Insert Coin – Test : Sleeping Dogs (jeu-vidéo)

Posté le 2 octobre 2012 par

Hong Kong, zone de notre sphère éditoriale peu exploitée vidéoludiquement parlant, est enfin le théâtre d’un jeu vidéo qui failli ne point exister. Aurait-il mieux valu ? Réponse dans ces lignes. Par Tony F.

Lorsque l’on veut se démarquer dans le domaine du GTA-like, il faut affirmer sa différence. Sa différence par rapport à quoi ? Eh bien, à GTA. Ce maître étalon établi par Rockstar Games depuis maintenant un peu plus d’une décennie. Chacun veut donc sa petite part du gâteau. Mais pas n’importe comment. Les uns choisissent une taille démesurée (Just Cause), d’autres une époque bien précise (Mafia), pendant que les plus insidieux suivent une veine, telle une drogue bas de gamme, avant que R* n’ait l’occasion de la remplir. Sleeping Dogs, vous le savez certainement pour peu que vous suiviez l’actu, était à l’origine le troisième volet de la saga True Crime. Destin tragique, abandon par Activision, puis sauvé des eaux par Square Enix, le voici revenu flambant neuf sur le devant de la scène, assumant plus que jamais sa singularité qui nous faisait déjà rêver dans les bras d’Acti : sa ville.

City on Fire

C’est dans une géographie des plus approximatives (et le terme est faible) que United Front Games nous plonge. Jugez plutôt :

Quatre quartiers, dont les différences ne sauteront pas fondamentalement aux yeux au premier abord (sauf pour Central, zone faite de hauts bâtiments et de riches habitants), ni au second d’ailleurs. Tous séparés par de longues portions d’autoroute plaisantes à parcourir les premières heures, mais qui deviendront vite une épine dans le pied, dès lors que l’on doit systématiquement traverser la carte en passant par le même sempiternel circuit, dans un sens ou dans l’autre, pour effectuer quelques menues tâches, annexes ou principales (car oui, les premières heures, comme toujours, les tâches sont équivalentes à celles d’un larbin. Parfois même dans les dernières ici, mais nous y reviendrons plus bas.) En sus de cela, la « ville la plus peuplée au monde » semble être ici victime d’un virulent exode tant les rues, avenues et trottoirs se font vides. Certes, ce n’est pas le désert, et on ne peine à trouver ni voitures ni passants, mais jamais on ne ressentira cette impression de vie frénétique, fourmillante, caractéristique de Hong Kong. Limitation technique, limitation de temps, choix de développement ? C’est en tout cas décevant… Mais nul n’est besoin de noircir le tableau plus qu’il ne le mérite, d’autant que celui-ci reste bien lumineux, à proprement parler.

Grâce aux efforts sur la gestion des lumières, les promenades pluvieuses dans le HK nocturne sont un réel plaisir.

En effet, les lumières abondent en tous sens, les néons nous illuminent la ville d’un éclairage somptueux, et la pluie qui s’y dépose régulièrement est simplement à tomber. La modélisation est propre et les intérieurs, bien que sommaires, ne manquent pas de diversité (boutiques différentes, nightclubs, dojo…) l’ambiance est là pour nous faire au maximum ressentir le dépaysement, et le marché couvert est une véritable perle, exemple de vie et de mouvement dans lequel on aimera flâner et contempler, à l’exact opposé du vide global de toutes ces rues très similaires les unes aux autres. De même pour les ruelles et divers accès aux toits : magnifiquement modélisés, plaisants à emprunter, on déchantera un peu lorsque l’on s’apercevra de leur nombre réduit et leur linéarité, rendant du même coup le free running très scripté. C’est finalement là le gros point noir de Sleeping Dogs : chaque élément qui nous apparaît comme bon, plaisant ou nouveau trouve très vite son négatif, sa limite, ou sa vacuité. Ce qui vaut donc pour la ville et sa structure… vaudra également pour le gameplay et le scénario.

Le marché couvert, de loin l’endroit le plus vivant de la ville.

HardSpoiled

Sur le papier, sur les trailers, même dans les promesses faîtes, le gameplay avait tout d’alléchant. Free running dans les coins sombres de la city, combats dynamiques, violents, gunfights nerveux, possibilité de sauter d’un véhicule à l’autre, karaoké, courses poursuites… Bref, tout ce qui fait le fun d’un bon GTA-like, avec quelques features bien à lui qui n’appartiennent qu’au cinéma hongkongais. Manette en main… c’est une autre affaire.

Déjà, parce que comme dit plus haut, le free running se révèle limité à quelques parcours bien balisés et définis, dont chacun ou presque servira au cours d’une mission, et sur lesquels vous êtes assurés de repasser un certain nombre de fois, non sans lassitude. L’activité reste néanmoins plaisante, dynamique et intuitive. Les gunfights eux, manquent cruellement de challenge. Désireux d’orienter le jeu sur les affrontements à mains nues, les développeurs semblent avoir totalement négligé le second type d’action, d’une part en faisant du personnage un tank qui ne mourra que si vous le souhaitez, ensuite en simplifiant à l’extrême les courses poursuites. Comment ? En vous donnant systématiquement une mitrailleuse (ou autre arme lourde) que vous perdrez directement une fois la mission finie, et en vous indiquant bien que viser les pneus = élimination directe du poursuivant/poursuivi. Amusant au début, voir vos ennemis voler ça et là à la pelle deviendra vite redondant et, disons-le, assez affligeant de facilité.

Le genre de choses qui ne nécessitera aucun effort et qui ne procurera aucun plaisir.

