Interview passionnante avec Sandy Seneschal, réalisatrice du huis clos 9m².
La 10ème édition anniversaire du festival Court Métrange a été l’occasion de voir le deuxième court-métrage de la réalisatrice française Sandy Seneschal. Après Boucherie, 9m² raconte la séquestration d’une femme dans une chambre par un mystérieux agresseur. La cinéaste enferme son personnage (brillamment interprété par Adélaïde Leroux) dans une psychologie ténébreuse aux ambiances contrastées dont le malaise du spectateur perdure bien après la séance. Rencontre.
Pouvez-vous vous présenter brièvement ainsi que votre parcours professionnel ?
J’ai suivi des études d’Arts du Spectacle Cinéma à Rennes et j’ai obtenu une maîtrise en scénario. En dehors de l’écriture et de la réalisation, je travaille essentiellement sur des festivals de cinéma ainsi que sur des tournages. J’ai été lauréate du concours Estran, à l’initiative du festival européen du film de Brest en 2008, qui m’a permis de réaliser mon 1er court métrage, Boucherie, l’année suivante. 9m² est mon 2ème film.
Quelles sont vos influences cinématographiques, certaines vous ont-elles inspiré pour 9m² ?
Je suis une fan absolue de Michael Haneke. C’est pour moi le plus grand cinéaste ! J’aime aussi énormément l’univers de Lynch et pour les réalisateurs plus jeunes, je suis beaucoup les carrières de Steve Mc Queen (Hunger et Shame) et de Nicolas Winding Refn (surtout Drive mais pas du tout le dernier Only God Forgives qui m’a particulièrement déçue) et chez les femmes, je dirais Lynne Ramsay (particulièrement We need to talk about Kevin). Mais il y en aurait encore énormément à citer : Kubrick, Scorsese, les frères Coen…. Bon nombre de réalisateurs et de films m’influencent car je suis avant tout une cinéphile. Le cinéma me nourrit et m’inspire beaucoup.
Pouvez-nous nous parler de la naissance du projet ? Vous êtes vous inspirée d’un fait réel ?
En fait, cette histoire m’a été inspirée par l’une de mes connaissances qui s’est faite enlever dans un pays d’Afrique alors qu’elle travaillait pour une organisation humanitaire. Elle a été retenue en otage pendant 9 mois avant d’être libérée. Une situation terrifiante et une période pendant laquelle je me suis énormément interrogée sur la façon dont elle pouvait survivre à ce tragique quotidien de la séquestration. À force de questionnements, j’ai finalement eu l’envie d’en faire un film mais je ne voulais pas l’ancrer dans un contexte politique car c’est avant tout l’aspect psychologique qui m’intéressait.
C’est d’ailleurs pour ça aussi que j’ai choisi de mettre complètement de côté le personnage du ravisseur sans expliquer ses motivations. Il n’est identifié que par ses mains et ses pieds pour rester une sorte d’entité du mal. Je voulais me concentrer exclusivement sur le personnage de Lola qui – comme cela arrive malheureusement trop souvent dans la vie – a le malheur de se trouver au mauvais moment au mauvais endroit et se retrouve à subir une situation tragique sans comprendre ce qui lui arrive. L’idée était donc de suivre les stades d’évolution psychologique et d’adaptation dans ces moments de quotidien où elle se retrouve seule face à elle-même dans sa séquestration.
Il est rare qu’une réalisatrice contemporaine (qui sont malheureusement peu nombreuses) aborde ce type de thématique dans leur film…
C’est drôle parce que des gens m’ont déjà dit qu’ils étaient très étonnés que ce soit une femme qui ait réalisé le film et j’ai moi-même été très surprise de l’entendre la première fois. Je ne m’étais jamais posée la question. Ce qui m’intéresse avant tout dans mon travail, ce sont les retranchements psychologiques, les contextes extrêmes où tout bascule et où le cerveau vrille. Ces situations me terrifient et en même temps elles me fascinent car je ne les comprends pas. Elles me perturbent et j’essaie d’explorer ces questionnements, ces peurs à travers mes films. Je ne cherche pas à donner une quelconque idéologie car avant tout, je m’interroge et je cherche aussi à interroger le spectateur en donnant ma propre interprétation des recherches que je fais sur le sujet que j’aborde.
Pouvez-vous nous expliquer votre travail avec Adélaïde Leroux ?
