Retour sur Kinotayo et ses films inédits de 2010, qui nous permet de prendre le pouls de la production japonaise contemporaine. Par East Asia.
Du 20 novembre au 11 décembre, le festival Kinotayo nous a présenté une vingtaine de films japonais réalisés dans les 18 derniers mois et totalement inédits en France. Belle façon de dresser un portrait du cinéma japonais contemporain à travers ses productions les plus récentes et populaires (la plupart des films présentés, s’ils ne sortent pas chez nous, connaissent une belle sortie chez eux), mais aussi de constater un certain déclin. On le déplorait déjà l’année passée, rares sont aujourd’hui les découvertes vraiment marquantes…On se rappelle pourtant que jusqu’au milieu des années 2000, il ne se passait pas unune année sans que l’on découvre, de Kitano à Kurosawa Kiyoshi, de Tsukamoto à Miike Takashi, de Nakata à Kitamura, un cinéaste à l’univers riche et déjà affirmé. Cette année, de beaux films ont été présentés ( Hana no Ato, A Crowd of three, Box, Parade…), mais pas de chefs d’œuvre ni d’auteurs évident. Et surtout, on continue de constater la frivolité des grands studios japonais, incapables de prendre le moindre risque artistique et financier dans leurs productions de plus en plus édulcorées, comme le prouve Railways, produit par la Shoshiku et lauréat du Soleil d’or 2010.
Railways de Nishikori
On voit bien en parcourant le synopsis de Railways, centré sur la reconversion d’un salary man un peu paumé en conducteur de trains qui va le remettre en phase avec la vraie vie, ce qui peut séduire dans cette tranche de vie quotidienne. Confortable et d’une bonté à toute épreuve, Railways est consensuel au possible, et déploie sans imagination son scénario idéalisé de la crise de la cinquantaine. Célébration du travail bien fait et de la simplicité de la joie de vivre, il n’y a pas grand chose à reprocher à Railways au niveau de son savoir faire. Épaulé par les moyens de la Shoshiku, Nishikori peaufine ses plans à l’aide d’amples et couteux panoramiques aussi inutiles et ennuyeux qu’élégants. Le film file droit sur ses rails, sans surprises et avec une prévisibilité à toute épreuve. Et jamais une idée de cinéma ne vient faire chavirer cet humble programme. On ne le sait malheureusement que trop, les mauvais films sont pavés de bons sentiments…
Verdict :
Victor Lopez.
The Last Ronin de Sugita
Présenté en ouverture, The Last Ronin, financé par Kadokawa Pictures et Warner Bros., fait aussi figure de parfait exemple de cette tiédeur ressentie.
La vengeance des 47 Rônins, 16 ans après…
Malgré ses allures de Blockbuster nippon, The Last Ronin n’a rien d’un chambara plein de bruit et de fureur, de chorégraphies martiales et de batailles épiques. Sugita expédie en une scène de cinq minutes la vendetta d’Akô et évite soigneusement duel et combat (la seule confrontation du film prend d’ailleurs des allures de fuite un peu ridicule…). Le cinéaste transforme le drame historique pour signer un mélodrame assumé, ce qui pourrait être intéressant si l’utilisation de ses codes donnait une vision neuve de l’histoire. Las, le film s’embourbe dans les pires clichés formels du genre, en appuyant chaque scène d’une musique omniprésente doublant l’émotion. Nombres de plans témoignent aussi d’une insistance lassante sur les yeux bien humides de ses personnages, qui ont tous une tendance lacrymale assez prononcée, et qui se voudrait contagieuse. Si le propos de l’ouvrage de Ikemiya Shoichiko (auteur du roman à la base du film et scénariste de son adaptation), présentant un personnage qui sacrifie sa vie pour un attachement à certaines valeurs et revenant comme le Dumas de 20 ans après sur la création d’un mythe avec des personnages vieillissants, pouvait avoir une certaine subtilité, le traitement est tellement grossier et caricatural qu’il perd toute finesse.
