East Asia a pu rencontrer Fukagawa Yoshihiro à l’occasion de son film, Into The White night, diffusé au festival Kinotayo. Par Jérémy Coifman.
Les spectateurs français vous découvrent avec Into The White night, parlez-nous un peu de vous ?
(En français) Je m’appelle Fukagawa Yoshihiro , je viens du Japon, j’habite à Tokyo. Depuis que j’étudie le cinéma, j’éprouve une grande passion pour le cinéma français, surtout Jacque Demy et Patrice Leconte, Cédric Klapish et Eric Rohmer.
Votre film est la troisième adaptation du roman de Higashino Keigo, après la version coréenne et le drama télévisuel. Qu’est-ce qui selon vous, fait la particularité de votre film ?
Le roman date d’il y a une dizaine d’années maintenant. Je sais qu’il y a beaucoup de metteurs en scène qui ont essayé de l’adapter. Mais en fait, je ne connaissais que le film coréen. Je n’ai pas vu le drama. Je me suis dit qu’il y avait beaucoup d’artistes qui essayaient de « cuisiner » ce roman en mettant chacun leurs ingrédients, leurs valeurs. Je voulais apporter ma vision et rendre cette histoire encore plus intéressante. Je voulais que ces autres artistes regardent mon film et se disent qu’ils auraient voulu faire ça ou qu’ils auraient pu faire ça. Je ne connais pas leur opinion, mais j’aimerais beaucoup la connaitre. Et surtout connaitre l’opinion du public européen.
Votre film est très stylisé, c’est visuellement très travaillé. On pense notamment au début du film au cinéma de Bong Jong-Ho, notamment Memories Of Murder. Quelles sont été vos influences cinématographiques ?
Je vais d’abord parler de ceux qui influencent ma carrière en général. Je ne peux pas citer un seul nom de réalisateur spécifiquement, il y en a trop ! J’allais au cinéma, je regardais beaucoup la télé et mes parents me racontaient certains films. Pour Into The White night, j’ai en effet été très influencé par Memories Of Murder. Lorsque j’ai vu ce film pour la première fois, je pensais à beaucoup de choses qui n’étaient pas sur l’écran. C’était autre chose, plus profond. C’est ce que je voulais obtenir avec mon film. Raconter l’histoire avec tout ce qui est invisible à l’œil. Pendant 1h40, le problème est sous-jacent, j’essayais donc de donner des informations aux spectateurs de façon sous-entendue. Je ne dessinais que des points, et c’était aux spectateurs de tracer la ligne. Lorsque j’ai vu Memories of Murder, j’ai également beaucoup pensé à un film de Nomura Yoshita, Le Vase de Sable.
Le film repose sur son impeccable casting et plus particulièrement le trio Horikita Maki, Kôra Kengo et Funakoshi Eiichirô. Comment les avez-vous choisis ?
En ce qui concerne Horikita Maki qui joue le personnage central, elle est actrice, mais aussi Idol. Je voulais qu’elle donne quelque chose qu’elle n’avait jamais donné ailleurs. Je voulais utiliser les préjugés que les gens avaient d’elle. Puis il y a ce sourire. En tant qu’Idol, elle est toujours souriante. J’ai toujours pensé que c’était un sourire artificiel, et qu’il y avait quelque chose de triste derrière. Je voulais utiliser cette façade. En ce qui concerne Kôra Kengo, je l’ai rencontré lors d’un « Workshop » sur le métier d’acteur que j’organisais, il y a de cela cinq ou six ans. Déjà à l’époque, je trouvais son regard très intéressant. Il avait un regard très dur envers les adultes. C’est quelque chose qui m’a marqué. J’avais l’impression que c’était un enfant qui ne supportait pas le mensonge des adultes. Je le voulais donc vraiment pour le film. En ce qui concerne Funakoshi Eiichirô, je voulais quelqu’un de bourru, qui casse avec l’image drama. Une façon de bousculer le public japonais. Il a déjà une grande carrière derrière lui, et je voulais le pousser à jouer autrement.
La structure du film est quelque peu alambiquée, laissant souvent le spectateur un peu perdu. On jongle entre les lieux, les personnages. On traverse plusieurs décennies. Etait-ce votre volonté de provoquer ce sentiment de perdition ?
Je suis content que vous me posiez cette question. Dans le roman, je trouve qu’il manquait une dimension humaine. J’ai voulu faire un film sur l’affection. Je voulais montrer ce que deviennent les enfants qui ont un gros manque d’affection dans leur vie , qui sont en perdition. Par exemple le personne de Sakagaki, le policier, voudrait donner de l’affection à son fils. Mais son fils meurt et du coup il reporte son affection ailleurs. C’est comme ça qu’il viendra à aimer Ryoji malgré tout. Certains verront mon film comme un polar, mais je voudrais qu’ils le voient comme un film sur l’amour.