ou non créer de l’empathie autour de ce personnage ? Sur le tournage, je disais à Jung-Woo-sung que ce personnage devait être ambigu et indécis quant à ses actes.
Jung Woo-sung : Quand on joue un rôle, on a tendance à vouloir créer de l’empathie autour du personnage. Ici, ce n’était pas le cas, je me suis donc abstenu à créer de l’empathie pour l’inspecteur Han. Il est obligé de faire des choix, y compris contre sa volonté. Pour une question de survie, il doit mal agir.
Jung Woo-sung, lors de la séance de questions/réponses après la projection d’Asura, vous avez dit avoir beaucoup improvisé sur le tournage. Dans une des scènes, l’inspecteur Han casse un verre avec sa bouche. Cette scène était-elle improvisée ou était-elle présente dans le scénario ?
Jung Woo-sung : Cette scène n’était pas écrite dans le scénario. On a beaucoup improvisé sur le tournage. Dans cette scène, Han se retrouve assis face au maire de la ville, comme le chien devant son maître. Avec ce geste, Han lui montre qu’il peut mordre. Cela fait écho à une période assez noire de la Corée (fin 1970-début 1980) dans laquelle les hommes montraient qui était le plus fort en devenant outranciers et excessifs.
Kim Sung-soo : Dans ce film, la primauté n’est pas donnée au dialogue. Les gens sont toujours en confrontation, en mouvement. La seule scène de duel statique est celle où l’inspecteur Han fait face au maire de la ville. Han s’automutile pour montrer qu’il est capable d’agir par lui-même et de ne pas se coucher devant son maître.
Propos recueillis le 31/10/2016 à Paris par Martin Debat et Marc L’Helgoualc’h.
Introduction et retranscription par Marc L’Helgoualc’h.
Photos : Martin Debat.
Traduction : Ah-Ram Kim.
Merci à Marion Delmas et à toute l’équipe du FFCP.