Carnet de Deauville, jour 3 : The Sorcerer and the White Snake, Mourning,The Sword Identity

Posté le 9 mars 2012 par

Trois films pour le troisième jour : un Jet Li enchanté, une ballade muette en Iran et une bouse martiale.

Un conte de fée

The Sorcerer And The White Snake de Tony Ching Siu-Tung

Jet Li nous revient enfin dans un wu xia pian plein de merveilleux, The Sorcerer And The White Snake. Que vaut donc ce métrage réalisé par Tony Ching Siu-Tung, scénariste et chorégraphe d’arts martiaux ?

The Sorcerer And The White Snake est un véritable conte de fée. En effet, cette histoire de démons vivant parmi les hommes et de cette femme-serpent magnifique tombant amoureuse d’un modeste homme retrouve de nombreux échos dans l’imaginaire mondial – européen entre autres. Car combien de légendes parlent d’un homme croisant la route d’une femme à la beauté phénoménale ? Combien d’histoires racontent leur amour, leur mariage, mais avec des conditions, comme de ne pas aller dans une pièce bien spécifique de la demeure du couple ? Fort logiquement, dans ces légendes, la porte est toujours ouverte à un moment, la curiosité du mari étant trop forte. Ce geste symbolique révèle toujours la véritable nature de la femme qu’il aime. Cet amour impossible se termine toujours tragiquement.

Ce film ne déroge pas à la règle. L’élément perturbateur est amené par Jet Li, qui incarne un moine d’une grande puissance, chassant les démons, tel un Ghostbuster avant l’heure. Il parcourt les environs et s’attaque aux créatures non-humaines qu’il rencontre, sûr de son bon droit. Car ce conte de fée, comme tout conte qui se respecte, possède une morale. Celle-ci, ce message, est la nécessité de se remettre en cause, de faire preuve d’humilité, de se rendre compte qu’on ne possède jamais la sagesse ultime. Le moine est sûr de ses connaissances, persuadé qu’il ne peut faire aucune erreur de jugement. Pour lui, les démons ne peuvent vivre parmi les hommes et méritent d’être chassés, peu importe qu’ils soient de cruels vampires ou simplement une femme amoureuse ne voulant faire de mal à personne. La femme-serpent est certaine que son amour pour le jeune médecin lui donne le droit de rester sur Terre et de s’opposer à Jet Li, peu importe les dommages collatéraux, très nombreux ici.

Certes, tout cela n’est pas toujours subtil, mais ne dérange pas quiconque est prêt à apprécier ce genre d’histoire. Les effets spéciaux sont hélas souvent ratés. Les effets digitaux sont dans l’ensemble mal incrustés et, bien que les créatures soient plutôt belles, cela dérange un peu. De même, les maquillages coincent un peu. Le disciple de Jet Li devient ainsi un vampire, et, si cette transformation est utile pour amener cette morale un peu niaise qui dit qu’il ne faut pas juger les gens sur leur apparence mais sur leurs actes, le design de son maquillage est ridicule au plus haut point. Ce fait amène l’autre problème du film, son humour. Ce côté ridicule est aussi subtil qu’une charge d’éléphant dans un magasin de porcelaine et est particulièrement dispensable hélas. Cela ne fait qu’embarrasser le spectateur. À côté de cela, les combats sont dynamiques et aussi nombreux qu’excellents, et Jet Li y est impérial. Néanmoins, les combats ne sont pas des luttes aux câbles, comme dans certains wu xia pian tel Hero, mais seraient plutôt comparables à Zu. Dotés de pouvoirs magiques, les personnages volent, détruisent des montagnes, envoient des serpents magiques et bien d’autres choses pour se défaire de leurs adversaires. L’histoire d’amour est évidemment gentiment niaise, mais rafraîchissante, et l’actrice est d’une immense beauté.

Certes, ce n’est pas du grand cinéma, mais un excellent wu xia pian empli de merveilleux et de spiritualité, s’éloignant de tout réalisme pour nous dépeindre un monde d’héroïc fantasy.

Yannik Vanesse.

Verdict :

 

Pour un avis moins enthousiaste, lire la critique de Maitre Shifu ici.

L’enfant et les signes

Mourning de Morteza Farshbaf par Victor Lopez.

C’est dans l’obscurité que commence Mourning. Une pénombre déstabilisante s’installe durablement à l’écran alors que des éclats de voix permettent au spectateur de reconstituer un semblant de situation. Un couple se dispute, la femme veut quitter précipitamment l’endroit où elle est et retourner anuit à Téhéran. Son mari, contrarié, finit par la suivre. Lorsque les phares de leur voiture, prête à s’éloigner, éclairent enfin la scène, on distingue un enfant couché, les yeux grands ouverts, écoutant ses parents qui se déchirent. La perte de l’innocence de ce regard, voilà le thème de ce très beau Mourning. Dans cette première scène, il ne voit pas mais entend. Dans la suite du film, ce sera l’inverse, il verra mais ne pourra pas entendre. Son oncle et tante, tout deux sourds et parlant en langage des signes, le ramènent à Téhéran, sans savoir comment lui annoncer le décès de ses parents lors du retour nocturne qui leur fut fatal.

