Parmi les invités du cycle Séoul hypnotique, nous avons eu le plaisir de rencontrer le talentueux Leesong Hee-il, cinéaste indépendant coréen, auteur des films Night Flight découvert au FFCP l’an passé et No Regret (disponible en DVD chez We & co). Il fut le premier de la profession à faire son coming-out dans son pays et réalise depuis presque 10 ans des films traitant de l’homosexualité masculine. Un cinéma nocturne et séduisant à la lisière du mélodrame social et du film queer.
Depuis vos débuts au cinéma, vous traitez du thème de l’homosexualité masculine. Comment voyez-vous l’évolution de la société coréenne par rapport à ce sujet ?
Jusque dans les années 90, il y avait une image très négative de ce type de cinéma en Corée. Quand j’ai sorti mon premier long métrage No Regret dans mon pays, le succès fut spectaculaire, en raison d’un public cible qui était familier avec la culture Yaoi* issue des mangas. Il s’agissait d’un public composé essentiellement de spectatrices entre 20 et 30 ans qui sont devenues très friandes de ce type de films. À cette époque, il y avait aussi certains cinéastes japonais qui avaient fait leurs coming-out, et réalisaient des films queers. En Asie, hormis les territoires de la Corée et du Japon, les films de ce genre étaient tout simplement interdits. Et pourtant nous avons réussi à les distribuer à Hong-Kong et à Taïwan, et le film est parvenu en tête des box offices locaux. Il s’agissait d’un phénomène totalement inattendu, j’en fus le premier surpris.
Le cinéma queer en Corée est généralement cantonné aux films indépendants, bien que l’on note quelques exceptions comme Frozen Flower, Le Roi et le clown, ou plus récemment Man on High Heels. Certains ont eu plus de succès que d’autres…
Depuis la sortie de mon film No Regret en 2006 s’est développé un nouveau marché, notamment dans le cinéma commercial et aussi dans le cinéma indépendant. Dans les films de studio, la dimension homosexuelle n’est pas traitée ouvertement. Vous ne verrez jamais dans des films tels que Le Roi et le clown ou Frozen Flower des personnages revendiquer leur orientation sexuelle, ou voir l’œuvre présentée comme un film gay. Jamais ! Au contraire, c’est raconté de manière plus discrète, et le public va plutôt percevoir le film comme une relation d’amitié masculine. Dans le cinéma indépendant, cet aspect est totalement assumé.
Justement, dans votre premier long métrage No Regret, il est question de prostitution masculine dans les bars à hôtes, et d’une romance sur fond de disparités sociales. Quelles étaient vos intentions, et qu’avez-vous souhaité exprimer dans ce film?
En réalisant No Regret, je me suis beaucoup inspiré d’un genre très populaire en Corée dans les années 70/80 que l’on appelle le mélodrame. Il s’agit essentiellement d’histoires racontant le destin de jeunes filles provinciales qui quittent leur campagne pour tenter leur chance à la capitale, Séoul. Elles travaillent dans des bars à hôtesses, espérant gagner ainsi un meilleur statut social et ramasser un bon pécule. Elles finissent par tomber amoureuse du mauvais garçon, elles en souffrent et cela se termine mal en général. Je me suis inspiré des codes du genre durant l’écriture de mon scénario, et j’ai remplacé évidemment la femme par un homme.
Vous avez d’ailleurs reproduit le même procédé avec Night Flight qui reprend les codes des films indépendants traitant de la violence au lycée tels que Bleak Night ou A Capella…
Il est vrai que sur No Regret, je me suis amusé à détourner les codes du genre. Or ce n’est pas le cas pour Night Flight. Il s’avère que c’était un scénario déjà existant. Il n’était pas encore terminé. Et durant l’écriture a eu lieu un terrible fait divers en Corée. Il relate le suicide d’un jeune collégien. Les dernières images de ce jeune homme, filmées par les caméras de surveillance, le montrent seul dans l’ascenseur, montant au dernier étage, sur le toit d’où il s’est jeté. Ces images ont été très diffusées sur les télévisions coréennes, et elles m’ont profondément choqué. Je m’en suis inspiré pour terminer l’histoire. C’est comme cela que m’est venu l’idée de violences à l’école. J’ai réalisé à présent une petite dizaine de films, et à chaque fois, j’essaie de traiter de sujets réels de société, que les spectateurs ne veulent pas forcément voir.
Dans Night Flight il y a une scène assez choquante. Il s’agit de la scène de viol du personnage principal par ses camarades de classe qui sont homophobes. Comment expliquez-vous une telle violence?
