Black Movie : Interview de Lyubov Arkus, réalisatrice de Anton’s Right Here

Posté le 24 janvier 2013 par

Venue présenter son documentaire Anton’s Right Here dans le cadre de la sélection Bons baisers de Russie, Lyubov Arkus a répondu à nos questions sur son film et sur sa passion du cinéma. Entretien par Victor Lopez.

Lyubov Arkus

Atypique parcours que celui de Lyubov Arkus, qui sera finalement arrivée à sa passion, le cinéma, grâce à une rencontre avec un enfant autiste, Anton, à qui elle consacre le documentaire Anton’s Right Here. En partant à la recherche de l’auteur d’un texte envoyé à sa revue Seance, elle se lance dans un projet de six ans qui change sa vie et dont son film documentaire est le récit. Mais laissons la parole à l’intéressée, qui relate tout cela mieux que nous.

Pouvez-vous brièvement présenter votre parcours et nous expliquer ce qui vous a conduit à la réalisation de Anton’s Right Here ?

J’ai grandi en Union Soviétique dans l’Ukraine actuelle. Je n’avais aucun espoir d’entrer à l’université de cinéma à Moscou qui était trop loin. J’ai toujours eu envie d’être réalisatrice, mais je savais que c’était impossible. Je suis donc entrée en fac d’histoire du cinéma et je voulais changer de faculté après avoir réussi l’examen, mais en vain. C’est pendant la perestroïka que j’ai commencé à faire mon propre magazine de cinéma, Seance, qui est devenu très connu. J’ai été proche des Cahiers du Cinéma, je voulais que ma revue s’articule autour du même principe. Il y a beaucoup d’auteurs qui ont commencé dans le magazine pour devenir par la suite des réalisateurs.

Quand j’ai commencé à filmer Anton’s Right Here, je ne pensais pas que je réaliserai le film. Je tournais plus par devoir que dans l’intention de devenir réalisatrice. Pendant les quatre années durant lesquelles cette histoire s’est déroulée, je n’étais pas sûre d’être la réalisatrice de ce film. Je cherchais quelqu’un qui pourrait monter le film. J’ai commencé à le proposer à un ami réalisateur, mais il m’a dit que c’était stupide car il était évident que je devais réaliser le film moi-même. Alors, pendant une année, j’ai monté le film sans restrictions.

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À partir de quel moment étiez-vous vraiment certaine de devoir faire ce film ? 

Cette histoire a commencé quand j’ai trouvé le poème d’Anton, Les Gens, que je pensais écrit par un génie. Et c’est l’un de mes amis qui m’a dit qu’il fallait qu’on fasse ce film. L’un des metteurs en scène de mon magazine m’a demandé de trouver ce garçon. Quand j’ai trouvé Anton, j’ai trouvé sa maman et les personnes qui étaient avec lui dans les centres pour autistes où il avait grandi. J’ai tout organisé pour cette rencontre mais la personne qui devait voir Anton s’est rétractée. Mais le garçon savait que quelqu’un venait le voir, alors on a trouvé une autre personne car il était important de continuer à filmer.

À quel moment le film s’est-il retourné en autoportrait ?

Quand j’ai compris qu’Anton faisait partie de mon âme, qu’il était mon miroir et que sa vie allait être changée pour toujours. C’était très difficile de se mettre au montage du film car je ne suis pas trop dans le streaptease de l’âme. Je voulais tisser un lien entre Anton et le spectateur. Pour cela, je suis passée par moi-même pour établir un fil conducteur.

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Et comment mettre un point final à une telle histoire ?

Quand j’ai compris qu’Anton restera avec son père. À un moment, je pensais que l’histoire allait très mal se terminer (lorsqu’Anton est dans un établissement psychiatrique et sa mère décédée). Je ne voyais pas d’issue, je pensais appeler alors mon film The killer’s diary. Je ne pouvais pas vivre tranquillement en sachant cela. J’ai repris alors le combat en continuant à filmer. J’ai pu retrouver le père d’Anton et après une année de solide confiance dans la relation père-fils, j’ai commencé à monter le film.

Au niveau de la structure du film, tout commence  avec le poème Les Gens. Vous en parlez au début mais vous différez pendant tout le film sa lecture au spectateur. Ce n’est qu’à la fin qu’on a accès au texte. Pourquoi avoir choisi de mettre en scène une telle attente ?

J’ai d’abord aimé le poème en tant que rédactrice en chef. Il a touché mon âme d’une certaine façon. Quand j’ai vu Anton, il ne parlait ni écrivait plus. Il avait écrit cet essai 7 ans auparavant. Personne ne croyait que c’était lui qui l’avait écrit, même moi j’ai fini par douter et oublier ce poème. Mais ce n’était plus important. Quand j’ai fini le montage, j’ai eu besoin d’un dénouement. Le sens du texte m’est apparu comme la photographie des quatre ans qu’à durer le film. Deux miracles m’ont permis de le mettre dans la fin du film. Tout d’abord, on a faire lire à Anton le poème qu’il a lu parfaitement. Ensuite, j’ai commencé à lui dicté l’essai et il a suivi. J’ai ainsi prouvé que c’était lui qui avait écrit cet essai il y a dix ans. À la fin,  je ne voulais pas dire que c’est nous qui éprouvons de la pitié pour lui mais bien Anton qui a de la peine pour nous.

Anton est très attiré par l’objectif de la caméra. A-t-il a vu le film et si oui, qu’en a-t-il pensé ?

Non, car sa mère est présente dans le film. De plus, il n’aime pas se voir lui-même.

Nous demandons à chaque réalisateur que nous rencontrons de nous parler d’une scène d’un film qui les a particulièrement touché, fasciné, marqué et de nous la décrire en nous expliquant pourquoi.

Pouvez-vous nous parler de ce qui serait votre moment de cinéma ?

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La Strada de Federico Fellini : la scène où Gelsomina fait pousser des tomates. Je pleure tout le temps à ce moment-là. Il y a aussi Quand passent les cigognes de Mikhaïl Kalatozov qui a reçu la Palme d’Or au Festival de Cannes en 1958.

Traduction : Tatiana Yaretskaya.

Propos recueillis à Genève lors du Black Movie le 22/01/2013 par Victor Lopez (interview) et Julien Thialon (photos et retranscription).

Anton’s Right Here de Lyubus Arkus est projeté dans le cadre du Festival Black Movie à Genève du 18 au 27 janvier 2013.

Le lien vers la fiche du film ici !

Un gargantuesque merci à toute l’équipe du  Black Movie, et particulièrement à Melissa Girardet et Antoine Bal, sans qui rien de tout cela ne serait possible !