La perte de repères de la jeunesse japonaise est un sujet qui tient à cœur nombre de réalisateurs, et en voici un nouvel exemple. Plongeon dans cette touchante co-production franco-japonaise.
Nombreux sont ceux, en effet, qui ont à leur manière souligné cet état de fait, ce nihilisme, ce désespoir, qui étouffe les adolescents des villes du Japon. Miike Takashi ou Tsukamoto Shynia, pour ne citer qu’eux, se sont penchés sur ce terrible problème, avec un style percutant qui leur est propre, laissant leur caméra explorer les rues déshumanisées des villes, où des gangs en perte de repères se raccrochent à la violence la plus pure comme seul moyen de rester vivant. Comment ne pas frissonner, à la vision du fascinant Bullet Ballet de Tsukamoto, et, si Miike s’est attelé à ce sujet dans un style plus cartoonesque, les mêmes dérives se ressentent derrière des métrages comme Fudoh ou Crows Zero.
Otsuka Yuki s’y penche d’une manière beaucoup plus touchante, douce, mais tout aussi désespérée, même si sous sa caméra, une lumière est entrevue au bout d’un tunnel à la noirceur abyssale.
Flare est une adolescente à la dérive. Elle a fuit son foyer, et vivote depuis, gagnant quelques sous à droite ou à gauche, dormant où elle peut. Elle n’a aucun espoir, aucun avenir. En rencontrant Jean, photographe français tout autant désespéré et perdu qu’elle, fauché, alcoolique. Elle va se raccrocher à lui, tout autant que lui à elle.
L’histoire ne brille certes pas par l’originalité du propos, mais l’intelligence de l’écriture et la beauté des images rendent les situations bouleversantes. Le spectateur s’enlise ainsi dans cette ambiance lourde, oppressante, suivant la descente aux enfers de ses personnages. Valentin Bonhomme, incarnant Jean, est très doué pour faire passer sa tristesse, par ses regards ou par ses actes. Certes, il récite ses textes de manière un tout petit peu trop théâtrale, mais il campe un personnage difficile avec un certain brio. Cependant, la fascination vient de Flare, qui porte littéralement le film sur les épaules. Fukuda Mayuko y est tout simplement époustouflante. Belle et touchante, elle envoie une flèche en plein cœur du spectateur à chacun de ses regards désespérés, chacun de ses actes. Elle incarne une Flare aussi magnifique que triste et déstabilisante, et le spectateur suit son parcours, ne pouvant rester indifférent devant son passé et ses sentiments.
Si elle ne s’est peut-être pas raccrochée à la bonne personne, tant Jean est autodestructeur, elle va découvrir à ses côtés l’univers de la photo, et le réalisateur, après un passage par l’auto-destruction, bouclera joliment la boucle tout en laissant entrevoir un futur plus radieux.
Le récit est certes nanti de quelques longueurs, mais les images sont belles, et si les dialogues sont intéressants, c’est surtout par les situations, les regards, qu’Otsuka Yuki construit son film.
Flare est donc une co-production franco-japonaise. L’équipe asiatique a ainsi rencontré Robin Entreinger pour qu’il soit leur directeur photo. Le choix est on ne peut plus pertinent, tant l’image est belle, tant la ville est fascinante. Oui, une des grandes qualités du film est sans contexte la beauté de ce qui est filmé, Flare pouvant presque se passer de dialogue, tant les actes, les décors, parlent d’eux-même. Robin Entreinger n’est cependant pas que directeur photo, mais aussi réalisateur. Victimes, son premier long-métrage, a ainsi fasciné le Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg en 2012, et son deuxième film, Sadik 2, se révélait être un excellent mélange de slasher et de comédie noire, le tout dans une ambiance cinéphilique à souhait. De plus, si ces deux films, de même que le suivant, n’avaient aucun rapport avec les territoires eastasiens, son prochain méfait, Dreamland, se déroulera au Japon, et il tarde à votre serviteur d’en découvrir le résultat, tant le cinéma de son réalisateur est intéressant.
Le point commun de tous les films de Robin est Valentin Bonhomme, acteur et ami. Ce dernier n’était pas prévu pour donner la réplique à la fascinante Fukuda Mayuko, le personnage de Jean étant envisagé bien plus âgé. Mais le réalisateur de Flare, après avoir vu des photos de l’acteur principal de Victimes, a revu sa position, et Valentin Bonhomme a pu rejoindre le casting, un choix heureux tant, là encore, sa présence et son charisme plus que ses propos, rendent son personnage, et par extension le film, bouleversant.
L’autre particularité de Flare est de mélanger des dialogues venant de plusieurs nationalités. Les personnages japonais parlent ainsi dans leur langue, et Valentin leur répond souvent en français (et parfois en anglais), et quelques phrases en allemand sont même disséminées ici et là. Ce choix, s’il a forcément facilité le tournage, donne à Flare une ambiance particulière. Le film en devient ainsi moins naturel, bien évidemment, mais l’effet n’en est pas forcément déplaisant, faisant s’éloigner un peu le métrage d’un réalisme total, pour un léger onirisme international, où tous les personnages pourraient comprendre toutes les langues. Le procédé donne une saveur étrange et difficile à qualifier, et il n’est pas aisé de se positionner face à elle. Cependant, les dialogues n’étant pas les plus importants dans le film, il est facile de se laisser porter par l’histoire en oubliant ce point.
Flare a été présenté à Lyon, en avant-première, lors d’une grande soirée en compagnie de l’équipe. Cet événement a été un grand succès et nous ne pouvons qu’espérer que cela permettra au métrage de sortir en France, tant il le mérite.
Yannik Vanesse.
Flare, d’Otsuka Yuki, présenté en avant-première mondiale le 6 février 2014 à Lyon.