Trop occupé à toucher de force le spectateur, Sugita laisse aussi de côté toute originalité dans sa mise en scène, d’une pauvreté télévisuelle qui rend son ancrage historique paradoxalement très peu crédible. Plombé par des tics académiques, le film n’arrive pas à faire vivre ses beaux costumes et décors, qui semblent tout juste sorti des mains des couturiers de la Kadokawa et n’avoir jamais servis. Le kimono de Magozaemon arrive ainsi à rester immaculé après avoir été battu, trainé dans la boue et mangé de la poussière. Les détails sont soignés, mais la propreté générale enlève tout réalisme à l’ensemble. L’utilisation du numérique est assez problématique dans ce rapport au passé, et implique de le filmer comme si c’était le présent le plus immédiat pour lui donner vie. Le Michael Mann de Public Ennemies ou le Kechiche de Vénus noire l’ont parfaitement compris. Le téléaste Sugita s’attarde au contraire sur la qualité de ses costumes et fige son film dans une représentation guindée de l’histoire.
Ces partis pris formels ne sont malheureusement pas anodins, et sont d’autant plus troublants et inquiétants qu’ils sous-tendent une idéologie passéiste et à la limite du réactionnaire dans sa vision de l’histoire. Loin d’une remise en question des thématiques abordées (la notion d’honneur, de sacrifice), l’histoire des 47 Rônins sert une lecture au premier dégrée du mythe, héroïsé à titre d’exemple à suivre. Vu de 2010, cette glorification du sacrifice pour des valeurs qui semblent bien datées et ce nationalisme sans recul semble à la fois assez anachronique (que nous dit le film sur notre époque, sur le Japon d’aujourd’hui ? Pas grand chose, si ce n’est que les héros du passé était grands !) et d’un passéisme fort douteux. On le sait depuis Kurosawa et Mizoguchi, l’histoire du japon est traversé de violence et d’injustice, et ses mythes (comme tous les mythes depuis la légende de Ford dans L’Homme qui tua Liberty Valence), cachent bien souvent les plus affreuses justifications et arrangements avec la vérité. Un tel retour en arrière dans le traitement de l’histoire est au mieux naïf, au pire réactionnaire, et en tout cas assez inadmissible, surtout quand ce discours est baigné dans un tel ennui formel.
Puisque le film glorifie le seppuku, finissons par lui faire honneur via notre verdict…
Verdict :
Victor Lopez.
Ana no Hato de Nakanishi
Heureusement, Hana no ato nous a aussi prouvé que classicisme ne rime pas avec académisme, et que de beaux films en costume peuvent encore être réalisés au pays du Chambara.
Un air de déjà vu
Hana no Ato fait fortement penser à la trilogie de Yamada Yoji, auteur des films Le samouraï du crépuscule (2002), La servante et le samouraï (2004), et Love and Honor (2006). Cette similitude n’est pas une coïncidence puisqu’au même titre que Yamada, Nakanishi Kenji s’est également inspiré d’une nouvelle de Fujisawa Shuhei pour réaliser son film. Hana no Ato se focalise donc également sur le conflit intérieur de ses personnages et leur développement, pour les faire arriver à maturité et aboutir sur une confrontation finale. De plus, tout comme chez Yamada, la réalisation de Nakanishi est très sobre et classique ce qui augmente encore d’ avantage le doute. Très bon point également pour la bande son qui accompagne le film, la musique (assez discrète) est très jolie.
Une portée didactique
Ce film est intéressant sur plusieurs aspects : d’une part, il met en avant le poids des obligations inhérent à la société japonaise et montre également à quel point le quotidien des filles de bonnes familles n’était pas si rose qu’on puisse le croire, dans une société aussi patriarcale que celle du Japon féodal.
Ito en est l’exemple type : elle se doit d’être douée dans tous les domaines, que ce soit pour l’écriture, les règles de bienséance… Bien entendu, elle n’a pas son mot à dire concernant le choix de son mari puisque le mariage arrangé avec le meilleur parti est une nécessité pour assurer la prospérité du clan.