Quand j’ai commencé à écrire ce scénario, j’ai tout de suite eu besoin de mettre un visage sur le personnage de Lola. Mon choix s’est immédiatement porté sur Adélaïde car nous nous connaissions dans la vie et j’admire énormément son travail de comédienne. Cela a donc tout de suite été une évidence pour moi. Très rapidement, je lui ai dit que j’écrivais pour elle et malgré ces craintes, elle était très enthousiaste sur le projet. Elle avait très envie d’interpréter ce rôle certes difficile mais très fort. J’ai quand même attendu qu’elle lise le scénario pour accepter pleinement son oui. Je sais que pour elle, cette première lecture a été assez éprouvante, elle a eu besoin de prendre l’air et d’aller faire un tour alors que pourtant, la ville elle-même ne lui paraissait pas sécurisante après ce qu’elle venait de lire. Mais elle savait que j’avais un regard bienveillant sur elle et sur le personnage de Lola et que je ne voulais surtout pas la traumatiser en la séquestrant dans le film.
Comme elle a eu connaissance du projet dès sa genèse, nous avons donc travaillé pendant 2 ans pour se préparer au rôle – le temps qu’a nécessité l’écriture et la recherche de financement jusqu’au tournage – mais nous n’avons jamais répété à proprement parler, juste une demi-journée la veille du tournage pour se rassurer. En fait, je crois que je n’avais pas envie qu’elle entre trop vite dans la peau de Lola pour la protéger et me protéger aussi moi même quelque part. Pendant ces 2 ans, nous avons surtout parlé du personnage, beaucoup. La pauvre, je l’ai inondée de références (articles, documentaires, livres, films) pour qu’elle s’imprègne de l’univers que je voulais pour le film. Nous avons fait également des lectures mais l’avantage du fait qu’on se connaisse c’est qu’on en parlait à chaque fois qu’on se voyait dans des contextes très différents (et pas forcément opportuns d’ailleurs) mais nous avions vraiment ce besoin d’en parler, d’échanger et de partager nos doutes ce qui a énormément renforcer notre relation et notre travail. Il était important que nous nous ménagions des temps autant pour l’entrée que pour la sortie du personnage. Adélaïde devenait Lola qu’entre le moment du action et du coupé. J’avais d’ailleurs très peur que l’ambiance du film contamine le plateau mais j’ai eu la chance d’avoir une équipe formidable qui a pleinement compris les enjeux du film et du rôle. Tout le monde a été extrêmement bienveillant avec elle et contrairement au film c’est vraiment la bonne humeur qui a régné sur le tournage. Ce n’était pas facile mais Adélaïde a fait une performance incroyable. Elle a même su parfois (notamment sur la scène du viol) dépasser mes intentions de départ et me submerger d’émotions.
Niveau mise en scène, pouvez-vous expliquer le choix de la cohabitation du passé à travers les flashbacks, du monde réel (ambiance très glauque, gros plans) et du monde échappatoire de la réalité.
Déjà en ce qui concerne l’esthétisme général du film, je voulais vraiment créer des décalages et des oppositions à tous les niveaux. Je voulais à la fois raconter cette histoire horrible et la montrer de façon très belle. La rendre supportable à regarder tout en créant un certain malaise d’apprécier visuellement une situation qui ne l’est pas. Je voulais qu’on soit à la fois avec elle (avec l’utilisation de gros plans) et en même temps qu’elle soit une sorte de rat de laboratoire (avec des plans larges) et une mise en scène figée pour mettre une certaine distance d’observation.
Je voulais créer un univers un peu irréel d’une situation qu’on préférerait qu’elle le soit. D’où le choix notamment des murs rouges de la cellule qui sort immédiatement de l’imaginaire commun de la cave grise. Même si j’en ai gardé les codes dans les éléments de décor (la cellule a été entièrement construite en studio), avec ces murs rouges, je voulais créer une sorte d’irréalité pour mettre une distance pour le spectateur. Et cela me permettait également de donner une indication sur la personnalité du ravisseur dans le choix, pas anodin, de plonger ses victimes dans une cellule rouge, réputée pour être une couleur agressive.
Les flashsbacks du bar et de l’enlèvement sont tournés dans des tons froids, sombres et en mouvement. Ces souvenirs sont sales, ce sont les derniers instants de sa vie « d’avant » et pour elle, ce qui est terrible, c’est de se dire que si seulement une ou deux choses avaient changé ce soir-là, elle n’en serait sûrement pas là. Quant à la séquence avec sa mère sur la plage pendant le viol, je voulais quelque chose de très lumineux pour contraster avec l’horreur de ce qu’elle vivait, comme un lointain souvenir d’enfant avec tout le réconfort, l’amour et le soutien d’une mère pour supporter pareille situation.
Mais tous les flashsbacks et les scènes extérieures du film sont mouchetés de tâches rouges, comme si ces réminiscences étaient contaminées et imprégnées de sa cellule.
Le dénouement est très pessimiste, la folie non simulée permet de libérer Lola mais l’enferme dans un monde irréel, pourquoi un tel choix ?
