Devâstra – Réincarnation (Jeu de rôle)

Posté le 25 octobre 2012 par

Après s’être penchée sur l’univers du manga, puis sur le chanbara, la rubrique jeu de rôle d’East Asia s’intéresse à un monde atypique, inspiré de l’Inde antique. Devâstra – Réincarnation, sera-t-il, lui aussi, source d’engouement, comme le furent les précédents jeux de rôle chroniqués ici ? Par Yannik Vanesse.

 

Le lecteur d’East Asia n’étant pas forcément familier du support qu’est le jeu de rôle, rappeler les préceptes de base régissant cette passion peut être une bonne chose. L’introduction de la critique de Manga no Densetsu s’y attardant longuement, votre serviteur invite donc toute personne un peu perdue à s’y pencher, avant de continuer la lecture.

Les jeux de rôle, tout comme les jeux de société, ne sont pas des objets figés. Ils évoluent, sont modifiés, des points de règle sont changés, au rythme du succès, des envies, des inspirations des créateurs du jeu. Ainsi, un univers donné se voit souvent nantis d’extensions le développant, ou s’intéressant à des scénarios que le maître de jeu pourra s’approprier, les adaptant à sa vision du monde. Car chaque maître de jeu s’empare d’un jeu de rôle donné, si bien que chaque campagne devient unique, les seules contraintes étant de s’amuser tout en respectant les règles établies par le conteur (autre nom du maître de jeu) – les règles se révélant être un guide plus qu’une loi, le maître de jeu étant libre en son domaine de supprimer une consigne, modifier l’univers ou toute autre envie qui lui paraîtra justifiée.

Devâstra – Réincarnation n’est ainsi pas un jeu inédit, mais la deuxième édition de Devâstra, sorti en 2009 chez 7ème Cercle. Si les mêmes auteurs, Laurent Devernay et Romain d’Huissier, se sont chargés des textes (les illustrateurs ont changé), le jeu qui nous intéresse est à présent édité par Pulp Fever, boîte d’édition montante qui nous a déjà offert des concepts alléchants comme Luchadores (incarner des catcheurs mexicains luttant contre le crime) et Dés de Sang (inspiré des films d’horreur américains des années 70). Romain d’Huissier, avant de co-écrire Devâstra, a déjà prouvé son amour des ambiances asiatiques, en participant à la conception de Qin, jeu de rôle wu xia pian très intéressant. Laurent Devernay, de son côté, s’est fait connaître en travaillant sur Brain Soda, dont l’ambiance volontairement nanar est des plus attirante.

Et ainsi, les voilà qui nous offrent Devâstra – Réincarnation. Si ce jeu s’inspire clairement de l’Inde antique (que ce soit les us et coutumes, la philosophie ou la religion), leur volonté n’est clairement pas de livrer un jeu historique. En prenant comme autre référence les mangas pour adolescents ( shōnen), meneur et joueurs se retrouvent ainsi plongés dans un univers certes référentiel, mais imaginaire et fantastique.

La première chose qui frappe à la découverte de l’ouvrage, c’est sa beauté. Le texte est clair, aéré, les illustrations sont tout bonnement sublimes (celles en couleur tout particulièrement), et le style rend la lecture diablement plaisante. Si quelques coquilles ou fautes sont perceptibles ici ou là, elles sont très peu nombreuses et ne gâcheront nullement la plongée dans cet univers atypique. De surcroît, Devâstra – Réincarnation, est vendu avec son écran, le cache qui permet au maître de jeu de dissimuler à ses joueurs ses notes et ses jets de dés. Du même format que le livre (et donc plus petit que la norme, l’ouvrage n’étant pas au format standard), en trois volets, il protège un peu moins bien les informations qu’un écran plus classique, mais, là encore, rien de dommageable. De plus, les illustrations visibles du côté des joueurs sont elles aussi magnifiques et mettront tout de suite dans l’ambiance. Et, du côté maître de jeu, les tables et autres pense-bêtes nécessaires à faciliter la vie du maître de cérémonie, sont bien pensés et très utiles.

L’ambiance, c’est celle de Prithivi. Dans ce continent, les Deva (les dieux) ont disparu, se sacrifiant au terme d’une longue bataille, pour emprisonner de terribles démons dans une prison cosmique. Les humains, ayant oublié cela, vivent dans une certaine insouciance, essayant d’exister en accord avec le Dharma (le destin, l’équilibre de l’univers), tout en luttant contre les démons qui n’ont pas été emprisonnés ou qui se sont échappés. Cet univers est composé, si on excepte quelques cités-états plus ou moins libres, de trois contrées, chacune dirigée par une des castes dominantes. Car le Dharma a séparé les hommes en quatre classes. La plus basse regroupe les Sudra, les intouchables. Ce sont des mendiants, des criminels, et autres personnes du même acabit, et ils sont copieusement méprisés. La caste des marchands s’appelle les Vaisya, les prêtres sont appelés les Brahmanes, et les nobles soldats sont les Ksatriya. En lisant la description des grandes nations, une impression de caricature apparaît. Car, s’il existe partout des représentants de toutes les castes, chaque grande puissance est gouvernée par l’une d’elles. Akodya est ainsi une nation belliqueuse voulant gouverner tout Prithivi, et son prince est un Ksatriya aussi beau que combattant phénoménal. Panditya vit quelque peu recluse, nation de Brahmanes tournée vers la spiritualité jusqu’à un point frisant le fanatisme. Sa princesse est d’une beauté sans pareille, mais possède aussi un esprit retors. Pushkala est un pays qui se concentre sur le commerce et résiste à Akodya grâce à des mercenaires, la diplomatie et les assassinats. Son dirigeant est un Vaisya plutôt bedonnant, mais qui possède de nombreuses qualités. Cette caricature de façade se comprend du fait des inspirations  shōnen des auteurs. En effet, les descriptions des nations de mangas type One Piece ou Dragon Ball sont on ne peut plus simplistes, basant leur intérêt ailleurs. Devâstra, cependant, cache bien son jeu, puisque des complots politiques, des sociétés secrètes et quelques créatures mythologiques agissent en coulisse, compliquant un tant soit peu le paysage politique et économique.

