Le Festival du film asiatique de Deauville a été l’occasion pour nous de rencontrer Shin Su-won, la réalisatrice de Suneung, à découvrir en salles le 9 avril 2014.
Pouvez-vous présenter votre parcours aux spectateurs qui découvre votre cinéma avec Suneung ?
J’ai commencé ma carrière en tant qu’enseignante pendant 9 ans. Durant cette période, j’étais spectatrice et je n’imaginais pas du tout réaliser un film. Je m’intéressais davantage à l’écriture. Donc, en 2000, je me suis posée et j’ai consacré mon temps à l’écriture. J’ai alors commencé un cursus pour apprendre à écrire des scénarios. J’ai ensuite tourné un court-métrage qui était très mal réalisé, mais ce tournage a été une très belle expérience et, surtout, un élément déclencheur. J’ai été bluffée par la supériorité de l’image sur le texte dans le cinéma. Cela m’a rappelé la passion que j’avais, petite, pour le dessin et la peinture.
J’ai commencé en tant que scénariste mais j’ai eu du mal à trouver un réalisateur. Donc, au bout d’un moment, j’ai décidé que j’allais mettre en scène mon scénario. J’ai préparé la réalisation pendant 5 ans sans trouver d’investisseur. Du coup, j’ai investi mon propre argent et ai décidé de produire ce qui est devenu mon premier long métrage, Passerby #3 (2009). Heureusement, j’ai par la suite rencontré des producteurs !
D’où vient l’idée et l’envie de réaliser Suneung ?
J’ai eu cette idée très tôt, en 2000, mais à cette époque, je voulais plutôt publier un roman de science-fiction. Finalement, je me suis dit que réaliser un film sur ce sujet était une bonne idée. J’ai laissé le projet de côté pendant un moment parce que je savais qu’il faudrait beaucoup de moyens pour financer ce film. Après le tournage de Passerby #3, j’ai rencontré des producteurs et ai donc pu réaliser Suneung.
Le film commence par une lettre d’un lycée s’étant suicidé et se termine avec des images d’archives du « suneung ». Comment êtes-vous passée d’un projet de science-fiction à quelque chose d’extrêmement ancré dans le réel ? Pourquoi cette inscription réaliste est si importante dans le film ?
Le côté réaliste du film a été influencé par mes propres expériences en tant qu’enseignante. J’ai assisté à la destruction mentale des élèves soumis à une compétition infernale. Ce vécu ne pouvait qu’ancrer mon film dans la réalité. Puis un jour, alors que je marchais dans la rue, quelqu’un m’a parlé de l’éviction de Pluton du système solaire. J’y ai vu un parallèle avec la vie des lycéens.
Votre expérience d’enseignante dans les années 1990 vous a aidé pour écrire le film. Avez-vous adapté des éléments pour que l’histoire reflète la Corée de 2010 ?
Quand j’enseignais, il n’y avait pas encore ce système de points attribués aux élèves. Maintenant, il ne suffit plus d’avoir de bonnes notes. Certains enseignants proposent de l’assistanat et si on le suit, on a des points supplémentaires. J’ai donc ajouté cet élément.
J’ai aussi rencontré des lycéens très doués dans une discipline mais pas dans d’autres. J’ai ainsi rencontré un lycéen qui a fabriqué lui-même une crème pour l’acné. Mais ces étudiants n’ont pas de bonnes notes et sont ignorés. Pourquoi doit-on être doué dans tout ? Pourquoi ces lycéens qui ont un talent sont forcément ignorés ?
Il y a beaucoup d’éléments dans le film tirés de mon expérience. J’ai enseigné à la fois dans une école d’un quartier pauvre et dans une école d’un quartier bourgeois. J’ai vu des différences très nettes entre ces écoles. Mais ayant démissionné avant de réaliser Suneung, j’ai rencontré beaucoup de monde pour savoir comment se déroulait la vie d’un lycéen d’aujourd’hui. Et c’est comme cela que j’ai découvert le système du « top 10 » des élèves.
Comment le film a-t-il été reçu par les lycéens et par le système éducatif coréen ?
