Après L’Histoire du chameau qui pleure et Le Chien jaune de Mongolie, Byambasuren Davaa nous donne des nouvelles de son pays, en suivant la chanteuse Urna Chahar-Tugshi dans un voyage en forme de quête autant musicale que personnelle. Par Victor Lopez.
Il serait facile de moquer l’obstination avec laquelle Byambasuren Davaa tient à énumérer à travers ses titres tous le bestiaire de la culture mongole. Après le chameau qui pleure et le chien jaune qui se réincarne, voici donc Les deux chevaux de Gengis Khan. L’animal est pourtant cette fois loin d’être au centre du film, même si son évocation permet une belle et impressionnante entrée en matière, présentant des dizaines de chevaux sauvage galopant à vive allure dans la steppe et faisant trembler la terre en s’approchant de la caméra. Non, les chevaux du titre renvoient à une chanson traditionnelle dont les paroles ont été perdues, et que la chanteuse Urna Chahar-Tugshi s’est promise de recomposer. Elle parcourt alors le pays du sud au nord, interrogeant les nomades qu’elle croise afin de compléter les vers manquant. Il s’agit là de la dernière volonté de sa grand mère décédée : jouer avec le Morin Khuur qu’elle lui a laissée ce morceau. La musicienne a donc le double objectif de reconstituer la chanson, mais aussi le violon traditionnel lui permettant de la jouer, lui aussi brisé.
Si les chevaux sont donc bien présent comme symbole et leitmotiv durant tout le film (on les voit courir dans la steppe, objet de la chanson disparue, ornant l’instrument qu’il faut réparer, etc), c’est surtout le « deux » qui est important dans le titre. Le violon brisé est en effet le symbole d’un pays divisé entre Mongolie Intérieure (région autonome de Chine) et Mongolie Extérieure. C’est surtout de cela que parle le film : de la manière dont les deux parties d’un même ensemble, séparées par l’histoire, peuvent réapprendre à communiquer. En suivant Urna partant à la rencontre des gens et de sa culture, le film se fait alors le témoignage de cette rupture (on assiste ainsi à une discussion animée entre un chauffeur de bus, qui ignore tout de la Mongolie Intérieure et Urna, essayant de lui expliquer la situation) tout en proposant de colmater les brèches en étant à l’écoute des traditions, de la musique, et des arts perdus qu’il faut retrouver.
Le mise en scène est de parti pris : Davaa insiste au début du film, qui se déroule en ville, sur la rupture, suggérant celle intérieure d’Urna en la filmant à plusieurs reprises duelle, se reflétant dans un miroir, comme une manifestation du schisme culturel qui l’habite. A mesure que le film avance, que la chanteuse parcourt les terres sauvages de Mongolie, elle occupe l’espace en plan large, seule face à la nature ou partageant l’image avec ses interlocuteurs. La quête personnelle rejoint alors celle d’un pays, et on ne peut qu’être touché par la croyance de la réalisatrice dans le pouvoir des images qui enregistrent un mode de vie qui disparait. Voilà en effet un beau programme que de croire en la sauvegarde de la mémoire culturelle pour panser une situation complexe. On retient alors du film le sourire charmant d’Urna, sa force, son optimisme et sa conviction… Et ce même si les nouvelles données après le génériques viennent entacher, comme un brusque retour à une cruelle réalité et à une violente actualité, la bonne humeur qui se dégage de cette œuvre gracieuse à la tranquillité souvent envoutante et apaisante.
Victor Lopez.
Verdict :
Les deux chevaux de Gengis Khan de Byambasuren Davaa, sorti en salle le 13/07/2011, au festival de Vesoul 2013.