Coming of Age 2023 – Troisième séance : Écarts du cinéma

Posté le 27 octobre 2023 par

C’est au Pathé Les Fauvettes qu’a eu lieu cette dernière séance de courts-métrages. L’occasion pour l’association Allers-Retours de finir en beauté l’événement qui fut un franc succès, avec des séances simultanées à Paris et à Lyon mais aussi avec des rencontres entre les réalisateurs et le public ainsi qu’une programmation plus riche que jamais. Cette séance finale nous a menée aux confins de l’onirisme à travers des films toujours aussi qualitatifs et radicaux.

 

A Young Tough de Wang Pengwei

L’un des grands chocs esthétiques de cette édition, A Young Touth nous fait suivre le quotidien d’un petit garçon au centre de disputes parentales très violentes. La narration du film, bien qu’assez originale, se veut dans un premier temps tout à fait limpide : nous épousons ici le point de vue enfantin, et donc assez naïf, du personnage principal assistant aux disputes très violentes de ses parents sans en comprendre la portée. Ce dernier passe le temps en tuant des insectes avec des pétards, à défaut de ne pas pouvoir avoir la gameboy qu’il convoite tant. Petit à petit le récit se met en place de manière assez banale malgré les pointes d’étrangeté parsemées ici et là à l’image. Puis arrive le personnage d’une petite fille avec un cache-œil. C’est alors qu’avec elle, la sidération arrive : le récit s’échappe tout à coup du film, les images gagnent en puissance, les enjeux deviennent bien plus flous, mais paradoxalement tout devient plus clair. Alors que A Young Touth débute en mettant l’axe sur un récit quasi-discursif, il bascule, radicalement et sans crier gare, totalement dans le sensible et l’abstrait. L’on pourrait y voir un film en deux parties, une première se voulant assez limpide et permettant de disséminer quelques éléments importants à avoir en tête pour comprendre, dans un second temps et d’une manière bien plus obscure, les réels enjeux du film. Il fonctionne alors par évocations, par resurgissements soudains du récit dans une masse absurde d’images aussi poignantes que terrifiantes. Le film donne l’impression de soudainement sombrer dans un rêve avec cette deuxième partie qui ne cesse de muter devant les yeux du spectateur, au point de revêtir une forme totalement instable. Wang Pengwei change sans cesse de registre, sans cesse de style, il puise dans des cinémas diamétralement opposés dans les enjeux esthétiques qu’ils soulèvent (on pense notamment à son début plutôt réaliste, tout comme à sa rupture très pop en milieu de film avec un générique tout à fait génial ou bien encore à ses scènes oniriques vertigineuses). Et malgré cela, il arrive à investir parfaitement chaque forme qu’il convoque tout en les tordant assez afin que chacune entre en symbiose avec les autres. L’expérience du film est donc difficilement descriptible : tout semble si simple, mais aussi d’une complexité aberrante. Les enjeux sont très clairs, mais le tout reste très énigmatique et mystérieux. Beau et cruel, A Young Tough était l’un des courts immanquables de cette édition 2023 !

 

When a Rocket Sits on the Launch Pad de Liu Bohao

Ce court documentaire suit Fang, une jeune fille de 15 ans pratiquant le basket et pensant à son futur. La démarche pourrait beaucoup faire penser à l’émission franco-belge Strip-tease qui, plus que d’être la source d’un voyeurisme radical et dérangeant, est aussi la matérialisation en images d’un réel glacial, du quotidien d’un ou de plusieurs personnages derrière lesquels la caméra s’efface totalement. Dans un dispositif de filmage plutôt similaire, la caméra de Liu Bohao se met en retrait et se contente d’enregistrer, d’assister au quotidien de Fang. Visuellement, le film se démarque tout de même grandement de l’émission franco-belge qui adoptait volontairement une image très terne afin d’émettre une certaine distance avec son sujet (et possiblement de jouer sur l’aspect voyeuriste qui fit la popularité de l’émission). Ici, nous sommes au plus près de Fang, l’image est chaude, les plans sont généralement des gros plans, nous l’accompagnons simplement. Nous ne l’épions pas, contrairement à l’émission documentaire qui nous met dans une position de spectateur-voyeur totalement coupé des images qu’il regarde : la caméra nous invite à rejoindre son personnage tout en s’effaçant elle-même de l’équation. Ce dispositif permet alors d’échapper à un autre piège d’un dispositif documentaire dressant le portrait d’un personnage : le misérabilisme. Puisque, tout en distance, la caméra ne se veut ni clinique ni enjolivée, ce qui permet à Liu Bohao d’aborder des thèmes, notamment en fin de métrage, assez complexes sans pour autant forcer le trait. Il s’agit là d’un documentaire au dispositif intéressant et qui mériterait amplement d’étirer son expérience afin de nous mettre plus radicalement au plus proche de Fang, notamment lorsqu’il se permet, dans sa fin, de tourner quasiment le dos au figuratif afin de toucher à une part de Fang que la caméra ne saurait montrer à l’écran.

