EN SALLES – Jinpa de Pema Tseden (en salles le 19/02/2020)

Posté le 19 février 2020 par

Produit par le duo légendaire Wong Kar-wai et Jacky Pang, Jinpa de Pema Tseden, en salles dès le 19 février, est un conte contemplatif à l’ambiance étrange et éthérée.

Une route venteuse, un camion traverse le champ, d’un bout à l’autre, du bas vers le haut, puis de la droite vers la gauche. Pema Tseden, réalisateur du magnifique Tharlo, emmène son spectateur vers un voyage mutique, dans des conditions climatiques difficiles, sur des terres désolées. Le héros écoute de l’opéra dans sa voiture sur une cassette, il a une veste en cuir, des lunettes de soleil. Il roule, il ne fait que ça. Pourtant, on sent le vécu, le trauma. Le début du film a vraiment des allures de Mad Max. Hors du temps, Jinpa déploie son ambiance presque surnaturelle avec une simplicité déconcertante.

Pema Tseden est un esthète. Sa mise en scène, d’une précision pouvant apparaître artificielle par instant, provoque pourtant une sorte de sidération permanente. Les cadres sont toujours composés avec un soin minutieux, mais sans imposer un sens à son spectateur. Le conte qu’est Jinpa, laisse la place à l’interprétation, aux rêveries.

Le récit va suivre donc cet homme aux lunettes noires ramassant un mouton qu’il a écrasé sur la route, et qui rencontre un auto-stoppeur, Jinpa, qui est en route pour tuer l’assassin de son père, qu’il recherche depuis 10 ans. Cette route déserte, désolée, devient le chemin de la vie. Et les deux hommes souvent filmés de face, le visage coupé par le cadre, sont les deux faces d’une même pièce (ils portent le même prénom…). La vengeance, le lâché prise, le rachat, ces thèmes parcourent déjà la filmographie de Pema Tseden,  creusant ce qu’il abordait magnifiquement dans Tharlo. Il montre une certaine réalité tibétaine, une promiscuité, une vie difficile et aride tout en offrant des plages presque surnaturelles. La réalité sociale est toujours là, offrant une résonnance toute particulière au cheminement des personnages.

Le long métrage déploie une ambiance mortifère assez étrange, faisant le parallèle entre des ébats et la carcasse sanguinolente d’un mouton, ou en filmant le vol des vautours attendant leur proie. La mort contamine le champ, les crises de conscience des personnages également. Les cadres précis et nets des scènes extérieures sont supplantés par des plans en intérieurs, éthérés et magnifiques.

De cet enchaînement de séquences naît une étrangeté presque comique rappelant le cinéma d’Aki Kaurismaki tout en offrant des vrais moments de western avec son héros mutique et solitaire. Pema Tseden n’hésite pas à faire basculer son film dans le fantastique, en jouant des couleurs, des perceptions des personnages. Jinpa est un conte du bout du monde et à la frontière des genres, marquant par son imagerie si particulière. Elle donne aussi à voir une région du monde qu’on n’a pas l’habitude de contempler au cinéma et qui on le sait, est très cinégénique.

Le trip est esthétique, sensoriel, métaphysique, et porte la marque d’un auteur décidément brillant et passionnant.

Jérémy Coifman.

Jinpa de Pema Tseden. Chine/Tibet. 2019 En salles le 19/02/2020.

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