Deauville Asia 2013 : Carnet de bord, jour 5, le Bilan

Posté le 13 mars 2013 par

Fin des festivités. Après cinq jours passés dans les salles obscures, l’heure du bilan a sonné. Première remarque qui s’impose de suite : en Orient non plus, rien ne va plus. Tous les films sélectionnés, ou presque, décrivent une société malade, un monde en souffrance. Exception faite du dernier film vu, The Thieves (plus gros succès du cinéma coréen, comme quoi la positive attitude est toujours porteuse). Par Frédéric Rosset.

Deauville Asia

GOD HAVE MERCY

Qui dit souffrance, dit souvent retour vers la religion. S’il y a bien une thématique qui s’est dégagée plus qu’une autre pour cette 15ème édition du Festival du Film Asiatique de Deauville, c’est celle de la religion. Deux des films en compétition mettent en scène des hommes et des femmes d’église (Apparition et Four Stations – les deux films les plus contestés par l’équipe d’East Asia, soit dit en passant). Mais en dehors de ces deux  évidences, la religion – ou du moins les thèmes qui en découlent – tient aussi un rôle majeur dans beaucoup des films hors compétition les plus attendus ; il est question de rédemption et de pénitence dans Pietà de Kim Ki-duk, ou dans Shokuzai de Kurosawa Kiyoshi (rappelons d’ailleurs que le titre anglais est Penance). Et Thy Womb de Brillante M. Mendoza nous montre un autre visage de la religion musulmane. Cela dit, entendons-nous bien, cela ne s’est pas non plus appliqué à la totalité des films (ni même la majorité). Si le Land of Hope de Sono Sion paraît formellement bien sage comparé au reste de sa filmographie, son esprit punk demeure intact, et l’absence totale du thème religieux dans sa description d’un Japon mourant sous les effets de la radioactivité lui permet de se démarquer encore une fois.

PIETA

UNE COMPETITION ASSEZ MOLLE

Le festival s’est achevé sur la victoire d’I.D, de Kamal K.M. Un Grand Prix amplement mérité, mais surtout logique, vu qu’en dehors de ce beau film indien, les films de la compétition de cette année nous ont globalement paru décevants, en dessous de nos attentes. Formellement, certains se sont démarqués, mais ils ont tous en commun un côté très vain, sans véritable propos, et sentent surtout le déjà-vu en moins bien. Taboor est du sous Kiarostami, Four Stations du sous Weerasethakul. The Weight et Mai Ratima reprennent à leur compte des gimmicks que l’on retrouve constamment dans le cinéma coréen d’auteur d’aujourd’hui, l’accumulation des scènes morbides pour l’un, toutes les étapes du drama social typique pour l’autre (cela étant dit, rappelons pour être juste que certains de mes camarades ne partagent pas totalement ce point de vue sur ces deux cas précis). Quant à Apparition, c’est un tout petit film à l’esthétique télévisuel, qui n’avait pas grand chose à faire dans cette compétition. Il a pourtant fini Prix du Public, surement pour ses personnages de nonnes, ce qui prouve que les ¾ du public du Festival sont des locaux, c’est-à-dire des gens d’un certain âge, venant d’un milieu aisé, et sensibles dès qu’on touche à des thèmes catholiques (oui, je suis mauvaise langue sur ce coup-là, mais j’assume). Après, pour être équitable, il est aussi important de finir sur les plus réussis. Songlap, The Last Supper et The Town of Whales sont tous les trois bien fichus, chacun dans leur genre. Ou, comme on l’a souvent dit en sortant de la salle : « ouais, c’est pas mal ». Mineurs, mais sympathiques, c’est déjà ça dirons-nous. Il s’agit essentiellement de premiers (ou seconds) films. Et on est alors en droit de s’inquiéter pour la relève du cinéma asiatique, qui semble bien moins inspiré que ses anciens, ce qui nous a bien évidemment sauté aux yeux au vu des films des maîtres du moment, en hors compétition.

FOUR_STATIONS

LES GRANDS RESTENT GRANDS (ou presque)

Parce que oui, des grands films, il y en a bien eu dans cette édition, et ils étaient tous hors compétition. La différence de niveau s’est sentie dès la diffusion jeudi soir du premier d’entre eux, à savoir The Land of Hope, le nouveau Sono Sion. Une bouffée d’air frais (sans mauvais jeu de mot, au vu du sujet) d’autant plus forte que le cinéaste était présent. Saluons d’ailleurs l’intelligence du festival, qui continue à choisir avec pertinence les grands cinéastes à qui rendre hommage, en espérant peut-être qu’ils soient un jour plus reconnus en France. Sono Sion nous a en tout cas parfaitement rendu la pareille. Si son attaché de presse nous a pourtant dit qu’il était assez fatigué, il  est apparu loquace, pertinent et impertinent à la fois, bref comme on se l’imagine au vu de sa filmographie. Parallèlement, les six films choisis pour sa rétrospective se sont avérés agréablement étonnants, puisqu’à part le célèbre mais immanquable Suicide Club, nous avons eu droit à des beaux inédits, situés au tout début de sa carrière. Du cinéma « amateur » selon les dires du cinéastes lui-même, mais passionnant pour qui veut voir la genèse d’un artiste essentiel.

the_land_of_hope redimensionné

Et il semblerait donc que tous les autres cinéastes de sa trempe se soient passés le mot, vu que la quasi totalité des autres films hors compétitions les plus attendus ne nous ont pas déçus. Le Kurosawa Kiyoshi et le Brillante M. Mendoza sont de très grands films, que l’on voit bien devenir des pièces maîtresses de leurs œuvres respectives (ce sont les deux que l’on retrouve le plus dans tous nos top 3 du festival, d’ailleurs). Pietà de Kim Ki- Duk, que certains craignaient, a aussi bien plu (y compris l’auteur de ses lignes, pourtant habituellement réfractaire à l’œuvre de ce cinéaste).

thy-womb

Seul The Grandmaster nous a totalement divisé. Il a au moins le mérite d’avoir créé notre débat post-séance le plus long et le plus enflammé du festival. Grand film sur le kung-fu pour certains, trop maniéré et prétentieux pour d’autres. La différence avec ses films des années 90, diffusés pour la plupart pour la seconde rétrospective de cette édition, est tout de même frappante. Quoiqu’il en soit, la séance de son film, précédée d’une démonstration de kung-fu un peu ridicule, mais surtout d’un discours de Wong Kar-wai venu en personne, fut sans contexte le plus grand succès du festival en terme de gens présents. Le seul moment où il fallut arriver bien plus de 5 minutes à l’avance.

Wong Kar Wai

POUR FINIR

En conclusion, on peut dire que les petits nouveaux du cinéma asiatique copient un peu trop leurs aînés, qui sont tous plutôt en forme, et continuent pour le coup à inventer des formes ou se réinventer eux mêmes. I.D. reste tout de même un beau gagnant, et il rappelle que le cinéma indépendant indien se porte particulièrement bien ces temps-ci. Si jamais, à tout hasard il venait à trouver un distributeur en France grâce à son Grand Prix, cela donnerait vraiment au festival une belle raison d’être supplémentaire.

 Frédéric Rosset.

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