Entre les bribes de paroles de la première scène et les images du langage des signes du reste du film, le spectateur se retrouve dans l’inconfortable situation de l’enfant, recollant sons et images pour deviner le sens de tout cela. L’intégralité du métrage prendra place dans la voiture, formant un très kiarostamien road movie / huis clos entre quatre roues. Comme dans les films du maître, des plans larges montrant un paysage grandiose de routes désertes laissent circuler en plan-séquence la voiture des protagonistes d’un bout à l’autre de l’écran. Mais ici, pas de voix-off : des sous-titres viennent traduire le sens de la discussion des deux malentendants qui conduisent leur neveu dans la capitale.

Le procédé n’est pas seulement d’une grande intelligence, puisqu’il permet surtout de déchiffrer avec le regard de l’enfant, auquel les adultes pensent encore cacher le drame, les enjeux dont il se trouve au centre. Comment lui annoncer la nouvelle ? Qui va s’occuper de lui ? Le mari veut l’adopter, la femme est contre, jugeant l’acte égoïste. La dispute est en soi déjà passionnante, mais c’est surtout la focalisation sur l’enfant qui finit par réellement émouvoir. Les cadres soulignent toujours de manière subtile la persistance de ce regard déchiffreur, en retrait mais présent.

Verdict :

Mourning, intelligent et touchant, vient confirmer, après l’excellent Death is my profession, la vitalité du jeune cinéma iranien.

Victor Lopez.

Gandalf vs Simplet

The Sword Identity de Xu Haofeng par Jérémy Coifman.

On continue d’explorer la sélection Action Asia de ce festival de Deauville 2012 avec The Sword Identity de Xu Haofeng. Alors bonne pioche ?

Xu Haofeng est pour l’instant connu pour son livre Departed Warriors sorti en 2006, sur les arts martiaux, le taoïsme et le bouddhisme. Pourtant, il est sorti diplômer en réalisation de  l’académie de Pékin en 1997. Pour son premier film, l’homme a pris son temps. En 2011, il sort enfin The Sword Identity, en lequel certains espoirs étaient placés au vu des connaissances et du background du cinéaste. On suit le combat d’un homme pour imposer son art martial, sa façon de voir les choses face à des familles du sud de la Chine, pleines de traditions. On le prend pour un pirate japonais à cause de son épée ressemblant à un katana.

Le film commence solennellement. Un vieil homme part s’exiler dans les montagnes. Deux hommes inquiétants rôdent, tuant des soldats sur leur passage. La photographie est belle, les images léchées, le rythme lancinant et la musique tout en subtilité (on n’a pas l’habitude pour ce genre de production), cela donne beaucoup d’espoir pour la suite et on se dit que, peut-être, on va assister à un divertissement lyrique et épique dans la Chine médiévale.

Néanmoins, le film douche nos espoirs très rapidement. Le rythme est d’une lenteur effroyable. Quand le début faisait croire à une ballade violente, c’est un Wu Xia pompeux et poseur auquel nous assistons. Les promesses sont vite oubliées, place à la déception. The Sword Identity est ennuyeux, n’ayons pas peur des mots. Les joutes verbales remplacent les combats magnifiquement chorégraphiés qu’on attendait. Rien de gênant en soi quand l’écriture est au rendez-vous mais les dialogues sont affligeants de platitude. On cherche évidemment la poésie, la philosophie, mais on ne trouve que des situations navrantes. Tout cela baigne dans un premier degré assez drôle quand on y pense. Les acteurs sont poseurs, très sérieux, tellement qu’ils provoquent à chaque phrase l’hilarité de la salle. C’est le deuxième effet Kiss Cool : le film devient une parodie désopilante.

Dans la deuxième moitié du long métrage, les touches d’humour se font de plus en plus insistantes. Xu Haofeng tente de débrider les situations en introduisant des personnages incroyablement ridicules : le garde et son armure en carton ou les trois danseuses par exemple. Pourtant, The Sword Identity était déjà drôle, pas besoin d’en rajouter. Le film est donc devenu malgré lui une parodie du genre. On a l’impression d’assister à une production ZAZ, tant les situations deviennent franchement risibles. Finalement, cette évolution est presque salutaire tant l’ennui est fort. On se reconcentre en attendant le prochain gag et l’escalade ne déçoit pas.

L’apogée se trouve dans le combat final, climax censé impressionner et qui est ici un chef-d’œuvre de n’importe quoi. La scène est une farce, si bien que la salle deauvillaise était totalement hilare. Très bon moment. Les deux personnages principaux face à face, le dangereux guerrier mystérieux et le vieil homme, sorte de Gandalf chinois. On assiste à une scène qu’on croirait chorégraphiée par une habitante de cette chère ville de Deauville ! C’est lent, anti-spectaculaire, faisant penser à un battle de danse (oui, comme dans les nanars US pour adolescents qui fleurissent en ce moment). Simplet fait du Krump et Gandalf du break ! On peut croire que chez East Asia on aime se moquer et qu’on exagère toujours un petit peu, mais cette scène est d’ores et déjà rentrée au panthéon du nawak et rien que pour cela on peut remercier Xu Haofeng. Le cinéaste est consultant en art martiaux sur The Grandmasters de Wong Kar-wai et est même crédité comme l’un des trois scénaristes du film. Je ne dirais qu’une chose : vivement.

Verdict:

Jérémy Coifman.

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