Découvert en 2012 avec Romance Joe (lire ici), Lee Kwang-kuk revient avec A Matter of Interpretation, nouveau conte de cinéma dans la lignée de Hong Sang-soo, dans lequel le style de l’auteur s’affirme grâce à une mise en scène cultivant avec discrétion un surréalisme élégant, perdant le spectateur dans un labyrinthe de signes. Rencontre avec le réalisateur à l’occasion de la présentation de son film au Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul.
Pouvez-vous présenter votre parcours aux lecteurs qui découvrent votre cinéma avec A Matter of Interpretation ?
J’ai étudié le cinéma et la réalisation à l’université avant de travailler avec Hong Sang-soo sur 4 films (Conte de cinéma, Woman on the Beach, Les femmes de mes amis et Ha Ha Ha – ndlr). En 2011, j’ai enfin réalisé mon premier long métrage : Romance Joe. J’ai ensuite signé un court-métrage avant de faire A Matter of Interpretation.
Nous allons un peu remonter ce fil. Comment avez-vous commencé à collaborer avec Hong Sang-soo et que vous a apporté cette collaboration ?
Tout cela s’est vraiment fait par hasard. J’ai repéré un beau jour une annonce qui indiquait que Hong Sang-soo cherchait un assistant réalisateur. J’ai envoyé mon CV et il m’a accepté. La première collaboration s’est très bien passée et j’ai beaucoup aimé sa façon de travailler. J’ai donc poursuivi l’expérience sur les 3 films suivants. Je respecte beaucoup Hong Sang-soo, dont l’attitude et la passion pour le cinéma m’ont vraiment impressionné. J’ai beaucoup appris sur la manière d’écrire un scénario et de diriger les acteurs et ce fut vraiment une immense influence.
Connaissiez-vous son cinéma avant de lui envoyer votre CV ?
J’avais tout vu et j’adorais son cinéma. C’est la raison pour laquelle je lui ai envoyé mon CV.
Peut-on dire que Hong Sang-soo a inventé un genre, dans lequel on peut placer votre cinéma ?
Je pense en effet qu’il a inventé un genre cinématographique très particulier, qui ne ressemble à rien d’autre en Corée. Par contre, je ne pense pas que mes films appartiennent à ce genre. Pour le moment, on peut voir beaucoup de similitudes, mais je pense que plus je vais faire des films, plus le spectateur va repérer des différences entre nos deux cinémas.
Laissez-vous, comme Hong Sang-soo, une grande liberté au déroulement de vos tournages ou au contraire, préparez-vous plus vos scènes en amont en tant que scénariste ?
À l’inverse de Hong Sang-soo, mes scénarii sont très écrits, je laisse une très faible part à l’improvisation sur le tournage. J’écris tout en détail. La méthode de Hong Sang-soo m’a vraiment impressionné, mais la mienne est très différente. Mais ce qui m’a vraiment influencé, c’est sa façon de trouver un sujet en apparence banal, et de développer à partir de là une vraie histoire. C’est ce que je fais aussi dans mon cinéma.
Hong Sang-soo est un réalisateur qui ne pense pas du tout au succès de ses films auprès du grand public. Son seul intérêt est de transformer ses petites histoires en grandes. Cette attitude m’a aussi grandement impressionné.
Dernière question sur Hong Sang-soo : j’ai l’impression que l’on boit autant dans vos films que dans ceux de Hong Sang-soo. Dans la vraie vie, qui de vous deux aime le plus le soju ?
C’est Hong Sang-soo qui boit beaucoup, beaucoup plus que moi ! (rires). Mais avec l’âge, il commence à boire un peu moins qu’avant.
Quel est le point de départ de A Matter of Interpretation ?
Je suis parti d’une image : celle d’une voiture perdue dans un terrain vague. Je me suis alors demandé qui est dedans, pourquoi, et j’ai construit le film ainsi. Mais quand j’ai eu cette idée, mon père est tombé gravement malade : il n’arrivait plus à distinguer la vie réelle et son rêve. C’est un sujet que j’ai voulu creuser.