Dans son cas, la pression est même encore plus intense, puisque fille unique d’un sabreur de renom sans héritier, elle a été élevée par son père de manière très austère afin d’en faire un bretteur imbattable. A ce sujet, les combats, bien que rares sont de toute beauté et magistralement chorégraphiés !
Le scénario est bien ficelé autour de cette dramatique histoire d’amoureux transis. Les deux tourtereaux s’aiment mais les obligations liées à leur rang et leur statut passent avant tout. Malgré cela, la fatalité va les rattraper et ils vont en faire les frais.
Un casting d’exception
Une très bonne surprise est liée au casting qui s’annonçait à première vue plus que douteux. En effet, l’héroïne jouée par Kitagawa Keiko est déjà bien connue du public japonais pour avoir incarné Sailor Mars à plusieurs reprises dans le trop kitsch manga live, Bishôjo Senshi Sailor Moon. Nous avons également pu apercevoir la belle dans The Fast and the Furious : Tokyo Drift. Donc au vu de ses précédent choix artistiques, on aurait pu craindre le pire… Mais au contraire, elle s’en sort admirablement bien et joue son rôle avec beaucoup de simplicité et de pudeur ! Par ailleurs sa maitrise du sabre n’a rien à envier à l’actrice d’ Azumi.
Le reste du casting est également d’excellente facture et regroupe des acteurs issus de différents registres. Les acteurs ne sur-jouent pas, réussissent bien à faire passer les émotions, et on rentre rapidement dans le film.
Le beau gosse de service, Magochiro Eguchi, est joué par Shuntarô Miyao qui est également danseur de ballet dans la vie. Bon vivant mais trop gougeât sur les bords, le futur mari d’Ito, Saisuke, incarné par Kômoto Masahiro est un personnage qui apporte beaucoup de fraicheur à la narration par son charisme et sa bonhomie constante. Enfin Kunimura Jun qui joue le père d’Ito, est également très bon, et réussit même à s’attirer la sympathie du spectateur ce qui prouve son talent d’acteur. En effet, on a pu récemment voir le bougre dans le génial Outrage, incarnant Ikemoto l’un des pires enfoirés au sein des Yakuzas de bas étages dépeints par Kitano.
En résumé : Concrètement, mis à part l’utilisation répétée du flash back (quatre fois !) du duel de nos deux héros dans les passages mélancoliques qui amuse plus qu’autre chose en final, il n’y a pas vraiment grand chose à reprocher, et pour un second film (Blue Bird en 2008), Hana no Ato est une belle réussite !
Une histoire de samouraï simple, avec son lot de trahison, une histoire d’amour qui met en évidence le poids des responsabilités mais qui ne fait vaciller à aucun moment l’intégrité et la droiture de ses héros.
Même si l’on n’y croit que très moyennement, on n’a plus qu’à espérer qu’une sortie salle se fasse prochainement dans nos contrés.
Verdict :
Olivier Smach.
Box – The Hakamada Case de Takahashi Banmei
Autre film d’époque, Box s’attaque cette fois à l’histoire contemporaine et ses ratés.
Le cas Hakamada est un célèbre procès qui a passionné le japon en 1966. Hakamada, un boxeur taciturne, est condamné à mort pour le meurtre de son patron et de sa famille. Box revient sur le fait divers à travers le parcours du juge Kumamoto, qui a éclairé dans les années 90 cette histoire en affirmant être certain de l’innocence de l’homme qui attend sa peine depuis 40 ans et dont il a lui même prononcé la sentence. Le générique a beau insister sur le O (soit oui) et le X (soit non) du titre en posant la question binaire de savoir si l’on pense que l’homme est coupable ou innocent, le sujet n’est pas vraiment là. La certitude du cinéaste Takahashi Banmei traverse tellement tous les plans, que l’évidence d’être devant un cas d’erreur judiciaire et d’injustice du système qui s’acharne contre un individu ne fait jamais aucun doute. Là repose d’ailleurs le moins bon du film. Le réalisateur est tellement soucieux de convaincre qu’il insiste parfois de manière assez peu subtile sur sa démonstration (discours didactique et explicatif des personnages, interruption du récit par des éléments d’enquêtes prouvant l’innocence de l’accusé, etc.).