Après la première séance, un lycéen de 1ère est venu me voir en pleurs et m’a dit que c’était son histoire ! Il m’a expliqué qu’il était dans une école où il y avait une classe pour les 10 premiers élèves et que les élèves moins bons ne pouvaient plus travailler à l’internat à partir de minuit puisque la lumière était éteinte. J’en ai été très étonnée car, pour moi, cet élément était purement fictif !
J’ai reçu beaucoup de témoignages, souvent plus extrêmes que ce qui se passe dans Suneung. Par exemple, des écoles où les meilleurs élèves mangent en premier, avant tous les autres.
Le film bifurque aussi vers le cinéma de genre, notamment vers le thriller et l’enquête policière. Est-ce que le film de genre vous semblait être un vecteur intéressant et important pour faire passer votre message sur le système éducatif coréen ?
On me demande souvent cela. C’est vrai que je regarde beaucoup de films de genre. Par contre, je n’avais pas envie de réaliser un banal film de genre mais plutôt de mélanger réalisme et film de genre. Les deux se sont croisés naturellement.
Puisque vous avez vu beaucoup de films de genre, en avez-vous vu qui traitent de la violence du système éducatif afin de préparer votre film ?
J’ai été inspirée par Orange Mécanique de Stanley Kubrick et Elephant de Gus Van Sant car ils illustrent l’aptitude des jeunes à sombrer dans le mal. Quand j’enseignais, je sentais le potentiel de violence et de cruauté chez les élèves et je voulais le montrer.
Hier, on a vu Han Gong-ju (A Cappella) qui traite de thématiques assez proches. L’avez-vous vu ?
Ce film traite d’une histoire très grave puisqu’il s’agit d’un viol collectif. Mais, pour moi, ce n’est pas très choquant parce que j’ai déjà entendu ce genre d’histoire et surtout, j’ai vu ces actes quand j’enseignais. Dans une classe, il y a toujours un souffre-douleur. Une fois, j’ai entendu qu’un garçon, qui était le souffre-douleur de sa classe, a été amené dans un endroit isolé et a du se masturber devant les autres.
J’ai beaucoup aimé l’actrice principale (Chun Woo-hee) de Han Gong-ju, qui joue très bien. J’ai été très touchée par la fin du film.
Comment avez-vous choisi les acteurs qui jouent les lycées dans Suneung et comment les avez-vous dirigés ?
J’avais beaucoup aimé David Lee dans son rôle dans Poetry de Lee Chang-dong. Je ne voulais pas choisir un acteur débutant pour le rôle principal, celui de Kim Joon, dans Suneung donc j’ai choisi David Lee. Pour le rôle de Yoo-jin, j’ai choisi Sung Joon car j’aimais beaucoup son visage qui est à la fois sombre et mélancolique.
Pour les autres rôles, j’ai organisé une audition. Aucun acteur n’est un adolescent, sauf David Lee (Kim Joon dans le film) qui est en classe de terminale. Puisque tous les autres acteurs étaient débutants, je les ai choisi par rapport à leur image. Les diriger à été un peu compliqué puisqu’ils n’avaient pas beaucoup d’expérience. Mais, en même temps, puisqu’ils étaient débutants, ils avaient de la personnalité, apprenaient très vite et absorbaient tout ce que je leur disais. Par contre, ils n’étaient pas habitués à être devant une caméra et avaient du mal à tourner des scènes courtes. Donc je laissais tourner la caméra pendant longtemps pour qu’ils s’habituent.
Il y a une différence entre le montage coréen et le montage français. Quelles sont les coupes que vous avez effectuées et pourquoi ?
La seule grande différence, c’est le début du film. Il y a des images d’archives dans l’épilogue de la version française qui se trouvent dans le prologue de la version coréenne. Certaines scènes ont aussi été un peu raccourcies. Dans la version originale, il y a davantage de passages entre les scènes au présent et les flashbacks.
Interview réalisée par Victor Lopez le 8 mars 2014 et retranscrite par Elvire Rémand.
Merci à Céline Petit et Clément Rebillat, ainsi qu’à toute l’équipe du Public Système Cinéma pour l’organisation de l’entretien.
Suneung de Shin Su-won en salles le 9 avril 2014.