En Corée, le service militaire est obligatoire pour les hommes. Et durant ces deux années, il y a beaucoup de problèmes de sexualité entre hommes. Il ne s’agit pas d’orientation sexuelle, c’est un problème de hiérarchie, de pouvoir. Ce sont des humiliations visant à exprimer sa domination sur les plus faibles. C’est ce que je souhaitais retranscrire dans le domaine de l’éducation. L’école, que ce soit le collège ou le lycée, est une micro société qui reproduit ce type de schémas. Night Flight est un film qui traite de la violence, et pas seulement sexuelle. Les deux protagonistes en sont victimes, l’un se fait en effet violer, son ami, quant à lui, est un voyou bagarreur, c’est très différent. Je voulais exposer les différents types de violence auxquels sont confrontés les adolescents.
Vous avez traité dans vos films des différentes étapes de la vie d’un homme coréen. Le lycée, dont il est question dans Night Flight, et justement le service militaire dans Breakaway, qui raconte l’évasion de trois jeunes déserteurs…
En effet, je ne réalise pas que des films queers. Dans Breakaway, le cadre de l’histoire est le service militaire, et dans Night Flight il est question du lycée. Il s’agit de communautés exclusivement masculines. En Corée, il existe encore des écoles non mixtes. Je souhaitais montrer ce qui se passe dans ces institutions où règne une pression sociale très forte, et traiter de l’omniprésence de la violence dans ces lieux.
Justement, dans vos films, il est souvent question des pressions sociales qui pèsent sur les épaules de vos personnages. Y a-t-il un caractère militant de votre part à vouloir dénoncer les travers homophobes de la société coréenne ?
Disons qu’il n’y a pas forcément un côté militant de ma part, plus une volonté de montrer la réalité des homosexuels aux spectateurs et les interpeller sur ce sujet. Ce n’est pas manichéen. Dans mes films, les bons comme les méchants peuvent souffrir.
J’aime beaucoup l’idée de vos personnages qui s’apparentent à des oiseaux de nuit. Ils vivent leurs amours au coucher du soleil, cachés dans des refuges nocturnes.
Je suis moi-même un vampire (rires). Je suis incapable de travailler le jour. C’est la raison pour laquelle je tourne souvent la nuit.
La musique joue un rôle assez important dans White Night, elle est quasiment absente du métrage, elle ponctue avec justesse les moments clés du films et des personnages…
En effet, la musique a énormément d’importance dans mes films. En Corée, il est très difficile d’utiliser des bandes musicales dans les films indépendants, et plus encore quant il s’agit de musiques existantes et commercialisées. Dès l’écriture du scénario, je choisis les musiques qui vont apparaître dans certaines scènes, et en fonction de mes choix musicaux, je contacte des compositeurs. Je m’oriente plus vers des compositeurs européens qui sont plus abordables financièrement que les Américains, notamment en terme de droits de diffusion. Je les contacte par mails, leur expliquant que je suis un réalisateurs coréen, qui a peu de moyens, et j’essaie de les amadouer ainsi (rires). Et en général, cela porte ses fruits.
Dans White Night transparaît un fort sentiment de mélancolie, les personnages semblent figés dans leurs souvenirs, pourquoi ?
Pourquoi cette mise en scène basée sur les souvenirs ? Cela fait 16 ans que je suis célibataire ! Dans une scène du film, un personnage pose la question suivante : « Si la terre n’existe plus, que vas-tu faire ensuite ?« . Cela fait remonter à la surface de nombreux sentiments et traduit d’une certaine façon cet état de mélancolie qui traverse le film.
Quels sont vos futurs projets ?
Je suis en train de préparer un mélodrame avec pour protagoniste un couple hétérosexuel. Je ne souhaite plus faire de films queers pour l’instant. Je ne veux pas m’enfermer dans un genre.
* le yaoi est un genre populaire de manga dont les intrigues amoureuses et romantiques tournent autours de couples homosexuels hommes et sont traitées souvent de manière explicites. C’est un genre destiné en général à un public féminin.
Propos recueillis le 10/10/2015 à Paris par Martin Debat.
Photos : Martin Debat.
Traduction : Ah-Ram Kim.
Merci à Diana Odile Lestage.
Les films No Regret, Night Flight et White Night ont été projetés dans le cadre du cycle Séoul Hypnotique au Forum des images en 2015. Le film No Regret est disponible en DVD chez We & co.