La 21e édition de L’Étrange Festival, qui se déroule du 3 au 13 septembre au Forum des Images, projette en avant-première française le film coréen Gangnam Blues (aka Gangnam 1970) du réalisateur Yoo Ha. Seul long métrage coréen sélectionné à L’Étrange Festival, Gangnam Blues concourt également pour le Prix Nouveau Genre. Yoo Ha signe avec Gangnam Blues un véritable film de gangsters sur fond d’intrigue politique. Intéressant mais parfois difficile à suivre pour nous, pauvres Occidentaux.
Le réalisateur coréen Yoo Ha commence sa carrière de cinéaste au début des années 1990. Mais c’est seulement en 2004, avec Once Upon a Time in High School, projeté au Marché du Film de Cannes, qu’il se fait connaître en Europe. Il faut attendre 2006 et le thriller A Dirty Carnival (sorti en France en DVD en 2009) pour que le grand public le découvre. En 2008, Yoo Ha change de style et réalise le film historique King Protector (aka A Frozen Flower) suivi, en 2012, du polar un peu raté, Morsures. Trois ans après, Yoo Ha semble avoir repris du poil de la bête et livre un film de gangsters de bonne facture et très esthétique, qui a d’ailleurs obtenu de beaux scores aux box offices coréens et chinois (même si ce n’est pas un gage de qualité).
Gangnam, ce n’est pas que le nom d’une chanson qui a fait un carton dans le monde entier en 2012 (vous l’avez en tête maintenant, non ?). Gangnam, c’est avant tout le nom d’un quartier de Séoul, qui est au cœur du scénario de Yoo Ha. Le film se déroule dans les années 1970 et suit Jong-dae et Yong-ki, deux orphelins qui se considèrent comme des frères. Ils vivotent difficilement, dorment dans un bidonville et luttent contre la faim, le froid, etc. Un matin de bonne heure, ils sont réveillés par des gangsters qui détruisent sauvagement leur cabane à coups de pelleteuse. Pauvres et sans domicile, les deux amis acceptent de travailler comme hommes de main pour des organisations politiques peu scrupuleuses. Séparés lors d’une intervention, Jong-dae et Yong-ki suivent leur propre chemin, parsemé de corruption, avant de mieux se retrouver. Jong-dae se trouve un père de substitution, gangster à la retraite qui tient une blanchisserie. Yong-ki, quant à lui, intègre la mafia la plus puissante de Séoul.
On a tendance à l’oublier mais la Corée du Sud n’a pas toujours été l’eldorado économique que l’on connaît. Dans les années 1970, le pays était encore pauvre mais, en même temps, en plein bouleversement. Tout était à faire et tout était possible. A ce moment-là, Gangnam n’était alors qu’une campagne à quelques kilomètres au sud de Séoul. Alors, quand le gouvernement coréen décide d’étendre la capitale, déjà surpeuplée, les promoteurs immobiliers, à la fois politiques et membres de la mafia, se ruent vers les campagnes et commencent les tractations. La spéculation immobilière ne fait que commencer. Et quand les gangsters s’arnaquent entre eux, cela se finit souvent dans le sang. Yoo Ha, qui avait déjà exploré l’univers de la mafia coréenne dans A Dirty Carnival, se plonge à nouveau dans les méandres des gangs. Toutefois, il y ajoute une touche esthétique, déjà développée dans King Protector. D’un point de vue technique, Gangnam Blues est une synthèse de sa filmographie : les combats, nombreux et violents, sont superbement chorégraphiés et mis en scène. L’apothéose est atteinte lors d’un combat entre deux gangs (soit une trentaine de personnes), sous la pluie et dans la boue. Yoo Ha évite l’écueil du combat brouillon, où le spectateur est complètement perdu. Au contraire, tout est clair et les mouvements sont fluides. La photographie, très travaillée, ajoute à l’ensemble une ambiance plombante, qui colle bien au thème. Certes, le film entretient les clichés du genre, mais peut-il en être autrement ? Le film comporte au moins trois ou quatre scènes de sexe plutôt crues, le sang jaillit de partout, et les personnages sont froids, calculateurs et sans scrupules. Jong-dae a un bon fond mais désire se venger de son ancienne pauvreté. Yong-ki couche avec la femme de son patron et n’hésite pas à massacrer celui qui se mettra en travers de son chemin. Seul le gangster à la retraite, Gil-soo, qui tâche tant bien que mal de protéger sa fille, provoque un peu de pitié et de sympathie.
Gangnam Blues, sans être original dans son développement, s’intéresse néanmoins à une page de l’histoire de la Corée, et de Séoul en particulier, que les Occidentaux ne connaissent pas. L’extension de Séoul vers Gangnam au début des années 1970 est un fait historique. Qu’elle ait été menée par des politiciens corrompus aussi. Afin d’éviter toute polémique en Corée, Yoo Ha donne le ton dès le générique en annonçant que les personnages et les situations sont fictifs. Pourtant, quand on fouille un peu, on se rend compte que tout est vrai, même si romancé. Ce qui est alors l’une des qualités de Gangnam Blues – un film d’action efficace sur fond d’intrigue politique – devient l’un de ses défauts. La population coréenne, qu’elle ait connu les années 1970 ou non, possède suffisamment de repères historiques pour suivre le film. Il peut en être autrement pour un public occidental. Au début, il n’y a que deux personnages principaux, facilement identifiables même s’ils sont peu connus en Europe. Jong-dae est interprété par Lee Min-ho, qui cartonne dans les drama comme City Hunter. Son ami/frère, Yong-ki, est joué par Kim Rae-won, qui tenait le rôle principal de Sunflower. Jusque-là, tout va bien. Mais, rapidement, une horde de personnages fait son apparition et ces derniers sont très peu présentés. Or, ils sont excessivement importants dans l’intrigue du film et sont mis en scène à chaque moment crucial. Ils sont au cœur de toutes les actions. A la fois députés, promoteurs, truands ou membres des services de renseignement coréen, ces personnages sont essentiels. Ils sont interprétés par des acteurs que l’on a tous déjà vus, sans savoir où. En effet, ce sont des comédiens qui tiennent habituellement des seconds rôles : Jung Ho-bin (Frères de sang), Eom Hyu-seop (Silenced), Yoo Seung-mok (A Werewolf Boy) ou encore Choi Jin-ho (Les Braqueurs). Gangnam Blues, bien qu’étant un film d’action, a une certaine ambition et elle est louable : montrer comment les hommes politiques coréens ont corrompu tous les secteurs économiques lors de l’expansion de Séoul afin de s’enrichir. Cette intrigue aurait pu faire de Gangnam Blues plus qu’un banal film de gangsters. D’autres réalisateurs coréens avaient déjà tenté. Certains ont réussi comme Yoon Jong-bin avec Nameless Gangsters. Yoo Ha, lui, semble s’être un peu emmêlé les pinceaux, en tout cas s’il vise un public occidental.
Gangnam Blues est un film plaisant et agréable à regarder car très travaillé. Mais se repérer dans la narration peut vite devenir un cauchemar.
Elvire Rémand
Gangnam Blues de Yoo Ha, présenté à L’Étrange Festival 2015 (Forum des Images de Paris).
Séances :