Box – the Hakamada case par MCJP_web
Les procédés sont parfois trop voyants et grossiers, mais ont le mérite d’être clairs : Box est un film à thèse, partisan dans son propos engagé, avec les défauts que cela entraîne. Un tel geste ne surprend guère de la part de Takahashi, ancien du Pinku Eiga, genre dont le plus connu représentant est le grand Wakamatsu Koji. La mise en scène rappelle d’ailleurs parfois celle du réalisateur de United Red Army, notamment par l’inscription de l’histoire racontée dans celle du Japon. On trouve alors l’insertion d’image d’archives pour présenter la jeunesse des deux personnages, le juge et le condamné, tous deux nés en 1936. On les voit notamment rayer des pages entières de leurs manuels scolaires d’histoire au lendemain de la guerre, la société effaçant littéralement toute trace de nationalisme après la victoire américaine. Cette façon qu’a le Japon de fuir la réalité, de ne pas se confronter à ses contradictions, mène à la justice condamnant en 1966 un innocent, qui attend aujourd’hui encore sa mise à mort.
Le propos du film est donc juste, sincère et ne peut qu’entrainer l’adhésion du spectateur face à une injustice si criante. Mais le film touche moins par son nécessaire engagement que par la proximité qu’il affiche avec ses personnages. Le tourment du juge Kumamoto, son obsession pour le cas (rappelant une folie proche de celle montrée dans le Zodiac de David Fincher) et la manière dont il se lie avec sa victime, au point ou les deux hommes deviennent des doubles l’un de l’autre est ainsi saisissante. L’enfermement mental est aussi montré avec maestria, et on ne peut qu’être saisi devant les scènes où Hakamada, condamné à mort, guette chaque bruit de pas en croyant que l’on vient le chercher, répétés jusqu’au point de saturation ou l’enfer de la situation est palpable.
On pardonne alors à Box ses longueurs, ses défauts et son didactisme face à sa vitalité, sa nécessité et la sincérité dont Takahashi prend en charge les thématiques difficiles, douloureuses et polémiques qu’implique son sujet.
Verdict :
Victor Lopez.
Zebraman 2 de Miike
Si Kinotayo est généralement frileux en films de genre, on a quand même peu voir cette année le retour de Miike en petite forme avec une suite un peu poussive et opportuniste de son Zebraman.
D’un Z qui veut dire Zebraman
Qu’il semble loin le temps où l’on découvrait avec les films de Miike un des cinémas les plus tordus du monde ! Depuis quelques années, le cinéaste en a fini avec les délires dérangeants tournés en vidéo avec un budget dérisoire et semble bien installé aux commandes de Blockbusters légèrement décalés, mais loin d’être subversifs. Après les Crows Zero, Yakuza et autre Yatterman, voici donc Zebraman 2. Si la mise en scène du réalisateur s’est certes améliorée et arrive maintenant à une certaine fluidité dans les scènes d’action, l’intérêt de son propos est devenu malheureusement inversement proportionnel à cette maitrise nouvelle.
