Hommage à Malani Fonseka et au cinéma sri-lankais (Festival de Deauville)

Posté le 11 mars 2014 par

Cette année, le Festival du film asiatique de Deauville a rendu hommage à Malani Fonseka, la « Reine du cinéma sri-lankais », actrice dans plus de 150 films depuis 1968. Elle a été récompensée à plusieurs reprises dans son pays et à l’étranger. En 1996, elle a notamment reçu le prix Wishwa Prasadini pour sa participation à l’essor de l’industrie cinématographique du Sri-Lanka. Trois films représentatifs des différentes périodes de sa carrière ont été présentés à Deauville.

Le Trésor de Lester James Peries (1972)

Lester James Peries est communément considéré comme le réalisateur phare du cinéma sri-lankais et Le Trésor comme un chef-d’œuvre (Lion d’Argent à Venise). Le film a été restauré en 2013 mais avec une erreur de taille pour le confort du spectateur : des sous-titres blancs ont été incrustés directement sur la pellicule de ce film… en noir et blanc. Conséquence : la moitié des sous-titres sont illisibles. Le Trésor est l’adaptation d’un conte du folklore sri-lankais : un esthète célibataire et oisif refuse de vendre ses biens et sa maison pour rembourser ses dettes. Homme lettré mais superstitieux, il découvre un jour la carte d’un trésor caché sous un énorme rocher. Pour l’obtenir, il doit sacrifier une vierge au visage marqué par quatre grains de beauté (interprétée par Malani Fonseka).

Il y a peu d’action dans ce film surtout psychologique : le spectateur suit le cheminement mental du personnage principal. Tuera-t-il ou épargnera-t-il sa femme ? La personnalité du personnage et les décors de sa demeure font penser à l’esprit décadent fin-de-siècle de France. La demeure du personnage principal, décorée de plantes luxurieuses et d’un mobilier précieux, rappelle d’ailleurs de l’antihéros Des Esseintes du livre A Rebours de Huysmans. On trouve enfin plusieurs scènes oniriques : des séquences de rêves, des visions fantasmagoriques…

Malani Fonseka

Les wasps sont arrivés de Dharmasena Pathiraja (1978)

On change de registre avec Les wasps sont arrivés, un film plus social sur les incompatibilités entre les citadins et les autochtones d’un village de pêcheur. Le personnage principal, Victor (Vijaya Kumaratunga), arrive dans le village natal de son père, un riche industriel, afin de reprendre les affaires familiales. Alors qu’il pense que sa venue dans ce village est légitime (le retour aux racines), les pêcheurs du village vont vite le prendre en grippe, d’abord pace qu’il trouble le commerce local (en faisant augmenter les prix d’achat) mais surtout parce qu’il s’éprend d’une fille du village (Malani Fonseka), promise de longue date à un autre pêcheur. Tout le film décrit l’escalade tragique de ce conflit entre les jeunes citadins aux mœurs corrompues et les pêcheurs téméraires du village, adeptes des traditions et d’un patriarcat très prononcé.

Outre dans les mœurs, l’opposition entre les deux partis est physiquement palpable : le héros est un jeune premier aux cheveux ébouriffés et à la barbe de dix jours qui écoute « The Ballad of John and Yoko » des Beatles (le hipstérisme de l’époque) tandis que les pêcheurs ont l’œil mauvais et la moustache à la Lee van Cleef. Comme dans les films prolétariens chinois des années 30, les cinémas soviétiques et nord-coréens (et Vixen de Russ Meyer), le film se termine par un discours politique adressé aux villageois par un citadin désabusé (au profil plutôt hippie et lecteur de Jean-Jacques Rousseau) qui glorifie le paradis du village des pêcheurs, un paradis corrompu par les mœurs citadines et l’arrivée final de la police, c’est-à-dire une entité de l’État. Dans un magnifique « plan-tribune », le citadin vante ainsi le « communisme primitif ». Une belle scène. Reste à savoir si cette pratique du discours politique était courante dans le cinéma sri-lankais à cette période.

MALANI FONSEKA FLEURS CIEL

Les Fleurs du ciel de Prasanna Vithanage (2008)

On change à nouveau de registre avec le dernier film de cette sélection sri-lankaise, Les Fleurs du Ciel de Prasanna Vithanage, réalisateur sri-lankais réputé dans son pays et dans plusieurs festivals internationaux. Ce film met en scène Malani Fonseka dans le rôle de Sandhya Rani, une ancienne actrice qui arrêta sa carrière en raison de problèmes personnels cachés aux yeux du public. Cette ancienne gloire du cinéma s’est alors reconvertie dans l’hôtellerie… un hôtel insolite puisqu’il est avant tout destiné aux ébats adultères des gloires du cinéma présent. Sandhya Rani se lie d’amitié avec l’actrice Shalika (Dilhani Ekanayake), qui trompe son mari avec le partenaire de son nouveau film. Lorsque cette liaison est rendue publique, Shalika voit sa carrière déstabilisée… une situation qui ramène Sandhya Rani à son passé.

Les Fleurs du ciel est un film sur le puritanisme du Sri-Lanka et les conséquences sociales et professionnelles (dans le cinéma) des révélations de l’adultère ou d’événements personnels cachés. Le film aborde également la place que prend les séries TV au Sri-Lanka, au détriment du cinéma. Mais c’est surtout un film sur les femmes, qui ont ici les principaux rôles, à travers l’ancienne actrice Sandhy Rani, la nouvelle gloire Shalika, et l’entraîneuse de discothèque, Priya. C’est assez touchant et bien mis en scène. Pour ce film, Malani Fonseka a reçu le Silver Peacock de la Meilleure Actrice au Festival International du Film d’Inde.

Marc L’Helgoualc’h.

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