Avant d’être au festival de Cannes, il faut aller à Cannes, puis devenir festivalier. Ce qui prend au moins un jour de festival. Par Victor Lopez.
Même quand on a déjà arpenté le festival de Cannes, on oublie vite d’une année sur l’autre les divers rituels à accomplir avant de pouvoir enfin se retrouver dans le confort d’une salle obscure. Seuls les souvenirs vaporeux des films, vu dans un état contradictoire mais constant de fatigue et d’excitation, finissant in fine par se mêler dans leur multitude gommant leur individualités demeurent. On se souvient d’avoir vu des singes aux yeux rouges, d’un cinéaste chantant une complainte coréenne perdu dans une vieille maison isolé, ou d’un bateau perdu dans la Méditerranée d’un film socialiste, mais on ne sait plus trop dans quel film, ni si l’on a rêvé tout ça, ou si d’autres ont vu la même chose que nous sur l’écran. L’avantage est que les visions n’ayant pas une forte résonance en nous s’estompent rapidement, et que restent surtout les images marquantes, qui effacent toutes les autres, comme l’attente souvent interminable qu’il est nécessaire d’affronter pour y accéder. Mais le premier jour rappelle cela au festivalier avec une netteté cette année peut-être encore amplifiée : être à Cannes, c’est courir beaucoup et attendre encore plus.
Chapitre 1 : l’arrivée d’un train en gare de Cannes la Bocca (ou comment on a raté Gatsby le magnifique)
Et ce surtout quand on choisit de se rendre à Cannes en Corail de nuit, sans penser bien sûr à réserver une couchette. D’autant que la pluie étant apparemment rare dans cette région de France, la météo capricieuse a forcé les trains à stationner deux heures en gare avant de nous délivrer à Cannes La Bocca, où se situe cette année l’appartement eastasien. Résultat, 14 heures après le départ, pas un film à l’horizon, juste une paire de clefs et un état de fatigue déjà trop critique pour faire correctement notre travail de critique. Pas grave, pour le moment, on n’a raté que Gatsby le magnifique, dont l’intérêt pour le site est quasi nul, surtout que l’on n’a pas parcouru 800 kilomètres pour voir ce qui joue depuis la veille à l’UGC des Halles.
Chapitre 2 : « Je suis mieux carté que toi, alors me fais pas chier, pétasse. » (ou comment on a raté Jeune et jolie)
Voilà le genre de phrase que l’on peut entendre en se promenant dans les rues de Cannes au début de festival, lors d’une rixe dans une queue entre un homme et une femme. Ici, les inégalités se mesurent en couleur d’accréditation de festival, et les mieux lotis se croient permis à peu près n’importe quoi. C’est d’ailleurs bien simple, les yeux des festivaliers sont d’abord plus braqués sur les accréditations qui ornent les cous que sur leurs visages. « Montre-moi ton accred, je te dirais qui tu es » semblent nous dire tous ces regards affolés. La tension est de plus cette année augmentée par un plan Vigipirate au rouge, qui rallonge les files d’attente par des fouilles minutieuses à l’entrée du Palais. Ce qui donne lieu à quelques scènes absurdes, puisque l’on nous offre dans le Palais une bouteille d’eau gazeuse d’une marque partenaire, que l’on va systématiquement demander de jeter à chaque contrôle. Une bonne heure de queues et de fouilles est donc nécessaire pour récupérer l’accréditation. Jérémy, notre rédac chef, se voit confier un précieux sésame jaune qui lui ouvre toutes les portes (et le droit de m’insulter en public, donc). Mais deux heures se rajoutent à notre compte à rebours sans que l’on ait vu le moindre bout de pellicule. Pas grave, on n’a raté que Jeune et jolie de François Ozon, que nous n’aurions de toute façon certainement pas chroniqué sur le site.
Chapitre 3 : On marche au marché, sans monter les marches (ou comment on a raté Harlock, Space Captain)
Ayant récupéré l’accréditation et sans film asiatique à voir dans les sélections officielles, direction le marché du film, où la mission est de récupérer le maximum d’invitations possibles pour les films immanquables. Trois gros repérages : le Harlock pour lequel on est prêt à se battre, ne serait-ce que pour contempler les images de la bande-promo qui va être diffusée au Marché ce week-end. On a perdu le combat. Deuxième attente, dans l’optique de combler au Marché l’étonnante absence de la Corée pour l’édition 2013, le stand de Showbox, avec notamment le nouveau film du réalisateur de Bedevilled. Malheureusement, la société de production coréenne ne présente presque que des bandes-promos, et là, nous sommes moins prêts à nous battre pour en être. Nous déclarons donc forfait. Mais notre ténacité va quand même s’avérer payante puisque notre air réjoui devant l’affiche de Real, le prochain Kurosawa, nous permet d’avoir des invitations pour la projection de lundi. La critique suivra sur le site, et comme Shokuzai, en salles le 25 mai, est notre plus beau film de 2013 jusqu’à présent, l’attente est énorme.