Zebraman 2 par MCJP_web
Zebraman 2 se présente comme une variation futuriste de l’hommage aux Sentaï tourné en 2004. On y retrouve notre héros plongé dans le Zebracity de 2025, soit un Tokyo fasciste sur lequel règne la Zebra Queen. Moche et de mauvais goût (la pauvre Naka Riisa passe le film à bouger sa poitrine dans un mauvais clip de J-Pop tendance R’nB japonaise assez iregardable), le film fait d’abord mal aux yeux et aux oreilles, et on a vraiment l’impression que Miike se laisse aller à une certaine facilité. Entouré d’une équipe technique compétente et docile, il ne fait presque plus rien…
Le cinéaste se contente lors d’une ou deux scènes d’introduire sa “touche”, pour montrer qu’il a bien signé le film. Lorsque Zebraman et Zebra Queen fusionnent, on voit le super-héros installer un matelas et sortir une boîte de préservatifs, alors que les mots “Stop Aid” apparaissent sur l’écran. Le meilleur du film est comme dans le premier dans ces petites touches personnelles, comme dans le faux Super Sentaï qui met en scène Zebraman, toujours aussi hilarant. Et on ne peut pas nier que l’on retrouve avec plaisir le génial Aikawa Shô en tête d’affiche d’un film de Miike…
C’est cependant bien peu pour nous extraire de l’ennui dans lequel on baigne durant tout le film, et contrebalancer l’impression de paresse d’un cinéaste qui nous a habitué à bien plus original, et qui commence à fatiguer et à nous fatiguer avec ses grosses productions. Par pitié Mr. Miike, abandonnez le confort des commandes, reprenez votre petite caméra vidéo et revenez au cinéma tordu et sans moyens que l’on aime tant !
Car une chose est sûre : Miike a grand besoin d’un Zebra-Punch pour arrêter de faire des séries Z !
Verdict :
Victor Lopez.
A Crowd of three d’Omori
Si un seul film devait rester de cette édition, ce serait sans hésitation cette oeuvre forte et bouleversante d’Omori.
On a découvert Omori en 2006 avec Le Murmure des dieux, qui était sorti en France en DVD après avoir été présenté à Kinotayo. On souhaite le même sort à son second film, A Crowd of Three, tant sa brulante originalité mérite d’être découvert ici ! La force de son cinéma est d’être à la fois immédiatement accessible, tout en faisant en même temps preuve d’une radicalité d’une vraie force artistique. Le cinéaste ne fait ainsi aucune concession à son spectateur dans la construction de son récit, Road Movie fragile et erratique, qui suit Kenta et Jun, deux ouvriers un peu paumés et désœuvrés qui décident démolir la voiture de leur patron au lieu de leur chantier et de prendre la route vers le nord du Japon. On entre dans le film comme si on le prenait en cours de route, et qu’on rejoignait ses personnages pour faire un bout de chemin avec eux. Mais bien rapidement, un fil dramatique va faire son apparition et les causes des actions sans raisons apparentes vont s’éclaircir. La réussite du film est de ne jamais se plier à une logique narrative qui contrasterai avec sa totale liberté. Le récit sait très bien où il va, mais fait aussi magnifiquement semblant de ne pas le savoir pour laisser ses personnages libres et surprendre sans cesse son spectateur.
Sans compromis, A Crowd of Three l’est aussi avec ses personnages. Si l’on sent la compassion d’ Omori pour ces loosers loin d’être magnifiques, et une proximité construite à travers l’usage d’une voix off intérieure très aléatoire dès les premières minutes, le film les montre sans complaisance aucune, et ne cache rien, bien au contraire, de leur bêtise crasse et de leur pitoyable petitesse. Et c’est justement par ce refus d’une écriture unilatérale que le film arrive à toucher, parfois profondément et durablement. On se souviendra ainsi longtemps de cette magnifique scène ou le personnage va rendre visite en prison à son frère psychopathe et pédophile, et qu’il a finit par idéaliser. Son admiration se heurte alors à la réalité sordide de ce qu’il est vraiment, et Omori insiste avec finesse sur les signes de la décomposition intérieure de son personnage en restant sur son visage.
Souvent dur, A Crowd of Three est aussi hilarant par son caractère absurde parfois à la limite d’un non-sens hyper-réaliste. Parmi tant d’autres, une scène réjouissante voit ainsi nos wanna be lascars voler une moto. Alors que l’un s’acharne dessus, une voiture de police passe très lentement à côté d’eux. Non seulement, ils ne la voit pas, mais les policiers eux-même ne voient pas le larcin ! Cet étonnant mélange des genres, allié à la complexité des personnages, donne une profonde humanité à A Crowd of Three, que l’on espère vivement revoir dans nos contrées très rapidement.
Verdict :
Victor Lopez.