L’autre motivation fut une rencontre avec des acteurs de théâtre. J’ai pu voir d’excellents acteurs, mais qui n’arrivent pas à gagner leur vie. J’ai voulu faire ce film pour les encourager.
Les acteurs du film viennent du théâtre ?
La plupart de mes acteurs ont fait du théâtre, mais aussi beaucoup de films et de séries à la télévision. Les rôles principaux sont connus, mais les seconds rôles viennent du théâtre indépendant.
Votre premier film, Romance Joe, prenait comme référence Escher, notamment Drawing Hands. Avez-vous aussi des références picturales pour A Matter of Interpretation ?
La peinture m’inspire beaucoup. Dans le cas de Romance Joe, les tableaux d’Escher m’ont beaucoup influencé. Dans A Matter of Interpretation, c’est plutôt le roman De l’autre côté du miroir de Lewis Carrol qui m’a influencé.
Est-ce que l’on peut dire qu’une autre référence du film sont les Lego ? On en voit dans le film et sa structure rappelle le jeu, avec des formes qui s’imbriquent les unes dans les autres ?
Oui, c’est mon jouet préféré ! Chaque pièce de Lego est très simple. C’est leur rassemblement qui donne quelque chose d’inimaginable à la base. L’ensemble devient quelque de complétement différent. C’est un peu comme une autre vie. Chacun a sa pièce et on construit une vie.
Un autre élément frappant est que les scènes dans « la vie réelle » sont aussi dépeuplées que celles des rêves, dans lesquelles il n’y a aucun figurant. Quel était votre but en dépeuplant ainsi votre film ?
J’ai effectivement voulu effacer toutes frontières entre le rêve et la vie. C’est la même chose par rapport au théâtre. Le film s’ouvre sur une scène de théâtre, mais on ne sait rien sur la pièce que les acteurs vont jouer. Le personnage principal sort du théâtre, mais c’est alors que sa pièce commence vraiment. Les frontières entre scène et vie n’existent plus, comme celles entre le rêve et la réalité.
C’est comme Alice qui traverse le miroir avant de revenir. Mon actrice sort de la scène, entre dans une autre scène, puis revient sur la première scène.
Faites-vous un parallèle entre l’état du théâtre indépendant et celui du cinéma en Corée aujourd’hui ?
Oui, la situation des intermittents du spectacle est la même au cinéma et au théâtre. Ce film est un film pour eux, pour encourager les acteurs. Je connais beaucoup de gens extrêmement talentueux qui se trouvent dans des situations très difficiles.
Etait-ce par exemple difficile de trouver des financements pour A Matter of Interpretation ?
Trouver des investisseurs est très difficile. Il y a des subventions de l’état, mais pas assez. La concurrence pour les avoir est très rude. Pour ce film, je n’ai rien obtenu et j’ai dû produire avec mes propres fonds.
On vous souhaite un beau succès alors. D’autant que le film est sorti en Corée il y a deux jours. Quel a été l’accueil ?
Les critiques ont été excellentes et les retours des spectateurs très bons. La fréquentation par contre n’est pas vraiment satisfaisante. Mais j’espère qu’avec le temps, le succès va arriver !
Vous avez déjà un autre projet ?
Oui, je suis en train de concevoir un scénario pour un film que je vais tourner cet automne.
Nous demandons à chaque réalisateur que l’on rencontre de nous parler d’une scène d’un film qui l’a marqué ou inspiré.
Quel serait votre moment de cinéma ?
La scène de projection dans Cinema Paradiso. Après la mort d’Afredo. Quand Toto regarde les scènes de baisers censurées.
Propos recueillis par Victor Lopez le samedi 14 février au FICA de Vesoul.
Traduction : Cho Myoung-Jin.
Un grand merci à Cécile Jeune et à toute l’équipe du FICA de Vesoul.
A Matter of Interpretation de Lee Kwang-kuk. Corée. 2015.