Chapitre 4 : Mark of Youth de Chang Siu-hung (où comment on a enfin réussi à voir un film)
Mais voyant que l’heure tourne et qu’à 16 heures aucun film n’a encore été vu, nous finissons par nous réfugier dans la première salle venue. C’est celle du Gray Albion présentant Mark of Youth de Chang Siu-hung, une chronique inoffensive des années lycées avec Alex Fong dans le rôle du super-prof. Alors que se déroule actuellement le Festival du Film Chinois en France, Mark of Youth donnait un peu l’impression d’y participer de la Croisette, tant ce film, apparemment très apprécié en Chine, aurait pu y être sélectionné. Même s’il est d’une absolue nullité, Mark of Youth, en racontant les 30 jours qui séparent les élèves d’une classe de terminale de leur concours d’entrée à l’Université, présente un incontestable intérêt sociologique, tant il reflète une vision idéalisée de la Chine, et peut servir d’indicatif à la manière dont le pays se rêve.
Tout n’y est que calme, propreté, gentillesse, et les petits problèmes trouvent une solution grâce à la bonne volonté de chacun. Bastian Meiresonne, croisé à la sortie, n’hésite d’ailleurs pas à comparer ce feel good movie chinois à nos Choristes à nous, pour son côté optimiste et fédérateur. On peut aussi rajouter passéiste. Car sous son vernis moderne, empruntant certains de ses effets visuels à la télé-réalité, se cache un discours ultra-conservateur, où le socle de l’histoire et des traditions cimente la grande nation chinoise. Sans oublier un système de valeur basé sur la compétition, mis en avant dans le film à travers une série de défis que lance un élève brillant mais rebelle à son professeur (mais rassurez-vous, au basket comme en littérature, Alex Fong s’en sort victorieux).
C’est en tout cas l’exact opposé de ce que véhiculent les films chinois que l’on a l’habitude de voir en festival comme People Mountain People Sea qui arrive le 19 juin en salles, ou le sublime Touch of Sin de Jia Zhang-Ke, en compétition officielle, dont la noirceur et le constat sans appel sur la « modernité » de la Chine font plutôt froid dans le dos. Sans rien vous dévoiler du Jia, sur lequel on reviendra en détail demain, on peut dire que la Palme d’Or d’East Asia est déjà décernée en ce début de festival.
Chapitre 5 : L’hésitation de trop (ou comment on a raté à la fois The Congress et The Bling Ring)
En sortant du Marché du film, un dilemme nous saisit : jouer au hipster cool devant le dernier Sophia Coppola, ou au cinéphile geek devant The Congress d’Ari Folman ? Ce sera finalement devant une bonne bouffe que se clôturera la journée : découragés par les centaines de personnes devant les portes des deux films et affamés par les bons petits plats montrés dans Mark of Youth, la faim l’emporte.
Bon, je file, j’ai un film à voir dans 3 heures, Jérémy et sa superbe accréditation jaune vous raconteront la suite pleine de films asiatiques demain !
Victor Lopez.
Retrouvez ici notre tableau de la croisette, tous les films de Cannes par l’équipe d’East Asia
Retrouvez ici les autres carnets de Cannes :
Cannes, jour 1 (jeudi 16 mai 2013) : Train in Vain
Cannes, jour 2 (vendredi 17 mai 2013) : Yellow Submarine
Cannes, jour 3 (samedi 18 mai 2013) : Cannes, sauce curry
Cannes, jour 4 (dimanche 19) : L’enfance de l’art
Cannes, jour 5 (lundi 20 mai 2013) : Straw Dogs
Cannes, jour 6 (mardi 21 mai 2013) : La grande bouffe
Cannes, jour 7 (mercredi 22 mai 2013) : Only Cannes Forgives
Cannes 8 (jeudi 23 mai 2013) : Norte, la fin du festival
Cannes, jour 9 (vendredi 24 mai 2013) : Et le phœnix d’or est attribué à…
Cannes, jour 10 (dimanche 26 mai 2013) : Palmarès asiatique !