Ne nous attardons pas sur le karaoké : les développeurs eux-mêmes ne l’ont pas fait. Sachez simplement que cet aspect ô combien prisé des habitants locaux est présent, et que si vraiment vous tenez à ce mini-jeu, préférez ceux de la saga Yakuza, plus délirants, plus approfondis, et plus évolués. Reste donc les combats, de loin le point d’orgue du  jeu : ils seront très nombreux et simples à assimiler : une touche pour frapper, une pour contrer (avec un timing clairement indiqué et impossible à désactiver), une pour chopper. Des techniques qui vont se développer au fil du jeu (et des quêtes annexes), du sang qui fuse de toute part, jusqu’à recouvrir notre cher Wei Shen (ici surgit une bonne idée : il faut rentrer à sa planque se nettoyer dans la salle de bain pour voir le sang disparaître de notre personnage), de réelles interactions avec l’environnement… Bref, vous l’aurez compris, ce système de combat réellement jouissif est peut être le seul point du jeu qui ne souffre d’aucun bémol. À mi-chemin entre les Batman de Rocksteady et Assassin’s Creed, Sleeping Dogs profite d’un système moins approfondi que la chauve-souris, mais plus étudié que celui d’Ezio et ses ancêtres. De quoi jouter en toute liberté, d’autant que l’intrigue, encore une fois, laisse la part belle aux affrontements de tout bords.

A défaut d’innover, S.D. s’inspire des meilleurs.

A Bullet in the foot

Tel notre héros, le joueur est jeté dans l’histoire de plain-pied. Rendez-vous nocturne sur les quais, arrivée de la police qui vient faire foirer le deal, course poursuite à travers tout un tas de docks plus ou moins peuplés, le tout sous la pluie, suivi d’un combat nerveux… l’entrée en matière est musclée, laissant espérer le meilleur, et faisant tout pour accrocher le joueur en mal de sensations. On se familiarise vite tandis que le générique d’intro nous apprend que Square Enix est allé, pour les doubleurs (à grande majorité en anglais) chercher la crème des asiatiques de série B à Z hollywoodiennes (voire de séries télé), de Robin Shou à Ian Anthony Dale, en passant par Kim Yun-Jin pour finir sur Lucy Liu. Enfin, on ironisera gentiment sur la participation d’Emma Stone, annoncée en grande pompe durant la campagne marketing, que l’on oublie évidemment pas de mentionner dans le générique, mais qui n’est jamais qu’ici la voix d’un rôle des plus mineurs.

Sleeping Dogs : une narration soignée, des références presque subtiles…

L’histoire reprend les grandes ficelles du cinéma made in HK : Wei Shen rentre au pays après des années d’absence et travaille pour la police locale en tant qu’agent infiltré dans les triades. Partant de ce pitch ô combien connu de tous, la narration connaîtra boires et déboires, récitant sa leçon comme un parfait petit élève, usant de poncifs plus ou moins lourds, et n’atteignant jamais le niveau des films qu’elle cite. Pour autant, le tout se laisse gentiment suivre, sans nous ennuyer, et la scénarisation des éléments même les plus annexes reste tout à fait plaisante. On notera par exemple les missions «sorties en couple » avec diverses conquêtes. Très scriptées (une mission et puis s’en va, aucun moyen de développer la relation outre mesure), celles-ci apportent des pauses dans le scénario et viennent étoffer un peu notre héros et son caractère. De même pour les diverses quêtes de dojo, pour les évènements aléatoires (sortir quelqu’un du coffre d’une voiture, rattraper un voleur de sac…), et j’en passe. Malheureusement, et une énième fois, tous ces points sont contrebalancés par un tas de petits couacs venant nuire à l’immersion.

Le jeu ne nous laisse aucune latitude vis-à-vis de nos rencontres… c’est bien dommage.

Le script imposé, par exemple, à beau être mieux écrit que la majorité des GTA-like, celui-ci ne laisse aucune latitude quant à la limite flic/voyou, rendant de ce fait la barre de moralité qui accompagne tous nos actes assez impressionnante d’inutilité, inhibant d’ailleurs au bout de quelques heures toute idée de la part du joueur quant au fait de prendre des libertés. Enfin, si l’on n’attend évidemment pas de Sleeping Dogs qu’il fasse ce qu’aucun autre GTA-like ne fait, une certaine cohérence eût été appréciable dans le déroulement de ces missions, qui en l’état donnent parfois l’impression au joueur d’être un gentil coursier du début à la fin, simplement un peu mieux habillé entre les deux. Enfin, on déplorera cette éternel « censure à deux vitesses » vidéoludique, qui autorise tortures, hectolitres de sang et combats de coqs, mais qui ne risque même pas le début du quart d’une explicitation sexuelle. À se demander si le jeu vidéo souhaite réellement devenir adulte…

Vous avez dit mature ? Attendez de voir les salons de massage…

Plaisant sans être parfait, bien écrit sans être original, Sleeping Dogs se laisse suivre mais son scénario (noir et inspiré à souhait) se déguste vite et bien : non pas que le jeu souffre d’une durée de vie trop courte, mais ses mécaniques redondantes et ses missions répétitives risqueraient de lasser les moins patients… et d’ennuyer les plus exigeants. Ne boudons tout de même pas notre plaisir, ce True Crime officieux revient de très loin, et c’est un beau sauvetage que Square Enix opère ici, livrant une alternative très fun aux GTA-like du moment. Peut-être pas à la hauteur de nos attentes les plus folles, mais tout à fait satisfaisant pour l’ambition fixée. En espérant mieux pour une éventuelle suite ?

Tony F.

Verdict : 

Sleeping Dogs, par United Front Games, disponible sur PC, PS3 et Xbox360, édité par Square Enix , depuis le 17/08/2012

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Un commentaire pour “Insert Coin – Test : Sleeping Dogs (jeu-vidéo)”

  1. […]  Retrouvez l’article sur Eastasia […]

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