En Salles – L’Ange blessé de Emir Baigazin : Quatre figures de « la jeunesse » (en salles le 11/05/2016)

Posté le 11 mai 2016 par

L’auteur du surestimé Leçons d’harmonie revient avec un deuxième film plus risqué et abouti, en salles le 11 mai.

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’au départ, l’auteur de ces lignes n’est pas le meilleur spectateur pour un nouveau film d’Emir Baigazin. Ce sens du cadre extrêmement pointilleux, cette fascination pour les corps tout juste pubères, ce regard sur de jeunes vies sans grand destin faisaient déjà l’essentiel de son premier opus largement salué : Leçons d’harmonie (2014). Le souci que l’on peut avoir avec ce cinéma réside très précisément dans sa fascination pour sa propre étrangeté. Explication : à force de sur-composer ses plans, de voir chaque séquence comme l’écrin d’un sombre secret (celui, donc, d’une jeunesse se sachant vouée au sacrifice, violence du monde oblige), Baigazin risque de devenir une caricature de super auteur radical, enfant bâtard d’un Haneke infiniment moins poseur et narcissique.

Madiyar Nazarov

Madiyar Nazarov

Sauf que L’Ange blessé, deuxième volet de ce qui sera une trilogie, est objectivement un film beaucoup plus sensible que Leçons d’harmonie. En divisant la fiction en quatre chapitres, chacun consacré à un garçon différent, Emir Baigazin parvient à laisser survenir un peu de contraste, dans son esthétique trop forgée. D’intérêt inégal, ces quatre destins voués à se répondre dans un final attendu mais assez bouleversant dynamisent le film, la demi-heure accordée à chacun évitant systématiquement l’installation arty. Non que ce film soit particulièrement nerveux, mais la division, le partage relancent toujours l’intérêt. Là où Leçons d’harmonie, après une mise en place intéressante, suffisante pour se faire une idée de la personnalité de son petit héros opaque, s’essoufflait avant d’atteindre les soixante minutes, L’Ange blessé contraint le cinéaste à redoubler, que-dis-je, quadrupler d’imagination pour faire exister chaque fragment.

l-ange-blesse

Pour parler de ces fragments, deux se distinguent tout particulièrement par leur manière d’exposer la situation d’impasse de leur personnage. Le deuxième, qui nous présente « Poussin », chanteur lyrique talentueux dont une grippe provoque un changement total de comportement (de gamin fuyard, peu intéressé par les bagarres de ses copains, il devient rien moins que la nouvelle terreur du collège). Le quatrième, histoire absurde d’Aslan, beau gosse destiné à de hautes études, convaincu, suite à un bouleversement dans sa vie amoureuse, qu’un arbre pousse dans son ventre. Arbre qu’il lui faut « nourrir » en buvant des litres et des litres d’eau, sous l’œil impuissant de ses parents. Dans ces deux cas surtout, l’impasse dans laquelle se trouve l’adolescent est d’autant plus tangible que les portes de la réussite, de l’évasion par l’art ou les études lui sont fermées par la manifestation d’un mal (la grippe, la folie) généré par son propre corps.

L'Ange blessé

Emir Baigazin accède enfin, avec ce deuxième film ambitieux et particulièrement abouti, à l’étrangeté laborieusement aménagée précédemment. Avant d’être des prototypes, ses jeunes personnages sont ici observés à la hauteur des frustrations et découragements qui les travaillent en profondeur. Cette heure si particulière de la vie, la sortie de l’enfance, est celle où la notion d’« avenir » déclenche les pires angoisses. La preuve par quatre.

Sidy Sakho.