Cobalt Blue de Nakagawa
A l’exact opposé d’Omori, il y a Nakagawa…
Cobalt Blue par Kinotayo
Voilà un film qui sait prendre son temps pour nous conter son histoire simple mais touchante. Celle-ci n’a d’ailleurs qu’un intérêt limité : tragédie ayant le deuil pour thématique, sur fond de triangle amoureux mêlant destins brisés et amour impossible célébrant la beauté d’Okinaya. C’est dans son inscription géographique qu’elle réussit à gagner en ampleur modeste : beauté des paysages, somptuosité des fonds marins, ancrage dans la tradition insulaire… Nakagaya filme tout cela avec soin, dans une photographie d’une beauté parfois envoutante. Bref, Cobalt Blue arrive à être touristique aussi bien dans sa description des sentiments que dans celle de l’île. On y décèle bien le financement de la région, mais un peu de dépaysement bien filmé en mode carte postale d’auteur ne fait pas de mal…
Verdict :
Victor Lopez.
Aru Onkagu, A music de Tomohisa
Kinotayo nous a cette année particulièrement gâté avec la venue pianiste multi instrumentiste Masakatsu Takagi.
En guise de mise en bouche, un concert au piano à queue de Masakatsu Takagi avec une projection d’images sur grand écran faisaient office d’introduction au film. Le musicien et le réalisateur ont alors « accueilli » le public curieux qui avait fait le déplacement. Pourquoi une telle introduction? Parce que c’est justement la particularité de Masakatsu ; l’artiste balade ses mains sur le piano tout en accompagnant des vidéos graphiques qu’il a lui-même créées sur ordinateur. Aru Ongaku est donc une rencontre « abstraite » entre l’image et la musique.
Aruongaku-A Music par Kinotayo
Cheveux hirsutes et silhouette longiligne, Masakatsu veut donner une nouvelle direction à sa musique. Citoyen d’un pays insulaire proche de la nature, le Japon, Masakatsu prend son inspiration en forêt, face à l’immensité de la mer ou au bord d’un étang brumeux du petit matin. Cette force d’inspiration l’amène en studio où il retrouve ses musiciens qui jouent des instruments divers et variés. Des percussions africaines et japonaises aux instruments à vent irlandais, le piano du musicien japonais se joue de toutes les frontières, à la fois des rythmes et des harmonies mais également des impulsions des vidéos projetées. Son art est de rassembler le tout et d’offrir des « rencontres » improbables.
L’approche du réalisateur Tomohisa Takashi (auteur habitué du court-métrage, de la publicité et du clip) est simple et épurée. Peut-être trop. Sans voix off, le film est composé des interventions de l’artiste face à la caméra et de moments de réflexions en studio entre lui et ses différents collaborateurs. Certes, l’action en dit plus sur l’art de la création que les mots et les discours mais cette action est ici incomplète. Si on perçoit la création musicale du projet, nous en savons beaucoup moins sur celle des images. Le spectateur doit alors faire sa propre idée sur la question. Empreint d’élans philosophiques et de savoureuses compositions, Aru Ongaku, A music laisse à la fois dubitatif et admiratif tant l’univers de Masakatsu Takagi est riche et complexe.
Verdict :
Flavien Bellevue.
Parade de Yukisada
Tiré du roman de Yoshida Suichi, primé au Japon, Parade nous plonge dans l’univers de quatre colocataires tokyoïtes alors qu’un serial killer sévit dans le voisinage. Si la menace extérieure n’inquiète pas ces jeunes, l’arrivée d’un cinquième colocataire va perturber « l’harmonie » formée par le groupe…
Treize ans après ses débuts, le cinéaste Yukisada Isao adapte le roman de S. Yoshida en revenant vers le cinéma indépendant de ses débuts qui s’éloigne de ses récents drama commerciaux. Ce qui ressemble à un Friends va basculer peu à peu dans une ambiance à suspense où chacun et chacune se livreront au grand jour pour le meilleur et parfois pour le pire. Les quatre colocataires ont un caractère bien trempé de par leur fonction : Naoki travaille dans une boite de distribution de films, Mirai est une illustratrice tandis que Ryosuke poursuit ses études à la fac et que Kokomi est une jeune actrice au chômage et fan d’une série à l’eau de rose locale. S’ils vivent et s’amusent tous ensemble, ils ne se connaissent pas complètement. Mais l’arrivée de Satoru, tel un squatteur, va permettre à chacun de se révéler car cet événement coïncide avec les séries de viols dans leur quartier. Le soupçon pèse alors sur le nouveau colocataire mais qu’en est-il des autres ?
