FICA 2015 – Don’t Think I’ve Forgotten : Cambodia’s Lost Rock and Roll de John Pirozzi

Posté le 13 février 2015 par

Enfilez vos chaussures en suédine bleue car le Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul présente Don’t Think I’ve Forgotten: Cambodia’s Lost Rock and Roll, un documentaire qui part sur les traces du rock khmer de la fin des années 50 aux années 70.

John Pirozzi est un sacré personnage. Un œil jeté à sa filmographie nous apprend qu’il a été réalisateur de clips pour des artistes de renom comme U2 ou Léonard Cohen mais également qu’il a une carrière déjà bien fournie de directeur de la photo, souvent en seconde équipe sur des œuvres aussi éparses que Boys Don’t Cry, Alpha Dog ou la série Person of Interest. Mais la surprise vient surtout du fait que le bonhomme voue une passion peu commune pour la musique khmère, dans laquelle il replonge après un premier documentaire, Sleepwalking through the Mekong, qui lui était déjà consacré.

C’est un sacré voyage qui est entrepris par le réalisateur. Afin de s’adresser au public le plus large possible et ne pas perdre son spectateur, le cinéaste recontextualise avec soin les événements politiques allant de la fin du protectorat français au Cambodge (1953) jusqu’à la chute des Khmers Rouges à la fin des années 70. C’est sur cette toile de fond que nous sont présentés plusieurs artistes de la musique khmère, reflétant chacun des périodes aux contrastes bien différents.

Le règne de Norodom Sihanouk des années 50 à 1970 reflète une ère de confort pour le pays, où les arts sont encouragés. Le Cambodge semble connaître un fleurissement économique de courte durée, d’autant plus qu’il se montre à cette époque neutre dans la Guerre Froide. Les chansons de variétés s’inspirent alors de la musique traditionnelle mais absorbent aussi les influences étrangères apportées par les premiers vinyles vendus là-bas. Importés de France, de Cuba ou d’Amérique du Sud, c’est le chachacha ainsi que d’autres styles de musiques afro-caribéenne et d’Amérique latine qui seront les modèles d’une nouvelle génération et permettront au public de trouver sa première idole : Sinn Sisamouth.

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Bien vite, le rock fait également son entrée dans le pays via le Elvis anglais et son groupe, Cliff Richard and the Shadows. Gaies ou tristes, les chansons khmères restent encore sages, loin de toute la charge sexuelle du King et autres Chuck Berry. Les groupes locaux fleurissent, ils s’appellent Barsei Cham Krung ou encore Bayon Band. Au milieu de ce Swinging Phnom Penh, le pays se trouve également quelques divas comme Huoy Meas et Mao Sareth. Charmant, coloré, il y a dans cette période quelque chose que l’on retrouve également à Hong Kong et dont Wong Kar Wai gardera une certaine nostalgie jusqu’à aujourd’hui, plaçant où il le peut du Xavier Cugat et d’autres standards comme Rebecca Pan.

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Le contexte s’intensifie et la musique aussi. L’arrivée des Américains au Vietnam permet aux Cambodgiens d’écouter leurs premiers disques de Santana. Si le rock est déjà contestataire en Occident, il semblerait que son homologue cambodgien soit encore assez sage. En mars 1970, Sihanouk est renversé et la République khmère prend le pouvoir. C’est à ce moment que des groupes influencés par un son plus lourd comme les Rolling Stones apparaissent : Drakkar et Yol Aularong en sont deux exemples. La tension s’accroît, les attentats se succèdent et la tragédie arrive. En 1975 les Khmers Rouges prennent le pouvoir, les artistes sont tués, certains sont obligés d’abandonner leur look et leurs mèches car les hommes aux cheveux longs étaient tués, les disques sont brûlés… Cette dernière période, évoquée à la fin du film, rapproche le documentaire du travail de Rithy Pahn, en moins épuré. Inévitablement, la musique en vient à être confrontée à la politique et le film pointe la manière dont cet art merveilleux s’est retrouvé face à l’horreur. Cependant ce dernier acte révèle certaines faiblesses et on aurait aimé en savoir un peu plus sur la manière dont la musique a pu ou non jouer son rôle à cette période.

Don’t Think I’ve Forgotten est un document précieux. Car, à l’instar de Rithy Panh, il s’agit bien ici d’un devoir de mémoire. Si une grande partie de la culture cambodgienne a été détruite par le régime khmer, Pirozzi part à la recherche de cette culture disparue que l’on tente de reconstituer, pièce par pièce. Bien sûr, le traitement est plus ludique que celui de Panh. Il ne s’agit pas ici de recueillir des témoignages des atrocités commises, le réalisateur peut donc se permettre l’usage d’un montage assez rythmé, entrelaçant interviews des protagonistes de l’époque (dont certains musiciens comme Samley Hong, Mol Kamach ou bien Ouk Sam Art), des images d’archives et de la mise en scène illustrative. Pirozzi livre ici une somme d’informations qui ne peut qu’attrister le public lorsqu’il constate qu’une grande partie de cet héritage est aujourd’hui disparu. Il ne reste plus qu’à espérer que le travail de reconstitution d’un patrimoine puisse se faire, mais cela tiendra surtout de la chance.

Anel Dragic

Don’t Think I’ve Forgotten: Cambodia’s Lost Rock and Roll de John Pirozzi.

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