De la relativité du cinéma coréen

Posté le 8 août 2011 par

Il est fascinant de constater que tout et son contraire ait été dit à propos de l’état cinéma coréen lors de la réception française de I Saw the Devil et de The Murderer. Un peu comme si le souffle contradictoire qui anime les deux films, avec une vitalité affolante d’un côté, doublé d’un pessimisme mortifère de l’autre, était le symptôme qui anime tout le cinéma coréen. Ainsi, on hésite à parler de dynamisme, de vivier inépuisable et d’une qualité qui ne dément pas depuis dix ans ou au contraire de déclin, de fin de règne, et de crise cinématographique.

S’il semble difficile de se faire une opinion tranchée sur la question tant les indicateurs français de l’état du cinéma coréen sont difficiles à déchiffrer, il semble pourtant, à y regarder de plus près, que les deux discours sont aussi faillibles que relatifs. D’un côté, l’assouplissement des screen quotas (politique qui impose une quotas de films coréens dans les salles par rapport aux productions étrangères) semble avoir mis fin à un âge d’or et nombre de cinéastes insistent en effet  sur le fait qu’aujourd’hui, un réalisateur débutant a moins de libertés qu’il y a quelques années. Mais de l’autre, les œuvres à succès qui nous arrivent en DVD (Chaw, Woochie, The Secret Reunion, pour ne citer que des exemples tout récents) font peuvent de plus de cœur, d’originalité et de personnalité que les Blockbusters américains vus cet été (Transformers 3, Green Lantern, Thor…), alors que des productions locales continuent de briller au top du box-office (The Front Line, Sunny de Kang Hyeong-cheol ou Detective K ont talonné ces derniers mois Kung-Fu Panda 2, Harry Potter et X-Men : First Class). C’est quand même plus enthousiasmant que nos comédies françaises en tête du box-office, alors que personne ne parle de déclin du cinéma français… A ce titre, il semble certes un peu tard pour s’extasier devant la vitalité du cinéma coréen comme lorsqu’on le découvrait à la fin des années 90, mais il est tout aussi exagéré de parler de crise et de « fin de règne » (voir par exemple l’article de Nicolas Schaller dans le Nouvel Obs sur The Murderer). On ne peut ainsi pas dire que le cinéma coréen du début des années 2010 est dans une situation comparable à celui italien des années 80, par exemple.

The Front Line : actuellement en tête du Box-Office coréen, devant Harry Potter

Certains ont encore noté à propos des deux films coréens estivaux une américanisation des productions. L’argument est étayé, là encore, par des faits : Kim Jee-woon a pris un ticket pour Hollywood afin d’y réaliser The Last Train, alors que The Murderer est en partie financé par la Fox. Peut-on pour autant parler de standardisation, de main mise américaine sur le cinéma coréen ? Certainement pas en considérant les deux films cités, en tout cas ! D’un côté, Kim Jee-woon a toujours été influencé par le cinéma occidental, au point de définir A Bittersweet Life comme un mélange entre Tarantino et Melville (lire sa Masterclass) et de signer un hommage au western avec Le Bon, la brute et le cinglé. En ce sens, I Saw the Devil est un peu au neo-thriller coréen ce que Hard Boiled de John Woo était à l’Heroic Bloodshed hong-kongais : un adieu en forme de dernier coup d’éclat paroxystique, ultra-référencé et comme absolutisant d’un style et d’un genre, avant que son auteur ne s’envole pour Los Angeles. De l’autre, il serait plus que difficile de déceler les contraintes de la Fox dans The Murderer. Le film s’inscrit de plus pleinement dans un arrière-plan typiquement asiatique, en insistant sur le sort des Joseonjoks, au point que la première partie ressemble plus à un drame social à ranger à côté de Journal of Musan de Park Jung-bum que des films de vengeances de Park Chang-wook.


Cela montre bien que la frontière entre contextualisation et généralisations interprétatives est souvent bien floue, et à quel point il est dangereux de lire un film comme un symptôme (d’une vitalité d’un pays comme du déclin ou de l’américanisation de sa cinématographie), plus que comme une œuvre individuelle qui s’inscrit certes dans une généalogie qu’il faut remonter avec prudence.

Ces questions sont néanmoins passionnantes, et on pourra sans doute y apporter des réponses plus précises à l’occasion du Festival Franco-Coréen du film (FFCF), qui se tiendra cette année du 11 au 18 octobre à Paris, et permettra d’en savoir un peu plus sur l’état du cinéma coréen en 2011.

En attendant, East Asia prend des petites vacances, avant de revenir à la rentrée bien reposé avec de nouvelles rubriques ! Pour patienter, chaque jours du mois d’Août, une dizaine de textes, indisponibles depuis notre nouvelle formule, seront actualisés, alors que le site se réveillera pour couvrir les gros événement du mois, comme la sortie de One Piece Strong Word au cinéma ou celle de Detective Dee en DVD le 24 Août !

Bonne vacances et see you à la rentrée, space cowboys !

Victor Lopez.

Imprimer


Un commentaire pour “De la relativité du cinéma coréen”

  1. Article passionnant sur le cinéma Coréen de la dernière décennie. J’en avais moi-même écrit un, un peu plus personnel, sur ma fascination pour ce cinéma en particulier :

    http://allezaucinema.wordpress.com/2011/06/22/de-mon-ignorance-de-la-coree-et-de-la-violence/

    Bonnes vacances à East Asia, alors !

    GJ

Laissez un commentaire


*