Dans ce jeu de chat et de souris, personne n’est clair. Les secrets les plus profonds ressortent et la « banalité » de chacun devient plus intéressante. Yukisada Isao sonde avec tact l’aspect sombre de la nature humaine à travers ces personnages mais il loupe de peu son twist final. Ni raté, ni transcendant, Parade reste une rencontre avec une « image » de la jeunesse japonaise attachante et drôle qui ne laissera pas indifférent.
Verdict :
Flavien Bellevue.
Goldfish de Kurosaki
Goldfish, sympathique court-métrage de 53 minutes tourné par Kurosaki pour la NHK, a tranquillement clôturé l’édition 2010 de Kinotayo.
Comme on partait en 2000 avec Gus Van Sant à la rencontre de Forrester, on part avec Goldfish à la rencontre de Murata, un vieil écrivain aigri et solitaire, dont la carapace de vieux ronchon va être percé par sa jeune et mélancolique nouvelle éditrice. Plus subtil que ne le laisse présager son histoire, Goldfish vient clore une édition Kinotayo à son image : tranquille, de bonne facture, et un brin consensuel, mais où le plaisir de la decouverte et la surprise des émotions est toujours présent.
Verdict :
Victor Lopez.
Palmarès
En bon festival de cinéma, Kinotayo est aussi une compétition entre les films sélectionnés, qui concourent pour le très convoité Soleil d’or. Mais l’originalité de cette chouette récompense est d’être remis par un jury composé de tous les spectateurs. Hautement démocratique, Kinotayo propose ainsi à tous de voter pour les films projetés, à travers un bulletin de vote distribué à l’issu de chaque projection. Après la découverte de l’univers singulier de Nakamura Yoshihiro avec le dylanien et délicieux The Forein Duck, the native duck and God in a Coin Lockers en 2008 et les couronnements de Togashi Shin ( I Remember that sky, mouais) et surtout Kadoi Hajime (le sublime Vacation, ouais !) l’an passé, les résultats des votes de 2010 sont tombés et trois films ressortent des 17 inédits présentés.
C’est sans surprise que le très consensuel Railways a recueilli le plus de bonnes notes et remporte donc le Soleil d’or 2010. On aurait préféré voir les plus originaux Parade ou A Crowd of three salués plutôt que ce film très propre sur lui. On se consolera avec le Soleil d’or If Television remis à Takahashi Banmei pour Box, The Hakamada Case, au discours déjà plus engagé et critique face à la société japonaise. Enfin, n’oublions pas Forget me not, qui a remporté les Soleils d’or du public et celui de la plus belle image Nikon. On a raté ce dernier lors de cette édition, mais heureusement, il sera reprogrammé l’année prochaine comme tous les films primés ! On a hâte d’être en 2011 pour le découvrir, ainsi que la vingtaine d’inédits formant ensemble un passionnant panorama de la production japonaise contemporaine.
Palmarès :
Soleil d’or Kinotayo
RAILWAYS de NISHIKORI Yoshinari
Soleil d’or IF Télévision
Box, The Hakamada Case de TAKAHASHI Banmei
Soleil d’or du public
Forget me not de HIRAYAMA Hideyuki
Soleil d’or de la plus belle image NIKON
Forget me not de HIRAYAMA Hideyuki
Victor Lopez.
Un grand merci à Adrien Rhetorie et Nicolas Debarle pour leur disponiblité et leurs conseils cinéphiliques !