Oui, effectivement. Disons plutôt qu’il est faussement optimiste car finalement, elle est libérée. Ce plan de fin, je l’avais en tête avant même d’avoir écrit une ligne du scénario. Je voulais qu’elle marche lentement sur une route, perdue, qui symbolise en quelque sorte la mort de ce qu’elle était avant. C’est pour cela qu’elle s’arrête avant de repartir car finalement, ce qui l’attend devant est tout aussi effrayant et angoissant. C’est l’inconnu. Rien ne sera jamais plus pareil pour elle et elle portera à jamais l’empreinte de cette cellule. C’est pour ça que nous avons tourné au soleil couchant car je voulais pousser au maximum l’étalonnage du rouge du ciel pour qu’il reflète sur sa peau et ses cheveux et marque les stigmates de sa cellule sur elle.
En sombrant dans la folie à la fin, avec notamment cette scène où elle supplie son ravisseur de ne pas la laisser seule, elle n’est plus dans la terreur. Le « joujou » ne marche plus et elle est aussitôt remplacée par une autre victime. Tel un vulgaire objet, elle est lamentablement jetée au bord de cette route déserte. Ce qui finalement pour moi est beaucoup plus tragique. Il y a dans cette fin un petit côté « tout ça pour ça ! » absolument terrifiant.
Certains spectateurs pensent qu’elle est véritablement morte à la fin et que cette route en est le symbole mais finalement, je me rends compte que chacun va vers ce qui le soulage le plus. La mort l’aurait finalement libérée de ces souffrances alors que l’imaginer devoir vivre avec est profondément angoissant.
9m² a le potentiel d’un long, y avez-vous pensé? Et de manière générale ?
Quelles sont vos futurs projets ?
C’est vrai que j’y ai déjà songé mais pour l’instant je n’en ai pas envie et je ne sais pas si je l’aurais un jour. Je suis bien contente d’être sortie de cette séquestration qui aura quand même duré 3 ans entre l’écriture et l’achèvement du film. Pour l’instant, j’ai envie de raconter de nouvelles histoires et d’explorer d’autres déviances psychologiques. Je travaille actuellement sur mon 3ème court métrage qui est en finalisation d’écriture avant de lancer la recherche de financements. Et puis, je commence doucement à griffonner pour un projet de long métrage mais je sais que ça va prendre beaucoup de temps et que c’est un parcours semé d’embuches mais ce sera vraiment l’aboutissement ultime.
Nous demandons à chaque réalisateur que nous rencontrons de nous parler d’une scène d’un film qui les a particulièrement touchés, fascinés, marqués et de nous la décrire en nous expliquant pourquoi. Pouvez-vous nous parler de ce qui serait votre moment de cinéma ?
C’est assez difficile, il y en a beaucoup mais je choisirais Funny Games de Haneke, la version de 97, qui a été un vrai choc cinématographique pour moi. Tout le film mériterait d’être détaillé tant il est maitrisé mais je parlerai de la scène où l’on voit Arno Frisch (un des ravisseurs) se préparer tranquillement un sandwich dans la cuisine alors qu’on entend un coup de feu et des cris provenant du salon. Il n’y a pas pire frustration pour le spectateur que de ne pas voir et ne pas être là où il voudrait pour assouvir cette fascination morbide propre à l’être humain (au même titre que l’accident de voitures sur la route que nous regardons tous).
Il y a ensuite ce plan fixe très long sur la télévision allumée qui est recouverte de sang avant que l’on découvre enfin sur un plan fixe plus large, les conséquences de ce qu’il s’est passé. Susanne Lothar, la mère, immobile au fond du cadre et le corps ensanglanté de son enfant gisant près de la télé. Elle reste un long moment sans bouger en silence avant de venir éteindre la télé qui hurle. La caméra finit par panoter alors qu’elle quitte la pièce et on découvre alors son mari, à terre, prostré lui aussi. La caméra se fixe encore de longues minutes – un temps interminable qui en devient presque insoutenable – avant qu’il ne finisse par craquer et que sa femme revienne le consoler. Ils restent ainsi encore un long moment à pleurer dans les bras l’un de l’autre. Cette scène est terriblement glaçante et éprouvante alors que rien n’y est véritablement montré. Elle illustre parfaitement tout l’art et le génie d’Haneke pour le hors champs et sa façon toute particulière de frustrer son spectateur pour mieux lui renvoyer, par un effet miroir, ces propres faiblesses.
Quand nous sommes au cinéma, nous sommes conditionnés dans une position de voyeur confortablement installé dans notre fauteuil, prêt à porter tous les jugements possibles sur l’histoire et les personnages qu’on va nous raconter. Personnellement, je préfère être bousculée, ressentir le malaise de cette position. J’aime quand un réalisateur me prend en otage et me fait subir son récit. C’est le petit côté masochiste que nous avons tous et qui s’exprime comme ça chez moi et personne n’y arrive mieux que Haneke. C’est pour moi le maître absolu en la matière.
Un grand merci à Sandy Seneschal et à l’équipe de Court Métrange.
Julien Thialon.
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