Mais les joueurs dans tout ça ? Que vont-ils donc incarner ? Ils vont créer des adolescents. Mais pas n’importe quels adolescents. Ils vont être des jeunes gens qui possèdent en eux, sans le savoir, un fragment de l’âme d’un Deva. Le jour où celui-ci s’éveille, ils vont ressentir un appel et se rendre à l’antique champ de bataille où les Deva ont disparu. Là, ils vont découvrir l’arme ayant appartenu au dieu qui sommeille en eux appelé Devâstra, et contenant l’autre partie de son âme. Et, en vivant de nombreuses péripéties, ils vont lentement ouvrir leurs chakras, s’approchant de plus en plus de leur véritable nature divine. Et les aventures qu’ils vont vivre peuvent être de bien des natures, car la puissance qu’ils possèdent font d’eux des éléments courtisés, respectés, mais aussi craints. En effet, si un Avatar (c’est ainsi que sont appelés les futurs dieux) intervient dans un conflit, il peut aisément faire pencher la balance de son côté. Le jeu s’intéresse donc d’une part à des complots politiques, mais aussi à des combats épiques, car les démons que peuvent rencontrer nos héros sont diablement dangereux ! Pour mettre en scène ces combats dantesques, le système de jeu est aussi simple qu’intuitif, et, grâce à l’ajout de compétences et de jauges, permet aux joueurs de vraiment faire montre d’une puissance impressionnante. De plus, la création du Deva dont le personnage est l’Avatar, de même que son arme, étant des plus ouverte, les personnages pourront avoir de très nombreux pouvoirs. Cependant, entre les capacités des démons, et celles de ses joueurs, le maître de jeu aura intérêt à bien préparer ses combats en amont, s’il veut qu’ils soient vraiment épiques et sans temps morts.

Les règles apparaissent dans l’avant-dernier chapitre du livre (juste avant le scénario fourni). Elles auraient mérité d’être explicitées plus rapidement, car la création de personnage, de même que les ajouts de points de règle ou de points spécifiques à la création, insérés dans la description de l’univers, sont par conséquent plutôt flous au moment où le lecteur les découvre de prime abord. Ce n’est cependant pas vraiment gênant, puisque les règles sont assez simples. Ainsi, dès leur lecture achevée, il sera facile de survoler à nouveau certains passages pour les comprendre pleinement.

Devâstra a de surcroît la bonne idée de fournir un scénario. Ce dernier n’est cependant pas un scénario d’initiation (pour cela, il faudra plutôt se tourner vers Upakrama, mini campagne venant de la première édition mais remise au goût du jour, offerte via internet), comme l’expliquent les auteurs, car il demande une certaine expérience du jeu. Il est cependant passionnant ! Décrivant entièrement une cité-état, il offre ainsi un cadre de jeu très intéressant, que le maître de jeu pourra animer pendant de nombreux scénarios. De plus, l’histoire mêle à la perfection enquêtes, découvertes de secrets et combats épiques en diables avec plusieurs monstres très originaux, et devrait grandement plaire à des joueurs, même exigeants. Il demande cependant de la préparation pour vraiment pouvoir en maîtriser tous les aspects.

Mais auparavant, il serait de bon ton de faire jouer la campagne Upakrama. Car Pulp Fever n’étant pas à une générosité prêt, il offre, via le net, une véritable campagne. Pas un petit scénario de quelques pages, mais une longue épopée de trente-neuf pages permettant de vivre le background. En effet, Upakrama débute alors que les joueurs ressentent l’appel de leur Devâstra, dans le petit village où ils résident. Là encore, les joueurs alterneront enquête – assez simple – , plongée dans les coulisses de Prithivî (puisqu’ils vont être confrontés à certaines des factions agissant en coulisse) et combats sauvages. Upakrama est une excellente campagne, bien écrite, bien équilibrée, s’adaptant facilement aux différents types de personnages. Il s’agit d’une excellente entrée en matière de l’univers, et se prêtera parfaitement à la découverte de ce jeu de rôle.

Yannik Vanesse.

 Au final, Devâstra – Réincarnation est un très beau et un très bon livre, qui offre un cadre de jeu original pour des personnages originaux. Que la gamme bénéficie de suppléments ou pas, il sera aisé de faire vivre longuement Prithivi, et de le développer selon les envies et imaginaires de chacun. De même, le fait que les personnages aient un véritable impact sur le monde dans lequel ils vivent ne pourra que les griser. Devâstra – Réincarnation est donc un jeu qui mérite grandement le détour.

Devâstra – Réincarnation est un jeu de Laurent Devernay et Romain d’Huissier, édité chez Pulp Fever.

Imprimer


Laissez un commentaire


*