Rencontre avec Oh Seong-tae, acteur fétiche de Jeon Kyu-hwan, à l’affiche de Dance Town, à découvrir en ce moment au Forum des Images de Paris dans le cycle Séoul Hypnotique.
À titre d’introduction, pouvez-vous présenter votre carrière et votre début de collaboration avec le réalisateur de Dance Town, Jeon Kyu-hwan ?
Cela fait maintenant une quinzaine d’années que je travaille comme acteur. Pendant longtemps, j’ai été dans le milieu du théâtre. Cela fait seulement 5 ans que je suis acteur de cinéma. Mon premier rôle a été dans Une chambre au paradis qui n’est pas encore sorti en Corée du Sud. Ensuite, j’ai rencontré Jeon Kyu-hwan, qui m’a attribué un rôle dans chacun de ses films. Je collabore avec lui en moyenne une fois par an.
Pouvez-vous nous présenter la trilogie des « Town » ?
Cette trilogie a un point commun. Elle raconte la vie marginalisée dans une grande ville. Mozart Town aborde le thème de la solitude des émigrés. Dans Animal Town, c’est l’histoire de l’isolement d’un pédophile après ses crimes qui rencontre par hasard le père de sa victime.
Quels ont été vos rôles dans ces deux premiers films ?
Dans Animal Town, j’ai endossé le rôle du père de la fille victime de pédophilie et dans Mozart Town, un personnage de rentier. Enfin, dans Dance Town, je joue un policier.
Quelles sont les habitudes de travail de Jeon Kyu-hwan ?
Le réalisateur a pour habitude dans ses films de distribuer les rôles en précisant pour chaque acteur de jouer, non pas le personnage, mais naturellement. Le réalisateur ne considère pas comme important le statut ou la situation du personnage. Par exemple, s’il choisit un acteur de comédie, il va lui confier un rôle complètement à l’opposé. Etant issu du théâtre, j’ai l’habitude de surjouer, je me suis donc adapté à incarner un rôle avec l’idée d’être comme je suis dans ma vie de tous les jours. Jeon Kyu-hwan ne veut pas définir un profil type pour les rôles : policier, pédophile, etc. L’acteur doit jouer comme s’il s’imaginait lui, policier ou pédophile et non pas ancré dans un rôle « cliché ». L’acteur joue comme il pense.
Justement, pour arriver à ce côté simple, naturel et très réaliste, est-ce que le réalisateur fait une ou plusieurs prises pendant le tournage ?
Jeon Kyu-hwan ne veut pas que les acteurs jouent le rôle mais le vivent naturellement pendant les prises. S’il pense que l’acteur surjoue son personnage, il fait rejouer la prise. Dès que l’acteur laisse totalement place à l’improvisation demandée par le cinéaste, la prise est considérée comme terminée. Le réalisateur tourne la plupart du temps en une seule prise filmée en plan-séquence.
Votre personnage de Dance town est quelqu’un de très violent et fait des choix très ambigus et discutables. Quelle est votre position sur les actions du personnage ?
C’est vrai que c’est un personnage très ambigu, mais en prenant un peu de recul, tous les êtres vivants sont ambigus. Quand on pense à un policier, une seule facette ressort. Or, un policier agit aussi selon sa volonté, avec ce que sa conscience lui dicte, comme un homme ordinaire. La scène de bagarre dans la rue le prouve bien. Le policier n’est pas dans ses heures de travail, et pourtant, il va violemment s’interposer de sa propre initiative.
La scène de sexe est particulièrement éprouvante dans le film. Dans quelles conditions a-t-elle été réalisée et comment avez-vous travaillé avec l’actrice pour la faire ?
Quand j’ai lu le scénario, j’ai trouvé cette scène très violente et choquante. Néanmoins, j’étais d’accord avec l’intention du réalisateur de la nécessité de cette scène. Au début, Jeon Kyu-hwan pensait tourner dans un hôtel ou un karaoké, mais il a finalement préféré effectuer la prise dans la rue avec les passants marchant aux alentours. La plus grande difficulté pour la réalisation était le froid en pleine nuit. On a dû réchauffer préalablement nos corps en buvant de l’alcool. Je pense que la scène a été encore plus difficile pour l’actrice qui a été très professionnelle. Tout s’est, en définitive, bien déroulé.
Dans la présentation du film, vous avez dit que le cinéaste ne voulait pas faire un film politique mais montrer le point de vue d’une étrangère sur la ville. Quelle est votre appréciation sur les thématiques du film ?
C’est une question difficile. Je suis assez d’accord avec l’idée du cinéaste d’aborder, entre autres, les thèmes de la solitude et de la douleur de l’absence de l’être aimée dans les grandes villes. Celles-ci rassemblent des personnes qui souffrent sans que les passants ne prennent conscience de leurs malheurs, ne pouvant donc pas les aider. Avec Dance Town, on parle beaucoup de l’aspect politique mais le message est bien dans le regard d’une étrangère seule dans une ville que le cinéaste a voulu transmettre. Cela aurait très bien pu être une autre rescapée dans une autre grande ville.
Nous demandons à chaque réalisateur que nous rencontrons de nous parler d’une scène d’un film l’ayant particulièrement touché, fasciné, marqué et de nous la décrire en nous expliquant pourquoi.
Pouvez-vous nous parler de ce qui serait votre moment de cinéma ?
C’est une question très difficile tellement il y en a. Je dirais Animal Town.
Avez-vous un dernier mot pour les lecteurs d’East Asia ?
La trilogie Town ne donne pas vraiment de réponses aux questions posées aux spectateurs. Ces derniers peuvent alors éprouver des difficultés à comprendre mais c’est justement cette part de réflexion, voulue par le réalisateur, qui est intéressante, donnant une grande liberté d’interprétation au public.
Propos recueillis par Victor Lopez à Vesoul le 17/02/2012.
Traduction de Cho Myoung-jin.
Retranscrit par Julien Thialon.
Merci à Bastian Meiresonne et Wafa Ghermani.
Dance Town de Jeon Kyu-hwan. Corée. 2010.