 

Alien Human de Pang Wen

Le film se découpe en quelques sortes en 4 petits courts-métrages mis bout à bout et suivant toujours le même protocole : un Alien propose au spectateur de l’emmener dans un autre univers et digresse sur une thématique nommée. Le film détonne par son ton très particulier et son ambiance indescriptible, oscillant entre digressions surréalistes et pas de côté comiques. Cette ambiance mystérieuse se révèle charmante, se trouvant entre l’envolée lyrique très premier degré et la digression philosophique bidonnée. Tout cela est parfaitement retranscrit par l’animation tantôt très stylisée tantôt très rudimentaire d’Alien Human, ce qui en fait un petit ovni aussi étrange qu’attendrissant.

 

Monsters Never Know de Yang Ming

Ce thriller survolté se déroulant dans les steppes mongoles nous montre la violente, mais très drôle, confrontation entre un père et son fils dans une voiture. C’est à partir de ce postulat très simple, tout en tirant parti de son impressionnant décor, que Yang Ming met en scène ce duel père/fils jouissif. Oscillant constamment entre plusieurs extrêmes du cinéma, n’hésitant pas d’un plan à l’autre de passer du thriller aux accents de western sombre et poisseux à la comédie initiatique loufoque, Monsters Never Know apparaît alors comme un mélange jubilatoire totalement assumé et tenu de bout en bout. La réussite du film ne tient pas seulement dans la capacité surprenante du réalisateur à maîtriser les nombreuses et diverses formes qu’il convoque, mais aussi dans la superbe interprétation des acteurs qui se donnent à fond dans leur rôle (ce qui aide à communiquer l’aspect proprement jouissif du métrage). Ce court panorama donne aussi à voir une culture mongole mise en avant par le cinéaste, donnant un certain cachet au film nous inondant d’images et de codes vus et revus (le duel aux accents de western, la relation père-fils conflictuelle avec un soupçon de récit initiatique, le thriller ultraviolent et intraitable…) dans un apparat se révélant tout de suite beaucoup plus dépaysant. Monsters Never Know donne envie de découvrir tant la future carrière du cinéaste que les steppes mongoles qui habitent l’image du film.

 

Daughter and Son de Cheng Yu

Court-métrage clôturant cette édition 2023, Daughter and Son s’attarde sur deux personnages, Sachiko et Ming, qui semblent chaque jour jouer un rôle différent. Formellement très proche d’un cinéma du réel, Cheng Yu s’en éloigne pourtant grandement avec son film protéiforme où ses personnages ne sont que des acteurs proposant performance sur performance. Un jour ils seront père et fille, un jour frère et sœur, un jour colocataires et parfois simplement deux inconnus… Le tout s’avère très hermétique, mais dans le même temps très fascinant : le dispositif ne se dévoile jamais en tant que tel, il laisse exister un soupçon de cohérence du début à la fin sans pourtant ne jamais lever le voile de mystère qui le sépare du spectateur, au point où ce dernier peut ne pas se rendre compte de la supercherie jusqu’au bout. Dans son expérimentation, Daughter and Son propose une nouvelle manière d’appréhender l’interprétation au cinéma aussi bien à l’image pour les acteurs que de l’autre côté de l’écran, pour le spectateur.

 

Cette troisième séance clôture donc cette édition 2023 de Coming of Age. L’événement réussit une fois de plus son pari : faire découvrir de jeunes cinéastes chinois, déjà très talentueux, à un nouveau public. Comme chaque année, la sélection fait la part belle à la diversité et à l’éclectisme : comédie, drame, western, horreur, animation, documentaire, cinéma expérimental… Le cinéma chinois indépendant se voit célébré sous toutes ses coutures avec une sélection faisant honneur aussi bien aux réalisatrices qu’aux réalisateurs et avec des films qui, s’ils sont tous réalisés par des cinéastes chinois, ont été produits dans les quatre coins du monde. Si vous avez raté cette présente édition, l’événement se fait chaque année à Paris et commence aussi à s’exporter dans le reste de la France, comme cette année avec des séances lyonnaises. Vous pouvez aussi profiter des très bonnes programmations de l’association en matière de courts-métrages, comme de longs-métrages, avec le festival du cinéma d’auteur chinois Allers-Retours organisé chaque année.

Thibaut Das Neves

Imprimer


Laissez un commentaire


*